Dès leur création, les labels de « capitale européenne de la culture » et de « capitale britannique de la culture » ont suscité des critiques, ces réserves déjà exprimées dans les années 1980-1990 au sujet des politiques dites de « régénération urbaine ». L’idée même de reconstruire une ville en déclin grâce à la promotion des arts et de la culture a été dénoncée comme une fumisterie, une initiative venue d’en haut et destinée à ouvrir de nouvelles perspectives aux populations culturellement et financièrement privilégiées, mais laissant de côté les classes populaires.
Les événements liés au statut de capitale de la culture ont-ils le potentiel de transformer Hull de façon positive, ou bien constituent-ils un gaspillage d’argent public ? La réponse n’est pas évidente, car les précédents à analyser sont rares. En 1990 et 2008 respectivement, Glasgow et Liverpool ont été nommées « capitale européenne de la culture ». Derry/Londonderry (Irlande du Nord) a précédé Hull en tant que « capitale britannique de la culture » en 2013. S’il est trop tôt pour dresser un bilan de Hull 2017, le processus en cours donne matière à réflexion.
En 2013, l’annonce par le Ministère de la Culture, des Médias et des Sports que Hull allait être nommée capitale britannique de la culture en 2017 provoqua des réactions contrastées. À l’échelle nationale, le choix de Hull fâcha évidemment les villes de Leicester, Luton, Swansea et Dundee, candidates malheureuses au titre. L’hebdomadaire conservateur The Spectator dénigra également ce choix, certain que Hull ne saurait jamais « attirer le monde de l’art et les élites intellectuelles prêtes à soutenir ce dernier, (…) attirer les bonnes personnes, et par conséquent, des capitaux ». Quant au tabloïd The Sun, il intitula son reportage sur le coup d’envoi de Hull 2017 « Capitulation de la Culture » (Scrapital of Culture). À la radio, on entendit qu’il y avait « plus de culture dans la jungle de Calais qu’à Hull » et la liste des commentaires péjoratifs postés sur Internet fut copieuse. Quand ce n’était pas avec moquerie, la nomination de Hull fut reçue avec indifférence : « C’est où, Hull ? », pouvait-on lire à l’envi.
Les réactions locales furent diamétralement opposées. Exprimant un sentiment, moins territorial que social, d’appartenance au Nord, nombre de résidents remarquèrent que le traitement de Hull par les journaux de Londres n’avait rien à envier aux insultes dont Liverpool avait fait l’objet en 2008. La presse locale, notamment le Hull Daily Mail et le Yorkshire Post, sortirent plusieurs éditions spéciales en soutien à l’événement. Et le conseil municipal comme les députés locaux, tous membres du Parti travailliste, saluèrent l’honneur qui était fait à leur ville. Les injures lancées à la face de Hull donnèrent à Lord Prescott, ancien leader du syndicat national des marins et ancien vice-premier ministre de Tony Blair, une occasion rêvée de ruer dans les brancards. Au fond, bien des habitants de Hull estimèrent que la nomination constituait une forme de revanche sur l’arrogance du Sud et sur des décennies de vaches maigres.
La notion de culture n’est pas de celles qu’on associe a priori à Hull. Est en cause l’histoire de la ville, cité portuaire dont les historiens situent l’âge d’or entre la fin de l’ère victorienne et la Belle Époque, lorsque Hull était riche de ses échanges avec l’Europe. On y importait du blé de Russie, du bois et du fer de Scandinavie. La Grande-Bretagne y exportait son charbon et ses produits manufacturés vers le reste du monde. Depuis, Hull a connu de nombreux traumatismes. La ville a pâti tour à tour de la Grande Dépression dans les années 1930, des bombardements allemands durant la Seconde Guerre mondiale, et des crises qui ont frappé les secteurs de la pêche et de la construction navale dans les années 1970. La ville n’attire aujourd’hui guère les touristes et n’apparaît dans aucun guide de voyage français consacré au Royaume-Uni. Son nom demeure associé au proverbe « Hull, Halifax, et l’enfer » (Hull, Hell and Halifax) et évoque des images de bâtiments à demi éventrés par les bombes, de sinistres immeubles d’après-guerre, de terrains vagues post-industriels... Ni patrimoine, ni culture en vue.
