• 02/03/2022
  • Par binternet
  • 790 Vues

Des souliers toutes options<

Par Valérie Guédon Publié , Mis à jour

La personnalisation se multiplie dans la chaussure pour homme, chez les bottiers comme dans les griffes de mode.

Au début des années 2010, l'arrivée de maisons de tradition sur les podiums a donné naissance à toute une vague de personnalisation dans le prêt-à-porter masculin. Du luxe au moyen de gamme, de nombreuses marques ont simultanément lancé des services de demi-mesure, «made to order» ou «tailored made». Quelques saisons plus tard, cette tendance à la pièce unique semble rebondir sur les souliers.

De retour chez Ermenegildo Zegna comme directeur artistique de l'ensemble de la maison, Alessandro Sartoricommence par développer un service de chaussures réalisées à la demande, en tandem avec le bottier anglais Gaziano & Girling (nos éditions du 10 novembre). À partir de janvier prochain, Gucci offrira la possibilité de sélectionner les patchs et les broderies qui décoreront vos futures baskets, voire la couleur du mors des mules ou des mocassins remis au goût du jour par Alessandro Michele.

Depuis la rentrée, Prada met en place un service itinérant de customisation de sa paire de brogues emblématiques montées sur des semelles épaisses en corde. Également le très chic Berluti propose de tatouer les motifs du défilé de la saison sur la paire de son choix. «La personnalisation se développe dans les souliers car l'homme est assez friand de ces petits détails égoïstes, analyse Jérémy Grodenic, acheteur au Bon Marché. Il peut ainsi accéder à toutes les options de la même manière que pour une voiture.»

« Les messieurs éprouvent pour les chaussures la même fascination de petit garçon que devant une mécanique automobile »

Un plaisir personnel que le bottier parisien Pierre Corthay satisfait depuis 1990: «Les messieurs éprouvent pour les chaussures la même fascination de petit garçon que devant une mécanique automobile ou horlogère, mystérieuse et complexe, et qui, cerise sur le gâteau, peut les faire briller dans les dîners.» Ce goût croissant pour les souliers uniques - jusqu'aux baskets - justifie le regain des services de personnalisation chez les chausseurs traditionnels.

En septembre, Salvatore Ferragamo a dévoilé Tramezza, une ligne exclusivement réalisée selon les desiderata du client. À partir de trois classiques de la maison, celui-ci peut obtenir un spécimen personnalisé en modifiant la qualité et la couleur de la peausserie, le style des boucles et d'autres finitions. Avant l'été, c'était son confrère italien Santoni qui lançait, sur son e-shop, l'espace #MySantonicolours permettant de customiser la Carter, un derby à double boucle, à travers seize coloris pour la tige entière ou différentes parties. On peut également citer Fratelli Rossetti, qui met à disposition une palette d'une trentaine de teintes appliquées selon sa technique dite Toledo, un tamponnage de la couleur à la main qui rend chaque pièce unique.

Une expérience grisante

«Ces services aident les marques à améliorer leurs relations avec la clientèle tout en surfant sur les nouveaux modes de consommation toujours plus individualisés, observe Jérémy Grodenic. Il y a évidemment du marketing dans tout cela. La customisation réactualise des modèles emblématiques sans prendre trop de risques. On donne la parole au client, qui va lui-même redonner une seconde jeunesse à une paire dont il modifie le cuir, la couleur ou la patine… Ces changements n'altèrent surtout pas la forme, qui compte des adeptes de longue date.»

En outre, imaginer ses propres souliers serait une expérience grisante. Un exercice que Tim Little, le propriétaire du chausseur Grenson, qui a mis en place G-Lab, un service de personnalisation digne des meilleurs garages de tuning automobile, tient cependant à encadrer. «Même si cela peut être très excitant, on ne s'improvise pas designer d'une minute à l'autre. Le consommateur peut se sentir subitement perdu face à la multitude de possibilités. Le conseil du vendeur est fondamental.»

Ce vénérable chausseur anglais peut s'autoriser un tel service de fabrication à la pièce grâce à sa manufacture d'une soixantaine d'artisans

Ce vénérable chausseur anglais peut s'autoriser un tel service de fabrication à la pièce grâce à sa manufacture d'une soixantaine d'artisans, non loin de Northampton. Une organisation modulable proche de celle de la maison parisienne Aubercy, qui n'hésite pas à suspendre ses réalisations pour des commandes plus spéciales. «Notre singularité est que nous sommes une petite structure familiale avec une capacité de production limitée mais extrêmement qualitative, explique Xavier Aubercy, quatrième génération à la tête de ce repère des aficionados de l'élégance bien chaussée, sis rue Vivienne, à Paris, depuis 1935. On peut plus aisément s'adapter à des ordres particuliers et produire des créations singulières. Cela va d'un consul honoraire du Malawi qui voulait des derbies aux couleurs de son pays d'adoption à un architecte venu avec son esquisse, en passant par un client qui souhaitait un modèle à double boucle différent des standards. Avec chacun d'entre eux, nous avons à quatre mains façonné une chaussure originale.»

Non loin de là, dans le même IIe arrondissement, rue Volney, Pierre Corthay applique, lui aussi, la souplesse de son savoir-faire dans le sur-mesure à ses collections de prêt-à-chausser. Comptez tout de même plus de 1.500 euros pour une paire modifiée par ses soins! «Vous pouvez porter un costume vaguement adapté en demi-mesure et avoir un semblant d'allure. En revanche, les chaussures ne supportent pas l'à-peu-près. C'est un équilibre fragile, une chose en mouvement qui subit les pires agressions tout au long de sa vie. Un détail change et tout est bouleversé», décrit-il pour justifier les prix. Un autre point de détail qui alimente les conversations de ces messieurs à propos de leurs souliers personnalisés.