• 28/03/2022
  • Par binternet
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Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale : Nickel<

De l'ombre à la lumière. En passant au Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro le 2 décembre dernier après avoir participé au Monde d'après sur France 3, Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale, a franchi le Rubicon. Peu de patrons, encore moins de banquiers, se risquent dans ce type d'émission grand public. A 49 ans, le successeur de Daniel Bouton a décidé de sortir du bois pour faire de la pédagogie sur les banques et l'économie.

Cet homme accessible mais réservé, polytechnicien et inspecteur des Finances, a fait jusqu'à présent un parcours sans faute. "Frédéric Oudéa? C'est un bon camarade, bien dans sa tête, facile à vivre, je ne crois pas l'avoir vu un jour énervé", confie Pierre Mariani, ex-patron de Dexia. "Faire son portrait revient à exploiter les aspérités d'un objet lisse", prévient un de ses anciens compagnons de l'ENA.

«Plus physique que cérébral»

Bigre aurait-on affaire à Monsieur Parfait? "Il l'est au moins dans sa gestuelle, juge Stephen Bunard, synergologue, qui intervient à l'ENA et à l'université Paris-Dauphine, et a observé la prestation de Frédéric Oudéa au Grand Jury. Les gestes, de dominant, sont parfaitement en accord avec le discours. Il est contrôlé, mais ce n'est pas un monstre froid." De taille moyenne, râblé torse puissant... On se dit qu'il y a peut-être quelque chose à chercher du côté du sport. "Je suis plus physique que cérébral", reconnaît étonnamment le banquier, passionné de football. "Nos vacances régulières sur les plages de La Baule-les-Pins, bien tranquilles à l'époque, donnaient lieu à des parties endiablées, raconte Jean-Baptiste Oudéa, son jeune frère, installé à Singapour. C'est là qu'il a développé le goût de ce sport et où il a très tôt pris ses marques de capitaine." A l'époque, sa famille - un père gastro-entérologue, une mère chercheuse à l'Inserm, puis à l'Agence nationale de recherche sur le sida - est installée à Nantes et passe ses week-ends à La Baule.

Plus tard, dans les années 1990, on retrouve Frédéric Oudéa meneur de jeu de l'équipe de foot des anciens de l'ENA. "Il était souvent capitaine, se souvient Guillaume Cerutti, président de Sotheby's France. Il n'était pas expansif mais son abattage et son abnégation faisaient qu'il était très aimé, très respecté." Frédéric Oudéa joue une ou deux fois par semaine jusqu'en 1997, date à laquelle il se blesse au genou et doit se rabattre sur le tennis. Un sport qu'il pratique avec son épouse l'ancienne championne Amélie Castera (Essec, ENA), directrice du marketing à Axa. "Ce qui est bien, c'est que je peux jouer avec elle sans retenir mes coups", s'amuse-t-il. Quant au foot, Frédéric Oudéa le pratique encore au moins une fois par an avec l'équipe de l'inspection des Finances. Histoire de battre la Cour des comptes...

Voilà donc un financier qui ne pratique pas le golf. Ni le rugby un sport depuis longtemps associé à la Société générale. Patron du CAC 40, il ne va même pas à l'Opéra! "En revanche, j'aime beaucoup la Salle Pleyel", s'excuse-t-il presque. Il parraine aussi le festival de musique classique Moments musicaux de Gerberoy, village picard où se trouve la maison familiale. "Il est très simple, dans le sens le plus sain et le plus convivial du mot, explique Nicolas Dautricourt, violoniste renommé, qui organise la venue des artistes au festival. Je n'ai besoin que de cela: quelqu'un d'attentif qui soutient notre action."