Ces clichés déprimants sont hélas largement confirmés par les statistiques actuelles. La ville a en effet violemment souffert de la crise bancaire de 2008. En 2016, sur 259 000 habitants, 170 900 étaient en âge de travailler, mais seulement 114 100, soit 67,5 %, bénéficiaient d’un emploi. Le nombre de demandeurs de l’allocation chômage est passé de 15 000 à 6000 entre 2013 et aujourd’hui, mais ces chiffres restent supérieurs à la moyenne britannique, surtout chez les jeunes. Avec un salaire moyen de 359 livres sterling par semaine (soit environ 450 euros), les travailleurs de Hull gagnent 38 livres (ou 43 euros) de moins que la moyenne nationale. L’immobilier et les loyers mensuels sont en moyenne moitié moindres que dans le reste du pays. Quatre familles sur dix n’ont pas de véhicule. Avec 76 ans d’espérance de vie pour les hommes et 80 pour les femmes, Hull se situe trois années en dessous de la moyenne nationale, et ces chiffres montent à dix années pour les quartiers les plus pauvres de la ville. On comprend dès lors pourquoi Hull peine à avoir l’image d’une ville « dans le vent ».
En dépit de cette réalité, Hull possède sa propre culture, patrimoine moins élitiste que populaire qu’elle a su mettre en avant lors de sa candidature. Dans le domaine littéraire, les noms d’Andrew Marvell, Winifred Holtby et Philip Larkin sortent du lot. Dans le domaine du cinéma, ceux de l’acteur Tom Courtenay et du réalisateur Anthony Minghella. Mais Hull se démarque avant tout par son apport à la musique pop, depuis les Spiders from Mars, qui accompagnaient David Bowie durant sa période Ziggy Stardust, jusqu’à Throbbing Gristle, groupe pionnier de la musique industrielle, et à des formations plus grand public (Everything But The Girl, Fine Young Cannibals, Housemartins, Beautiful South). La culture de Hull ne saurait être évoquée sans mentionner le sport. La ville possède deux clubs de rugby à XIII (l’un pour les quartiers est, à l’origine lié à la communauté des dockers, et l’autre pour l’ouest, lié autrefois aux marins-pêcheurs), et un club de football, Hull A.F.C., que ses supporters nomment simplement « City ».
Malgré l’absence d’icônes nationales ou internationales, les habitants de Hull n’estiment pas que le titre de capitale britannique de la culture a été usurpé. « On a toujours su qu’on était cultivé, c’est juste que le monde n’était pas au courant », a déclaré avec malice le documentariste Sean McAllister. La population concède que sa culture est sans doute un peu « brute » mais c’est pour mieux insister sur son côté « authentique ». La vidéo promotionnelle filmée pour concourir au titre de capitale de la culture a précisément mis l’accent sur les messieurs et mesdames tout-le-monde et le sentiment de convivialité qui les unit, plutôt que sur des individus hors du commun. Même avec un regard critique, difficile de ne pas succomber au charme de cette vidéo, qui présente les « gens ordinaires » comme des individus « extraordinaires ». La population de Hull semble d’ailleurs s’être approprié cette image officielle, comme en témoigna, lors des matchs disputés à domicile, le nouveau cri de guerre des supporters de « City » : « Vous êtes juste là pour la culture ! ».
Une brochure publiée par le conseil municipal, « Stratégie culturelle, 2016-2016 », incarne les rêves de ceux qui ont coordonné les initiatives publiques et privées de 2017. Elle s’ouvre sur une description de ce que Hull pourrait être dans dix ans : « une destination touristique mondiale […] où les gens choisissent de vivre, de travailler, de voyager, d’étudier et d’investir », où un paysage urbain régénéré fait éclore un art de vivre à la scandinave, où « les inégalités en matière de santé sont réduites », où le sport et les arts font partie prenante des programmes scolaires, et où les emplois créés dans le secteur des énergies vertes, portés par une riche offre culturelle, font office d’aimant pour une population de travailleurs hautement qualifiés. [1]
Sont listés et remerciés l’ensemble des « partenaires principaux » venus du secteur public, comme l’Arts Council, le Heritage Lottery Fund, le conseil régional du Yorkshire de l’Est, la BBC ou l’Université de Hull, ainsi que des « partenaires majeurs », privés ceux-là, tels que l’association des ports britanniques (ABP), BP, Siemens, le conglomérat local Sewell, les ferries P&O, ou encore le fabricant de matériel médical Smith & Nephew. En 2016, le projet prévoyait un investissement global de 106 millions de livres, dont 32 millions alloués au programme culturel, et 25 millions destinés à la réhabilitation du centre-ville. L’essentiel de ces fonds venait de la mairie, pas du gouvernement britannique. On estimait que si Hull parvenait à attirer plus d’un million de visiteurs (chiffre atteint en août 2017), 60 millions de livres seraient injectés dans l’économie locale.
