Certains le font pour rehausser leur expérience de jeu de stratégie, d’autres pour assouvir leur passion pour l’histoire. Mais peu importe la raison, le résultat est fascinant. Incursion dans de fabuleux univers miniatures plus vrais que nature.
Publié le 25 juill. 2021Pierre-Marc Durivage La PresseQuand le jeu mène à l’art. C’est en effet l’amour du jeu qui a poussé la plupart des passionnés de « minis » à exprimer un côté créatif parfois insoupçonné. Pour Daniel Desmarais, c’est devenu à ce point sérieux qu’il en est venu à vendre des éléments de décor qu’il réalise chez lui, à Trois-Rivières. Toujours avec l’objectif de rendre l’expérience de jeu la plus immersive possible.
« Avec un vrai décor, on est vraiment plongé dans le jeu », nous dit-il en nous montrant ses figurines installées dans un environnement époustouflant qu’on identifie aussitôt à la bataille du gouffre de Helm, moment phare de la trilogie du Seigneur des anneaux. « Tu joues et tu as l’impression d’être sur place, enchaîne-t-il. Surtout quand on parle du Seigneur des anneaux, on a tous vu les films, c’est le fun de voir que ta table représente ce que tu as vu. »
Daniel Desmarais a quelque 10 000 figurines différentes dans les armoires de bois vernis qui ceinturent sa rutilante table de jeu, faite sur mesure et installée dans une pièce de sa maison entièrement consacrée à sa passion. Il a pu en peindre environ 4000 d’entre elles, profitant d’ailleurs de la pandémie pour accélérer le rythme.
En 35 ans, Daniel a investi plus de 50 000 $ en décors, figurines et accessoires, sans compter pinceaux, peinture, laques et vernis.
Pour le profane, ses figurines et ses décors semblent peints avec une incroyable attention au détail ; on est pourtant loin des efforts déployés par les professionnels : « Dans les concours de peinture, des gens peuvent passer une semaine sur une seule figurine, nous apprend l’homme de 52 ans. Certains vont aller jusqu’à peindre les éclats sur chacune des écailles de l’armure d’une figurine de deux pouces de haut ! Malgré mon côté artistique, je n’irai pas à ce niveau-là, je trouve que c’est beaucoup de temps et ma passion pour le jeu est assez forte pour m’arrêter. Mon armée d’elfes, pour en peindre 80 au standard “ concours ”, ça me prendrait un an, si ce n’est pas plus ! »
Toujours en réponse à son éternel esprit ludique, Daniel Desmarais a plutôt choisi de mettre son énergie créatrice ailleurs en créant Old Barrow Scenery, une petite entreprise de création de décors miniatures. « Les différents jeux de figurines stratégiques ont besoin des mêmes éléments sur la table, des rochers, des champs cultivés, des collines, toutes sortes de petites choses qui font de beaux paysages, explique-t-il. Quand j’ai vu ça, j’en suis venu à l’idée de mettre au point des accessoires de décors génériques qui peuvent être utilisés dans tous les jeux et peints comme bon nous semble. »
J’ai donc créé une collection que je vends en ligne, mais c’était d’abord et avant tout destiné à répondre à mes propres besoins. Si c’est pratique pour moi, ça va être pratique pour d’autres.
Daniel Desmarais
« Il y a cinq ans, j’ai commencé à approfondir mes techniques, j’ai décidé de suivre des cours de confection de décors et de moulage, enchaîne celui qui fait aussi de la confection et de la vente en ligne de vêtements et d’accessoires de style médiéval. Je me suis aussi acheté une imprimante 3D de grande qualité, mais je préfère tout de même la méthode de la vieille école, en intégrant du vrai sable et de vraies roches dans mes moulages, ça permet un travail plus détaillé que l’impression 3D. »
Autrefois gérant dans un magasin, Daniel Desmarais gagne maintenant sa vie avec sa passion pour le jeu et les univers fantastiques, à travers lesquels il peut exprimer son côté artistique. « C’est le fun parce que ça touche à tout : peinture, artisanat, sculpture, énumère-t-il. Quand tu vois le résultat et que tu le mets sur une table de jeu, c’est là que tu trouves ta récompense. Et quand je regarde ma table comme ça, je la trouve belle, ça me donne tout de suite le goût de jouer ! »
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— Boston Commons HTN Sat Jul 22 12:58:30 +0000 2017
C’est le nombre de reproductions que Daniel Desmarais peut réaliser à partir d’un seul moule. Avec un galon de résine de silicone acheté à 300 $, il peut en confectionner quatre différents.
