L’ajout du pronom « iel » dans la version en ligne du dictionnaire Le Robert a suscité une polémique en France qui trouve écho jusqu’au Québec. Explications.
« Iel, iels. Pronom personnel. Rare. Sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre », peut-on lire depuis peu dans le Dico en ligne – Le Robert. L’entrée dans le dictionnaire de ce pronom formé de la contraction des pronoms « il » et « elle » a provoqué de vives réactions en France et sur les réseaux sociaux. « L’écriture inclusive n’est pas l’avenir de la langue française », a écrit sur Twitter mardi le ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, Jean-Michel Blanquer. Ce dernier a du même coup manifesté son appui au député François Jolivet, qui a écrit à l’Académie française pour dénoncer la décision des éditions Le Robert. Il a rendu sa lettre publique par un gazouillis dans lequel il accuse les auteurs du dictionnaire d’être des militants du « wokisme ».
Le débat houleux sur les réseaux sociaux a poussé le directeur général des éditions Le Robert, Charles Bimbenet, à expliquer la décision de son équipe d’inclure le pronom dans son dictionnaire en ligne. « Si son usage est encore relativement faible […], il est en forte croissance depuis quelques mois. De surcroît, le sens du mot “iel” ne se comprend pas à sa seule lecture […] et il nous est apparu utile de préciser son sens pour celles et ceux qui le croisent, qu’ils souhaitent l’employer ou au contraire… le rejeter », a-t-il écrit sur le site web du dictionnaire. Charles Bimbenet s’est toutefois défendu de faire la propagande d’un quelconque courant de pensée.
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Nadine Vincent, lexicographe et professeure de communication à l’Université de Sherbrooke, pense que la décision des éditions Le Robert est prématurée. « Un dictionnaire est à la remorque de l’usage. Il faut que le mot soit assez fréquent, assez bien distribué, donc utilisé dans différents domaines, dans différents groupes de la société, et après, il peut entrer dans le dictionnaire », explique celle qui est aussi membre du comité éditorial et du comité de gouvernance d’Usito, dictionnaire québécois accessible en ligne gratuitement.
Bien que le pronom « iel » soit apparu depuis longtemps, il n’est pas passé dans l’usage général, indique-t-elle. « Il y a beaucoup de propositions différentes pour le pronom neutre », ajoute Nadine Vincent, en soulignant que les groupes militants ne s’entendent pas sur un seul terme à utiliser. La lexicographe déplore aussi que dans la définition du pronom, Le Robert ne précise pas comment l’employer. De quelle manière doit-on accorder les adjectifs qui s’y rattachent ? Le Robert ne donne aucun exemple.
On ne peut pas entrer un mot comme ça, ne pas l’expliquer et laisser les gens se débrouiller avec ça. Je considère que Le Robert ne fait pas son travail.
Nadine Vincent, lexicographe
De son côté, l’Office québécois de la langue française a indiqué par courriel qu’il « ne conseille pas de recourir au pronom “iel” ». Il encourage plutôt l’emploi de la rédaction épicène. Bernard Cerquiglini, lexicographe aux éditions Larousse, croit quant à lui que la décision des éditions Le Robert « relève d’une démarche militante ». « On touche à un pronom, au système de la langue. Or, les pronoms n’ont pas changé depuis le IVe siècle », a-t-il fait valoir en entrevue avec Le Figaro.
L’apparition du pronom « iel » dans Le Robert est considérée comme un pas dans la bonne direction par des personnes des communautés trans et non binaire (dont les membres préfèrent généralement la graphie « non-binaire ») à qui La Presse a parlé. « Je trouve que c’est intéressant que certaines institutions finissent par reconnaître les personnes non binaires et leur vocabulaire. Bien entendu, il y a encore beaucoup de chemin à faire », indique Ash Paré.
« Si on regarde la définition du mot “iel”, elle est un peu étrange », constate de son côté Séré Gabriel Beauchesne Lévesque, de l’organisme TransEstrie.
Ça ne fait pas référence au fait que ce sont des personnes non binaires qui l’utilisent. Ce n’est pas un pronom qui a été inventé pour être utilisé au pluriel pour désigner des hommes et des femmes.
Séré Gabriel Beauchesne Lévesque
« C’est vraiment un pronom qui a été inventé et utilisé en premier par des personnes non binaires qui disent : “Moi, je ne suis pas un homme. Je ne suis pas une femme. Je veux qu’il y ait une façon de me désigner.” »
Ash Paré, qui donne des conférences sur le français inclusif, renchérit sur l’importance du pronom neutre et inclusif pour les membres de sa communauté. « Ce pronom-là, c’est un outil qui permet de respecter la dignité d’une personne. » « On n’a toujours pas de reconnaissance d’une identité non binaire du point de vue légal », rappelle Séré Gabriel Beauchesne Lévesque, qui s’inquiète de l’impact du projet de loi 2 récemment déposé par la Coalition avenir Québec.