• 12/08/2022
  • Par binternet
  • 663 Vues

Julien Dossena : « L’héritage Paco Rabanne a infusé en moi »<

ELLE. Comment se sent-on à la veille de la présentation de sa collection dans ce contexte si particulier ?

Julien Dossena. C’est un peu étrange. Il n’y a pas cette pression d’avoir un événement à organiser avec des centaines de personnes à accueillir et où on sait qu’on va être pris dans un ouragan de questions et de contacts. Donc c’est un plus serein et en même temps il y a plus de travail. Parce qu’on a plus de Zooms, de coups de téléphone qui s’enchaînent… Donc c’est très différent la façon dont l’intensité est répartie.

ELLE. Les enjeux finaux sont-ils différents de d’habitude ?

Julien Dossena. Ce sont les mêmes. C’est une façon différente de présenter la collection donc ça implique un travail créatif forcément différent, ne serait-ce que dans la façon dont on va dérouler la présentation, finaliser les vêtements et les looks. Mais ça reste les mêmes enjeux à la fin : essayer d’être direct, de se faire comprendre et surtout que la collection plaise. Il faut que la perception des gens, qu’importe le médium de présentation, soit aussi compréhensible.

ELLE. En septembre dernier vous aviez décidé de maintenir le défilé physique, en tout petit comité, cette fois vous testé la vidéo. Pourquoi ce choix ?

Julien Dossena. Tout d’abord parce qu’on était vraiment dans l’impossibilité de faire un show, quel qu’il soit. Je ne voulais pas faire un show filmé non plus parce que ça me rendait encore plus frustré donc faire comme si c’était un défilé et de ne pas en faire une réalité physique. Donc la vidéo était pour moi la manière la plus simple que ça se diffuse sur toutes les plateformes digitales. Et en plus, pour moi, c’était important qu’on ait les vêtements qui soient en mouvement et montrer leur réalité de la manière la plus précise. Cela permet aussi de proposer une perception plus vivante qu’un simple look book.

ELLE. Justement, la présentation de la collection est comme un shoot de dynamisme, de joie et d’insouciance, presque un doigt d’honneur à l’époque actuelle sur fond de Bryan Ferry….

Julien Dossena : « L’héritage Paco Rabanne a infusé en moi »

Julien Dossena. Au départ, on s’est demandé « où est-ce qu’on pouvait trouver du plaisir dans cette situation justement ? » Finalement le plaisir ne se trouvait pas dans les interactions avec les autres, parce qu’on n’a pas la possibilité de le faire. Ce qu’on a voulu montrer c’est cette espèce de joie un peu naïve et très énergisante qu’on peut ressentir lorsqu’on a est adolescent et qu’on se met à sauter sur un lit. Ou à tout âge, d’ailleurs, même maintenant vous me demandez de sauter sur un lit je suis immédiatement heureux. Il y a cette idée de trouver de la joie même tout seul et isolé. On recherche aussi le moyen de donner aux gens ne serait-ce qu’un sourire.

ELLE. Vous arrivez à cultiver votre identité personnelle tout en respectant l’héritage stylistique de la maison Paco Rabanne. Comment on réussit cet exercice d’équilibriste ?

Julien Dossena. Au départ, j’étais plus analytique. Au départ, lorsque je suis arrivé, j’ai fait un gros travail d’adaptation et de choix presque éditoriaux. Et petit à petit l’approche se fait plus naturelle et cette maison s’est faite mienne. J’ai adapté ma vision et celle de son fondateur de manière naturelle. Aujourd’hui, je ne me pose même plus la question de ce que devrait être Paco Rabanne parce que j’ai la sensation que je me suis construit en même temps que je construisais cette maison, don c’est comme si cet héritage avait infusé en moi. Maintenant c’est beaucoup moins analytique et beaucoup plus instinctif.

ELLE. On dit souvent que la mode est le reflet de la société. Après tant d’années, la mode peut-elle encore provoquer ?

Julien Dossena. Je ne sais pas si c’est vraiment l’idée d’une provocation au sens littéral du terme que la mode recherche… Le mot me paraît un tout petit peu anachronique maintenant. Cela peut être une résonance plus forte de la société sur laquelle on va appuyer pour le mettre en lumière par exemple, cela peut être une anticipation de ce qu’on pressent, de sujets qui vont énerver, être débattus les prochains mois…Une question posée aussi sur un état sociétal permet aux gens de s’interroger là-dessus. La provocation est presque la mission finale de la proposition, c’est-à-dire accompagner les gens dans leur combat, dans leurs questions…

ELLE. Pendant le second confinement, vous avez partagé sur Instagram un extrait d’un ouvrage de Jean Genêt avec cette citation « Nous créons le monde ». Vous pensez que tout sera à recréer après cette crise ?

Julien Dossena. Recréer, je ne crois pas. En tout cas, je pense que c’est comme un accélérateur en termes de création et d’avancée sociale qui était déjà en marche. C’est-à-dire des débats qui n’étaient plus questionnables ou discutables. Et je pense que cette crise, si tant est qu’elle ait un aspect positif, a pu faire accélérer ces engagements-là. Don forcément il y aura des choses à créer ou recréer. Mais d’un point de vue politique et sociétal, il s’est passé tellement de questions et d’oppositions qu’il va y avoir une vraie remise en question dès la sortie de crise.

ELLE. Vous avez souvent revisité la fameuse cotte de maille qui fait penser aux grandes guerrières de l’Histoire. Est-ce que dans vos robes on peut y voir une sorte d’armure de la femme moderne ?

Julien Dossena. Oui, c’est vrai. Effectivement, j’ai travaillé différents aspects de cette cotte de maille au fur et à mesure des années. Paco Rabanne lui-même l’a travaillée pour évoquer et exprimer différentes identités. L’armure, en effet, fait partie de ces identités avec la protection voire même l’attaque font partie de ce vocabulaire. Je l’ai beaucoup utilisée l’hiver dernier, c’était une référence assez directe à l’époque médiévale, aux femmes guerrières, combattantes. C’était certainement une envie que j’avais d’exprimer cela parce que je pense que les femmes avaient besoin de passer à l’attaque. L’idée d’une lutte à mener qui nécessite des armes et une armure.

ELLE. Si le jeune Julien Dossena voyait ce qu’il est devenu en grandissant, que dirait-il ?

Julien Dossena. Je ne sais pas… [Il réfléchit]. Comment dire… Je crois qu’il serait étonné et en même temps je pense qu’il serait content qu’il n’ait pas lâché ce qu’il voulait faire étant enfant. En tout cas, la vie qu’il voulait mener. Je lui dirais de ne pas trop s’inquiéter. On va bien s’amuser.

ELLE. Quels sont vos prochains défis chez Paco Rabanne ou ailleurs ?

Julien Dossena. Il y a beaucoup de choses qui arrivent avec les collections, toujours. On va continuer de tenir la barre de cette maison pour la faire grandir et qu’elle sera toujours respectueuse de la vision de son fondateur et de ce qu’elle veut exprimer dans la mode. Après, je serai toujours entouré de mes équipes avec qui j’adore travailler pour qu’elles soient le plus épanouies possible. Personnellement il y a d’autres défis aussi mais il y a toujours des choses à mener de toute façon.