Cependant, même ceux qui avaient accueilli positivement la consécration de Hull peinaient à croire que le statut de capitale de la culture 2017 allait transformer la ville en profondeur. Le principe du partenariat public-privé (cher au New Labour) sur lequel repose l’événement a rarement fait ses preuves dans les faits, avec une tendance lourde à la collectivisation des pertes et à la privatisation des profits. On voyait bien comment les intérêts privés et les acteurs politiques pouvaient profiter de l’opportunité économique. Mais les retombées du côté des habitants les plus modestes étaient moins évidentes. Comme résumé par J. Heath dans GQ, Hull 2017 pourrait s’avérer être « une opération ruineuse », « un coup de pub […] destiné à minimiser l’impact de la politique gouvernementale de coupes budgétaires sur l’ensemble de la ville […]. Résultat : on redore l’image des pouvoirs publics et on détourne l’attention des vrais problèmes à régler ».
Les organisateurs ont eu beau annoncer une série d’événements aussi « épiques » que « magiques », en janvier 2017, 20 % des habitants déclaraient que les événements de Hull 2017 ne les intéressaient « pas du tout ». Pourtant, le programme était divisé en quatre trimestres dont les intitulés se voulaient exaltants : « Fabriqué à Hull » (Made in Hull, janvier-mars) ; « Routes et racines » (Routes and roots, avril-juin) ; « Liberté » (Freedom, juillet-septembre) et « Dites-le au monde entier » (Tell the world, octobre-décembre). Mais ces titres accrocheurs, à bien des égards décalés par rapport à la réalité de la cité, font toucher du doigt les limites du label « capitale britannique de la culture », comme si du miracle au mirage il n’y avait qu’un pas.
Il est logique que les organisateurs de Hull 2017 aient mis en avant le thème de la « liberté » dans la ville qui vit naître William Wilberforce, champion de la lutte contre le commerce triangulaire et l’esclavage. On peut cependant critiquer la tendance à commémorer Wilberforce de façon consensuelle. Or le célèbre député, opposé au suffrage universel, refusait également les revendications du mouvement ouvrier naissant. Son combat en faveur du « travail libre » n’était pas celui de l’égalité sociale. L’amour de la liberté des députés que se donnèrent les électeurs de Hull au cours du 19e siècle aurait aussi mérité d’être interrogé. L’idéal de ces libéraux, porte-paroles des armateurs et des négociants, n’était pas la liberté pour tous : liberté pour les riches contribuables de ne pas payer les impôts qui auraient pu améliorer les infrastructures publiques ; liberté pour les armateurs de briser les grèves des dockers et des marins-pêcheurs en embauchant ceux qu’ils nommaient les « travailleurs libres », soit les membres des syndicats jaunes. [2]
Est également gênante la sponsorisation des événements de 2017 par des grandes entreprises au passé politique douteux – telles que Siemens, qui finança le parti nazi et exploita des travailleurs juifs au sein du camp d’extermination d’Auschwitz, ou encore BP, qui soutint le renversement du président iranien Mossadegh en 1953. Mais parce que Siemens a ouvert une centrale éolienne à Hull en 2016, avec la promesse de recrutements au sein de la population locale, parce que BP aussi est un pourvoyeur d’emplois, certaines vérités ne sont pas bonnes à dire.
On pourrait aussi mentionner l’entreprise Reckitt-Bensicker. Son directeur T.E. Ferens donna son nom au musée des beaux-arts de Hull, dont il fut fondateur et mécène. Mais ce quaker paternaliste fut aussi impitoyable que les autres patrons lorsque ses ouvrières firent grève pour la première fois en 1911. De quelle sorte de culture les pouvoirs publics font-ils donc la promotion, lorsqu’ils s’interdisent d’irriter leurs « partenaires financiers » ? C’est vider le mot « liberté » du sens changeant et disputé qu’il a pu revêtir au cours de l’histoire. Et ce n’est pas poser les « fondations solides » que les hérauts de Hull 2017 prétendent offrir à leur public.