La larme du sphinx

Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale : Nickel

Loin de la musique qui adoucit les moeurs, Frédéric Oudéa a été propulsé aux commandes de la Société générale dans le bruit et la fureur. Il était directeur financier lorsque, début 2008, éclate l'affaire Kerviel qui élimine Jean-Pierre Mustier, son concurrent le plus sérieux au sein de l'organigramme. Dès mai 2008, il est nommé directeur général. Lorsque la décision est annoncée au comité de direction du groupe, Frédéric Oudéa ne peut retenir une larme. C'est la seule fois où il laissera transparaître une émotion. On le comprend, la Société générale, qui avait aussi investi massivement dans les subprimes, était alors au bord du gouffre. Un an plus tard, il est nommé PDG, alors que Daniel Bouton, son mentor, doit démissionner. A l'été 2011, une violente attaque boursière remet la banque au tapis...

Ces années de navigation périlleuse ont sans doute compté triple pour cet homme courageux - il a un peu grossi s'est un peu dégarni -, resté calme alors que le typhon s'abattait sur le navire. Impassible dans la tourmente, Frédéric Oudéa l'est aussi sur des eaux plus tranquilles, à tel point que les salariés de la Société générale ont du mal à se reconnaître dans ce patron qu'ils qualifient de "sphinx" tant il est difficile de savoir ce qu'il pense vraiment. Depuis qu'il a exprimé, le 15 novembre dernier aux entretiens de l'Autorité des marchés financiers, sa crainte que les banques françaises soient bientôt semblables à des "canards à tête coupée", il a hérité d'un nouveau sobriquet en interne: certains facétieux le surnomment Lecanard.com, lui reprochant d'être trop dans la communication.

Son autre surnom, Hugo Boss, fait référence au look toujours parfait de Frédéric Oudéa, bien placé dans un récent classement mondial des "managers sexy". "Je m'étonne que cette information parue sur Internet ait fait autant de buzz", dit le PDG, pas vraiment mécontent de la chose... Sexy? En tout cas, il porte des costumes Ermenegildo Zegna, les seuls dont la coupe convienne à sa stature. "Mais je ne suis pas du tout tendance, ajoute-t-il aussitôt. J'ai encore des affaires d'il y a quinze ans, notamment des chemises achetées quand j'étais à Londres."

"Ni dur ni insensible"

Il faudrait plus que des surnoms pour perturber l'inoxydable patron de la Société générale qui a le tutoiement facile, mais reste un bloc de granit. "Je ne suis ni dur ni insensible, mais je ne surjoue pas dans le registre de l'émotion, finit-il par reconnaître. Je suis dans le respect, et je n'ai pas d'ego surdimensionné." Il fait même des efforts pour paraître sympathique. Tous les trois mois, il organise un dîner pour les 55 membres du comité de direction. Les nouveaux entrants doivent chanter une chanson de leur choix. "Cela met une bonne ambiance", assure Frédéric Oudéa. Lui-même peut alors pousser la chansonnette - il a d'ailleurs failli participer à l'une des trois chorales de la Société générale. Très années 1980, il aime Jean-Jacques Goldman et Michel Berger, notamment Le Paradis blanc. Une chanson régressive où Berger rêve d'un univers "comme avant, comme dans mes rêves d'enfant".

Ceux du jeune Frédéric Oudéa ont été brutalement assombris par la mort de son père en 1976, suivie d'autres décès familiaux. Il avait alors 13 ans et deux frères plus jeunes que lui. "Les Noëls de notre petite enfance correspondaient souvent au deuil d'un parent d'une famille plutôt peu étendue, nous obligeant à remettre beaucoup de choses à leur juste valeur", se souvient Jean-Baptiste Oudéa. C'est alors que l'aîné de la fratrie, sans doute devenu adulte trop tôt, s'est blindé. Il acquiert la conviction absolue de la fragilité de l'existence et développe le sentiment impérieux qu'il faut se concentrer sur l'essentiel et négliger les futilités. Ne pas perdre une seconde d'une vie qui peut être courte et consacrer toute son énergie à un objectif: "Make the most of each day". "Il est comme ça dès le matin, cela peut être fatigant", avoue l'un de ses proches.

