• 12/02/2023
  • Par binternet
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«Aujourd’hui, Zegna doit aussi s’exprimer sur les sujets de société»<

Comme beaucoup de maisons au patrimoine exceptionnel, Ermenegildo Zegna a longtemps préféré, pour sa communication, mettre en avant ses fabuleux costumes et son savoir-faire séculaire. Mais à l’ère des réseaux sociaux, quelle entreprise peut encore rester à l’écart des débats de société? Spécialement, si elle veut capter l’attention des jeunes générations résolues à partager les valeurs des marques qu’elles achètent.«Aujourd’hui, Zegna doit aussi s’exprimer sur les sujets de société»

Changement de tactique… Sur le site du leader de prêt-à-porter masculin, dans une petite vidéo intitulée «What does it mean to be a man today?» (Qu’est-ce que veut dire être un homme aujourd’hui?), Ermenegildo Zegna, PDG et troisième génération à la tête de la société familiale, explique: «En tant que fabricant de vêtements intemporels depuis 110 ans, nous savons qu’à cette question, il n’y a pas qu’une seule réponse. Chez Zegna, nous voulons faire progresser le dialogue culturel et social autour de la masculinité contemporaine. Avec cette campagne publicitaire, notre but est de susciter des discussions et non d’imposer de nouvelles vérités.» Voilà qui est dit. Très investi, le directeur artistique et enfant de la maison Alessandro Sartori nous recevait, il y a quelques jours, tout près de ses bureaux milanais, autour d’un plat de pasta, pour parler changement de mentalité, clichés sur la virilité et relation client.

LE FIGARO. - Jusqu’ici la maison Ermenegildo Zegna s’est montrée discrète sur les questions sociétales. Pourquoi cette campagne?

Alessandro SARTORI. - Il est vrai que jusqu’ici nous avons dédié notre énergie à promouvoir la qualité de nos produits et notre savoir-faire exceptionnel. Ce qui nous a d’ailleurs plutôt bien réussi. Mais les temps changent et Zegna, en tant que griffe qui habille des hommes depuis plus de cent ans, se doit d’accompagner ces évolutions. Dorénavant, le public attend des marques qu’elles s’expriment sur leurs valeurs, qu’elles prennent position sur les sujets qui agitent la société, les discriminations, le réchauffement climatique, etc. Mais ce n’est pas le tout de communiquer, il faut être légitime, croire en ce que nous disons. Or, ces problématiques sont au cœur de notre entreprise depuis la création de la première filature en 1910, à Trivero.

De quelle façon?

«Aujourd’hui, Zegna doit aussi s’exprimer sur les sujets de société»

À travers l’humain. Le fondateur Ermenegildo Zegna, même s’il faisait en sorte que son entreprise génère du profit, a ainsi construit des logements - plus d’un millier dans les années 1940. Il a aussi bâti un hôpital, des écoles, et engagé un programme de reforestation dès 1930. Pour nous, la préservation de l’environnement et les progrès sociaux font partie de notre développement.

Ces valeurs se traduisent aussi dans le lien particulier que la griffe entretient avec sa clientèle.

Exactement. À l’instar de notre équipe de tailleurs qui, au sein de notre atelier de grande mesure et pour notre ligne de demi-mesure, voyagent à travers le monde pour rencontrer nos clients spéciaux. Au fil des essayages, ils entrent peu à peu dans leur intimité. Cette relation dépasse le fait de pousser la porte d’une de nos boutiques pour acheter un vêtement. Elle consiste à travailler ensemble pour créer quelque chose d’unique. Je participe moi-même, quand mon emploi du temps me le permet, à ces rendez-vous. Notre mission est alors d’écouter et de partager.«Aujourd’hui, Zegna doit aussi s’exprimer sur les sujets de société»

Que vous disent ces hommes?

S’habiller questionne l’image que l’on renvoie aux autres. Nombre d’entre eux veulent projeter un meilleur reflet d’eux-mêmes. Leurs problématiques ont nourri nos conversations en interne. En tant que marque internationale avec plus de 480 magasins dans le monde, pour nous, la diversité n’est pas du marketing. C’est un fait. Nous travaillons au quotidien pour des hommes de morphologies, d’origines et de cultures différentes, qu’ils soient dirigeant politique, sportif de haut niveau, acteur ou simplement un futur époux à la recherche d’un costume particulier pour son mariage. C’est le message que nous voulions exprimer à travers la campagne #whatmakesaman. Et pour l’incarner, nous ne cherchions pas n’importe quelle égérie mais des hommes authentiques, des clients, des amis de la maison. J’ai rencontré l’acteur Mahershala Ali en 2016 alors qu’il défendait le film Moonlightlors de la campagne pour les Oscars. Il est passé à la boutique de Los Angeles. Puis, il a gagné la statuette du meilleur acteur dans un second rôle. Entre-temps, il était devenu notre client pour et hors des tapis rouges. Quand je lui ai parlé du projet, il a été emballé. Ce qu’il dit dans ces vidéos n’est absolument pas écrit. C’est un témoignage personnel, sa vision de la masculinité que nous partageons pleinement.

S’exprimer sur la diversité, est-ce aussi une manière de capter le jeune public?

Effectivement, nous avons remarqué qu’à travers les milliers de retours que nous avons reçus, dont des lettres très touchantes venant des quatre coins du globe, l’engagement sur cette question n’est pas forcément lié au pays d’origine mais plutôt à l’âge. Les plus jeunes se révèlent très ouverts, passionnés et enclins à partager leurs expériences. À l’inverse, les réactions négatives, ceux qui refusent d’évoquer le sujet font généralement partie des plus anciens. Bien sûr, s’engager sur ce terrain est risqué: exprimer une opinion peut nous couper de certains de nos clients. Mais nous avons choisi d’ouvrir le débat.

Sentez-vous que les mentalités évoluent?

On ne peut pas nier les répercussions du mouvement #MeToo sur la gent masculine. De même, la crise économique depuis 2009, le réchauffement climatique nous forcent à remettre en question nos modes de vie, nos certitudes et nos préjugés. Parfois, des événements négatifs provoquent des avancées positives! Mais alors que l’image des femmes change significativement - regardez le très beau défilé de la ligne de lingerie de Rihanna, célébrant la diversité et la féminité d’aujourd’hui -, en ce qui concerne les hommes, on est loin du body positivisme. Le cliché du mâle viril avec, à son bras, la femme parfaite au volant de la parfaite voiture de sport a la vie dure. Néanmoins, je pense que les choses changent petit à petit. Je ne veux pas dire qu’il faut montrer la laideur mais être bienveillant et ouvert d’esprit.

Et vous, quel genre d’homme êtes-vous?

Même s’il y a encore vingt ans, une certaine fragilité pouvait me faire peur, en vieillissant, je la cultive et je la recherche chez les autres. Derrière, il a souvent de la profondeur, des aspérités qui donnent plus de force à une personnalité. Peut-être parce que je suis italien, je suis aussi très passionné et j’aime ce contraste. Les hommes devraient plus souvent exprimer leurs contradictions.

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