Au printemps 2017, le thème « routes et racines » était censé symboliser la double identité de Hull : jalouse de son indépendance, en même temps qu’ouverte au monde. Cela faisait écho au souhait des autorités municipales de présenter la ville comme une « porte d’entrée vers l’Europe » et « la plus scandinave des villes britanniques ». Nombre de spectacles et d’expositions ont en effet célébré les échanges et la mixité, qu’elle soit ethnique, nationale, religieuse ou culturelle. Paradoxalement, lors du référendum tenu en 2016, Hull a été l’une des villes britanniques à voter le plus massivement en faveur du Brexit. Qu’a-t-elle donc à « dire au monde entier » ? Ce vote, comme dans les autres régions pro-Brexit, a reflété un sentiment de méfiance vis-à-vis de l’Europe et des Européens, voire un rejet des étrangers. Six mois avant l’ouverture de Hull 2017, le référendum est venu rappeler la rancœur et l’inquiétude d’une large frange de la population, sentiments basés sur des réalités matérielles et des représentations mentales que les initiatives culturelles et artistiques, aussi généreuses soient-elles, ont peu de chance de corriger.
À Hull, 75 000 personnes (70 %) se sont prononcées en faveur du Brexit, soit plus du double des partisans du maintien dans l’UE. Ce pourcentage dépasse largement celui du Royaume-Uni, où le Brexit l’a emporté à hauteur de 51 % des suffrages seulement. Dans une ville où les travaillistes ont pendant des décennies recueilli la majorité des voix, tant aux élections municipales qu’aux législatives, on ne peut y voir un choix en faveur du Parti conservateur, et il s’est agi plutôt d’un vote contre le gouvernement Cameron. Surtout, le vote pro-Brexit à Hull – nourri de craintes irrationnelles attisées par le UKIP et les tabloïds – peut être comparé au basculement du nord de la France dans le camp du Front National, ou à la victoire de Trump dans la Rust Belt. Car les racines en sont similaires.
Les travailleurs de Hull ont souffert, dans les années 1970-1980, de la transformation du secteur portuaire. Les emplois qui ont ensuite émergé dans le tertiaire étaient pour la plupart temporaires et mal rémunérés. Bien que Hull et le bassin de la Humber forment encore une remarquable plaque tournante maritime, celle-ci embauche bien moins qu’avant, d’où le sentiment que le port est en déclin, notamment par rapport à Rotterdam et Anvers. Ces villes sont accusées d’avoir capté des activités que Hull aurait dû conserver, argument qui a encouragé le sentiment anti-européen. Depuis 2004, l’immigration venue d’Europe de l’Est, sans être massive, a transformé la composition ethnique de Hull, mutation qui – avec le renfort de la propagande xénophobe de la presse à scandale – a pu inciter des habitants à se prononcer en faveur du Brexit.
Les explications sociologiques doivent toutefois être nuancées. Oui, les circonscriptions populaires de East et West Hull ont massivement voté en faveur du Brexit. Mais il en a été de même dans les villages cossus situés à l’ouest de Hull, tels qu’Anlaby ou Ellerby (communes que les classes aisées de Hull ont depuis longtemps préférées à la cité), non par rejet du gouvernement, mais parce que ces populations s’identifient aux franges les plus réactionnaires du Parti conservateur. Même si l’électorat de Hull n’a pas été unanime dans son rejet de l’Europe (après tout, 49 % des inscrits se sont abstenus), les résultats d’ensemble donnent bien l’impression d’une ville plus « enracinée » qu’ « en route ». La participation aux festivités programmées pour l’année de la culture (idée venue à l’origine de l’UE, et recyclée au Royaume-Uni par les gouvernements New Labour) ne saurait être interprétée comme une marque d’euro- ou de xénophilie.
