"L'Italie est un marché spécial pour le champagne. Les Italiens sont des consommateurs avertis, avec un goût prononcé pour les produits de terroir et une prédilection pour les marques. Ils boivent des barolo, des brunello, des Sassicaia. Pas des pinots ou des chardonnays. Pour eux, le champagne est synonyme de territoire, de qualité et de célébration" : les " bollicine " (bulles en italien) n'ont aucun secret pour Chiara Giovoni, sommelière et écrivain spécialisée dans le vignoble. En septembre dernier, cette Milanaise de 34 ans, vive et enjouée, a été élue par un jury de professionnels ambassadrice italienne du champagne 2012. Avec 7,6 millions de bouteilles vendues en 2011 et 470 marques présentes, l'Italie est un marché important pour les vins de champagne, le sixième à l'exportation. Les millésimés représentent 7 % des ventes, les rosés 6 % et les cuvées spéciales 5 %. Les grandes marques se taillent la part du lion, avec 86 % du marché, devant les vignerons, 9 %, et les coopératives, 5 %. " Le champagne est un mythe dans ce pays, synonyme de bonne chère et d'un art de vivre sans égal en Europe, si ce n'est en France. À preuve, le succès des millésimes et des cuvées de prestige. Malgré la crise, le marché tient bon. Il avait connu une croissance de 7 % en 2011, la cinquième dans le monde après les États-Unis, la Belgique et l'Allemagne à égalité, et le Japon ", explique Jean-Luc Barbier, directeur général du Comité Champagne dont le siège est à Épernay.
Un résultat flatteur sur les terres des mousseux italiens, le traditionnel spumante et le prosecco léger et pétillant, un marché de 23 millions de bouteilles par an. " Le champagne est la référence absolue ", reconnaît Matteo Bruno Lunelli, président de la maison Ferrari, qui produit des spumante " méthode champenoise " depuis 1902, leader haut de gamme incontesté. " Les Italiens connaissent bien la diversité des vins de champagne ", ajoute-t-il en refusant de les considérer comme des concurrents. " Il y a de la place pour tous sur notre marché ", dit cet oenologue de Trente qui a fait ses études d'agronomie à Montpellier, les a complétées par des stages en Champagne, avant de revenir dans le Trentin où il a amélioré les cépages de chardonnay et de pinot noir. Il reconnaît au champagne un " marketing très innovateur ". " Nous en avons tiré nous-mêmes les leçons. Cela nous a stimulés ", dit-il. C'est ainsi que Ferrari s'est associé au couturier Prada dans ses manifestations à New York et avec le groupe lainier Zegna dans les défilés de haute couture masculine à Pékin.
Le champagne n'est pas en reste. À l'initiative du Comité du vin de Champagne, qui a ouvert une antenne à Milan en mai 1976, une Journée champagne s'est déroulée à Rome le 2 octobre dernier, dans le complexe monumental Santo Spirito in Sassia, à deux pas du Vatican. La plus grande dégustation de champagne en Italie, la deuxième au monde après celle de Londres. Soixante-sept marques étaient présentes, avec 190 cuvées, chaque marque proposant un brut sans année, un millésime et un rosé. Plus de 600 importateurs, distributeurs, cavistes, sommeliers y ont pris part. " J'y ai envoyé mon sommelier. Cela a été très profitable ", déclare le Français Anthony Genovese, chef du Pagliaccio, restaurant deux étoiles de Rome. Devant chaque comptoir, clients potentiels et connaisseurs faisaient la queue, discutant avec les représentants des maisons et savourant chaque cru, distribué au compte-gouttes. Le comptoir de Salon et de sa marque soeur, Delamotte, était pris d'assaut. À preuve que la célébrité n'est pas seulement affaire de volumes vendus. " Nos vins (blanc de blancs, chardonnay) s'adressent à une clientèle exigeante et raffinée. En Italie, nous ne vendons pas plus de 2 000 bouteilles par an, dans des endroits très recherchés comme l'Enoteca Pinchiorri à Florence ", déclare Giocolino Gillardi, importateur de la maison Salon dans la péninsule.
Succès aussi des grands classiques. Pour Stefano Balduzzi, qui distribue Laurent-Perrier, " le public connaît notre marque et lui est fidèle ". Pas de comparaison possible avec un mousseux italien : " Les consommateurs savent faire la différence. " Laurent Perrier est distribué dans les supermarchés Esselunga et organise 100 à 150 dégustations par an auprès des professionnels pour mieux se faire connaître. Même stratégie de Veuve Clicquot, qui multiplie les sessions avec cavistes et restaurateurs, à raison de trente clients potentiels à la fois. Avec sa robe orange, la firme n'a aucun problème pour se faire reconnaître. " Sur le marché italien, elle possède une empreinte affirmée, synonyme de la meilleure qualité ", explique Michela Cimatoribus, chargée de sa promotion. La marque sponsorise des événements sportifs haut de gamme : les Internationaux de tennis de Rome, le golf féminin, les régates de Porto Cervo. Elle diffuse même une cuvée spéciale sur le marché italien, à destination exclusive des restaurateurs, la Cuvée Saint-Pétersbourg. Dans le Nord, le rosé l'emporte. Au Centre-Sud, c'est le demi-sec.
Pour Roederer, l'Italie est le premier marché en Europe, avec 250 000 bouteilles en 2011. Son haut de gamme, la Cuvée Cristal, fait fureur. C'était le champagne préféré de la comtesse Francesca Agusta, héritière du groupe éponyme d'hélicoptères, qui s'est tuée en 2001 dans une chute mystérieuse de sa terrasse de Portofino, la station chic de la côte ligure, une coupe à la main. Cette année, la crise a affecté son volume de ventes de 30 % : " Nous en sommes tous au même point ", avoue son importateur. La maison refuse de se faire distribuer dans les supermarchés et se réserve pour les restaurants et les oenothèques. Journées de dégustation, cours dans les écoles hôtelières - où 6 000 élèves sont initiés chaque année -, semaines de formation ouvertes aux professionnels, sponsoring innovant avec des gadgets de marque, concours primés : rien n'est laissé de côté pour promouvoir le champagne en Italie. "Il n'y a pas de comparaison possible avec les mousseux italiens. Chacun possède ses qualités spécifiques qui tiennent à la typicité de leurs terroirs et qui ne sont pas reproductibles ", souligne-t-on au Comité du vin de Champagne. L'écrivain Mario Soldati exprime le même concept quand il écrit : " Un vin est la poésie de son terroir. "