Résistant au stress

Frédéric Oudéa ignore les chemins de traverse, passe son bac à 16 ans, se retrouve polytechnicien et inspecteur des Finances à 24. Dans le modèle maternel - sa mère, veuve, a élevé seule ses trois fils tout en menant sa carrière de chercheuse -, il a certainement puisé son énergie et sa capacité de résistance au stress. En 1993, il rejoint l'équipe de Pierre Mariani, alors directeur de cabinet d'un jeune ministre du Budget, Nicolas Sarkozy. Là, il est en charge des Affaires sociales, européennes et agricoles. Ce qui lui vaudra d'être décoré... du Mérite agricole!

Frédéric Oudéa se souvient d'un autre contact avec le monde paysan. "J'ai fait mon service militaire dans l'artillerie nucléaire, remémore-t-il. La nuit, il fallait sortir un char de 30 tonnes, l'armer d'un missile Pluton, et le faire avancer dans les champs. Je devais discuter avec les agriculteurs pour leur demander de mettre un champ à disposition." Aucun récit épique d'une poursuite nocturne du jeune polytechnicien par un paysan armé d'une fourche ne suivra: "Je recevais un très bon accueil", affirme celui pour qui, par principe, la vie est belle.

C'est en 1995 que Frédéric Oudéa croise son vrai destin: il est repéré par Daniel Bouton et rejoint la Société générale, où il est formaté comme étant l'un des hauts potentiels susceptibles de diriger un jour l'établissement. Envoyé à Londres, où sa passion du foot l'aide à "socialiser", il revient à Paris comme responsable de la supervision et du développement du département actions. "Après le krach des valeurs Internet de 2000-2001, on m'avait demandé de renforcer mon équipe de direction, se souvient Vincent Taupin, alors à la tête de la filiale Fimatex, aujourd'hui président d'Alma Consulting Group. Je voulais récupérer Frédéric Oudéa. On m'a fait comprendre qu'il était promis à un autre destin."

En 2003, Oudéa est nommé directeur fnancier du groupe. Trop haut, trop vite? "Il aurait dû ne rester qu'un an ou deux à ce poste, puis être nommé patron du réseau France, juge un ancien administrateur du groupe. Il aurait alors acquis une très forte légitimité." Un inspecteur des Finances affecté à la banque de détail? Impensable sans doute pour Daniel Bouton...

Si les fantassins du réseau ne se reconnaissent pas dans ce parcours météorique, d'autres reprochent aussi à leur général d'avoir mal choisi sa garde rapprochée. Avoir bombardé des personnalités extérieures - notamment Bernardo Sanchez Incera, venu de Monoprix - au sein du comité exécutif sans chercher à valoriser les ressources internes crée un certain malaise. "Dans Paris, il se murmure qu'il n'est pas assez bien entouré, qu'il n'a pas assez de poids lourds autour de lui", indique le même administrateur. "J'assume ce choix managérial, c'est nécessaire pour promouvoir la diversité, faire respirer l'organisation, rétorque Frédéric Oudéa. Une banque internationale dont le comité exécutif ne comprend ni femmes ni étrangers ne me semblerait pas correctement dirigée." Cette volonté d'ouverture ne va pas jusqu'à recruter des autodidactes: sur les douze membres du comité exécutif, cinq sont polytechniciens, et sept sont passés par Science-Po ou l'ENA. "A part Jean-François Sammarcelli, aucun ne sait remplir un dossier de crédit", persifle un directeur d'agence.

"Les salariés peuvent être critiques, rétorque Alain Minc, mais au moins ils sont vivants!" Ils ont même fait grève le 8 janvier. La Société générale, elle, est toujours là, alors que les concurrentes européennes censées la dévorer toute crue sont mortes ou en piteux état. Sauf BNP Paribas, l'éternelle rivale, et Banco Santander. "Je n'ai qu'un objectif: faire sortir la Société générale par le haut de cette période très difficile", affirme Frédéric Oudéa. Méthodique, travailleur et organisé, il a fait passer la crise à sa banque. Et maintenant? Gérer 130.000 salariés et redonner la fierté à ce corps social traumatisé et nostalgique est son nouveau défi. Et cette fois, il a du temps.