Le programme établi par les maestros de Hull 2017, avec son insistance sur la cohésion citoyenne et son leitmotiv « penser positif », a laissé peu de place à des perceptions plus dérangeantes du Hull d’hier et d’aujourd’hui. Mais certains artistes et bénévoles ont fait des efforts pour proposer un discours moins aseptisé. La performance vidéo We Are Hull, écrite par Rupert Creed, en est un bon exemple, avec sa projection sur Victoria Square d’images retraçant les heures les plus sombres de l’histoire de Hull. Dignity of Labour, le documentaire de Sean McAllister sur les demandeurs d’emploi, a fait forte impression à ceux qui ont eu la chance de le voir. L’historien Brian Lavery a également joué un rôle-clé dans la production d’une vision de Hull « par en bas », à travers ses hommages à Lillian Bilocca, la « révolutionnaire au foulard » qui fit campagne en 1968 pour améliorer la sécurité des marins-pêcheurs sur les chalutiers après une série de trois accidents mortels. RUSH, enfin, constitua une tentative captivante d’allier ambition artistique et interaction avec la population locale. [3]
À Hull comme ailleurs, l’année de la culture a obéi aux mêmes logiques qui sous-tendirent la vague de renouvellement urbain des années 1980, avec la mise en valeur des centres historiques, du commerce et du tourisme. Les exemples ci-dessus démontrent néanmoins qu’il existe des artistes, des intellectuels et des habitants qui, sans refuser d’obéir aux règles du jeu, sont capables de les subvertir afin de déjouer les stéréotypes, et d’imaginer ainsi un « monde à l’envers ». De fait, le sacre de Hull en 2017 a été un événement si bienvenu que le besoin d’organiser des événements en off ou un contre-festival ne s’est apparemment pas fait sentir. Mais, comme ce fut le cas à Glasgow, Liverpool et Derry / Londonderry, un discours alternatif est cependant parvenu à se frayer une voie, discours qui explore les contradictions au cœur de l’identité de Hull plutôt que d’en dresser un portrait faussement homogène.
Quel sera l’héritage de Hull 2017 ? Pour beaucoup, resteront des souvenirs plaisants à foison, ce qui n’est pas à négliger dans une ville où « les temps sont encore durs ». [4] Les événements de 2017 ont été l’occasion pour de nombreux habitants de découvrir de nouvelles formes d’art, de pratiquer de nouvelles disciplines artistiques, de s’investir dans le bénévolat – autant d’expériences individuelles et collectives qui, sans avoir le pouvoir de « changer la vie », peuvent ouvrir de nouveaux horizons.
Pourtant, l’héritage le plus tangible de Hull 2017 risque de demeurer cantonné aux classes les plus favorisées. Si elle se poursuit après 2017, la volonté de changer l’image de marque de la ville pourrait faire grimper les prix de l’immobilier, mais seulement dans les zones attractives que sont le cœur historique de Hull, ou encore le quartier des grandes avenues et de l’université. Les quartiers défavorisés de Bransholme, Southcoates East et Orchard Park seront laissés de côté. Si une forme de gentrification se met en place (et Hull en est encore loin), les futurs gagnants sont déjà connus.
L’Année de la Culture a été vendue par ses promoteurs comme porteuse de renouveau économique et de cohésion sociale. À juste titre ? À ce stade, une réponse circonspecte s’impose. Les villes élues par le passé n’ont été métamorphosées qu’en surface. Qui plus est, l’objectif de transformer Hull en une ville « compétitive » par le biais de la culture procède d’une philosophie pro-business dont on voit mal comment elle pourrait conduire à une société plus prospère et solidaire, à moins d’adhérer à la théorie du ruissellement – et d’imaginer que Hull puisse s’abstraire du marasme économique ambiant par la seule grâce de l’activisme culturel.
Pour affronter la crise actuelle et les sacrifices que vont continuer d’exiger d’eux les décideurs politiques et économiques, il est cependant une autre culture sur laquelle Hull et ses citoyens de seconde classe pourraient prendre appui : une culture de résistance et de solidarité forgée au fil des décennies dans les combats des dockers et des marins, des ouvrières et des ménagères – une culture où l’internationalisme, d’ailleurs, tient une grande place [5]. Certes, le souvenir des luttes sociales a trouvé peu de place dans la programmation culturelle de 2017, car il serait allé à contre-courant d’une stratégie marketing faite pour attirer les investisseurs. Il n’en mérite pas moins d’être entretenu.