«Madame, quel bonheur de prononcer ce mot pour accueillir un nouveau membre sous cette Coupole! Et puisque ce bonheur est encore trop rare, je vais le prononcer à nouveau: «Madame»!» C'est par ces mots que Jean-Christophe Rufin a reçu cet après-midi Dominique Bona, quai de Conti.
Parmi l'assistance, beaucoup de têtes connues issues du monde de l'édition: Olivier Nora, l'éditeur de Dominique Bona, Antoine et Isabelle Gallimard, Eric Neuhoff, Diane de Margerie, Jean-Noël Pancrazi, l'omniprésent Gonzague Saint-Bris, et même le baron Seillière…
La romancière et biographe, élue en avril 2013 au fauteuil 33, est la huitième femme de l'histoire siégeant parmi les Immortels. Un fauteuil occupé précédemment par Voltaire, Jean-Louis Vaudoyer et Marcel Brion, entre autres. Dominique Bona succède au romancier et éditeur Michel Mohrt, décédé en 2011, à l'âge de 97 ans.
Elle portait l'habit vert, dessiné par Karl Lagerfeld sous forme d'une sobre robe redingote rehaussée de broderies tressées par Lesage, et la traditionnelle épée(pas obligatoire pour les académiciennes), réalisée par deux jeunes joailliers de Biarritz, d'origine catalane, comme elle. Cette «arme de service» lui avait été officiellement remise lundi dernier, au Cercle de l'Union interalliée.
Née en 1953 à Perpignan, fille de l'écrivain et homme de télé, Arthur Conte, Dominique Bona a entamé sa carrière littéraire par le roman, alors qu'elle était critique littéraire au Quotidien de Paris. En 1987, elle publie une première biographie, consacrée à Romain Gary, et couronnée par l'Académie française. Par la suite, elle s'est penchée sur la vie de femmes au destin singulier: Gala, la muse d'Eluard puis de Dali, Berthe Morisot, Camille Claudel, les sœurs Rouart, et tout dernièrement, Jeanne Loviton, le dernier amour de Paul Valéry (Je suis fou de toi). Entre-temps, Elle a publié plusieurs romans, dont Le manuscrit de Port-Ébène (prix Renaudot en 1998) et deux biographies (sur Stefan Zweig et sur l'académicien André Maurois), tout en prêtant sa plume au Figaro littéraire.
Jean-Christophe Rufin, sur un ton taquin empreint de sympathie, a salué d'emblée l'œuvre de Dominique Bona, «dédiée aux femmes, à leur talent, à leurs luttes, à leurs créations», avant d'ajouter: «Les femmes, dans cette Compagnie ne sont pas un groupe, un nombre, un quota. Elles sont des personnalités singulières, chacune unique et précieuse, et leur apport ne se mesure pas à leur importance numérique. Combien sommes-nous par exemple à avoir passionnément aimé Jacqueline de Romilly?».
Dans son portrait, après avoir évoqué son enfance et sa jeunesse studieuse, il est revenu sur les écrivains et les artistes qu'elle a aimés et commentés, louant son «exceptionnelle capacité d'empathie». Changeant de ton, il a lâché, en souriant: «On chercherait vainement dans votre œuvre une biographie de madame de Gaulle»… Le public a éclaté de rire. Cet accueil chaleureux s'est achevé par l'évocation de Voltaire, «sous cette Coupole aux lumières de sous-bois, au milieu de ces habits couleur de mousse, dans ces murs habités par tant de fantômes». Le mot de la fin a été: «Nous vous accueillons aujourd'hui avec bonheur, Madame. Soyez la bienvenue parmi nous». L'assistance était sous le charme du verbe.
Très attendu, accueilli au final par des rafales d'applaudissements, le discours de Dominique Bona compte parmi les plus pertinents et les plus brillants de ces dernières années. On le sait, l'exercice et difficile, voire périlleux: faire l'éloge de son prédécesseur, quelle que soit l'estime qu'on lui porte. On se souvient de Paul Valéry en 1927, refusant de prononcer le nom d'Anatole France, mentionnant, dans une belle pirouette oratoire, la «France, dont il a pris le nom»… Dominique Bona, qui aime et admire Michel Mohrt, «un homme qui a surtout habité ses rêves», a rappelé sous la Coupole ce tour de force du disciple de Mallarmé.
Une heure durant, elle a non seulement loué l'homme et son œuvre, mais brossé un magnifique portrait littéraire: «Tout ce qu'il aime et le fait rêver, la source même de ses livres, reste lié pour lui au bruit des vagues, aux cris des goélands, aux formes instables des nuages et à la douceur des printemps.» Concernant l'homme et son tempérament, cet académicien qui aimait à clamer haut et fort qu'il n'aimait pas les dictionnaires, voici ce qu'elle a apprécié chez lui: «Il a toujours vécu et écrit, le cœur debout.» Son discours s'est achevé sur ces justes paroles: «On n'entre jamais seul à l'Académie française. On y entre avec les ombres chères de ceux qui ne sont plus. On y entre aussi avec l'admiration que l'on porte à ceux qui y sont eux-mêmes dépositaires d'une part de l'esprit des grandes figures qui les ont précédés».
Sont attendus prochainement sous la Coupole: Dany Laferrière, Alain Finkielkraut et Marc Lambron.
Retrouvez l'intégralité des deux discours sur le site de l'Académie française:
www.academie-francaise.fr/actualites/reception-de-mme-dominique-bona-f33.