Pour Hugo Tremblay, tout part du jeu de rôle Donjons et Dragons, passe-temps auquel il s’adonne depuis plus de 30 ans. Il a rapidement senti le besoin de peindre les figurines qu’il utilisait dans le jeu, technique qu’il a approfondie avec les modèles réduits.
Mais c’est tout récemment qu’il a véritablement décidé de parfaire son art, notamment pour en faire profiter ses amis amateurs des jeux de Games Workshop, la référence dans le domaine des jeux de figurines stratégiques. « Beaucoup d’amis jouaient à Warhammer et à Warhammer 40 000, je me suis dit que je pourrais offrir de peindre leurs figurines, explique celui qui est gestionnaire dans la fonction publique fédérale. Après, je me suis demandé s’il y avait moyen de monnayer ça. Des gens m’ont répondu qu’ils avaient des bonshommes non peints, j’ai donc commencé en faisant du troc, la plupart du temps contre une bonne bouteille de vin ! »
En dépit de la qualité de ses réalisations, Hugo considère qu’il est encore à ce jour en période d’apprentissage et de perfectionnement de sa technique.
Ça prend un large stock de peinture, de la constance et la capacité d’effectuer les techniques plus poussées.
Hugo Tremblay
« Faire des visages et des yeux, c’est par exemple difficile au début, mais maintenant je suis capable d’aller chercher l’ombrage de la paupière, une direction dans le regard. Le fait d’arriver avec un résultat tangible me permet d’évaluer ma progression, mes aptitudes se développent ! », soutient-il.
Le perfectionnement de ses techniques pourrait l’amener ensuite à réaliser des figurines selon la technique du kitbashing, procédé à la mode actuellement dans l’univers des miniatures : « Ça consiste à modifier une figurine existante ou en faire une toute nouvelle, nous explique-t-il. Tu coupes et tu recolles, tu perces pour pouvoir insérer des tiges de métal, tu changes les mains de place, c’est très créatif. On voit souvent cette tendance autour de Warhammer, mais de plus en plus ailleurs aussi, comme dans le jeu GasLand, où tu modifies des petites autos HotWheels. C’est un peu la prochaine vague, très axée sur la personnification. Tu donnes un caractère unique à tes miniatures, c’est motivant et valorisant. »
Avec les contrats dénichés dans son entourage, Hugo Tremblay se retrouve à consacrer jusqu’à 75 heures par mois à peindre figurines et éléments de décor. « C’est un moment où je me recentre sur moi-même, où je décroche du stress familial et professionnel, soutient l’homme de 47 ans. Je pense que je suis un joueur qui est devenu artiste, mais ç’a toujours été une facette de ma personnalité ; c’est mon véhicule d’expression artistique. »
Au cours des 15 dernières années, Mathieu Fecteau et Philip Morgan ont chacun dépensé 10 000 $ en figurines pour jouer à Warhammer et Warhammer 40 000. Le temps était venu pour les deux amis de passer à autre chose. « On a été un peu compulsifs, avoue Mathieu. Mais les changements de règles étaient aussi trop fréquents, en plus qu’il fallait maintenant jouer sept ou huit heures pour que ce soit intéressant, c’était trop. »
Il s’est donc tourné vers le maquettisme, même chose pour Philip, ce qui répond à leur amour pour les miniatures, mais aussi pour l’histoire militaire. « Il y a quelque chose qui résonne encore avec la Seconde Guerre mondiale, soutient Philip. Quand je fais mon modèle, je fais des recherches sur ce qui s’est passé, sur les raisons de notre victoire. En 2021, je considère qu’il y a un manque d’héroïsme dans la société, on pète notre coche à propos d’affaires mineures, et quand on lit sur ce que ces gens-là ont fait, on voit qu’ils ont fait des efforts colossaux, surhumains. »
Les deux amis ne vont toutefois pas se contenter de réaliser des « modèles à coller » perfectionnés. Ils tiennent aussi à les mettre en scène dans des dioramas aussi détaillés que la pièce centrale. « On reste des gamers, on est encore des amateurs de jeux de société, et ce qui nous a amenés aux dioramas, c’est le fait que l’on aime raconter une histoire, affirme Mathieu Fecteau, gestionnaire dans un studio d’immersion interactive. On ne fera pas un Messerschmitt Bf 109 tout seul, on va faire une piste d’atterrissage, avec un kit de personnages qui font de la maintenance. »
« Je suis quelqu’un qui a besoin de créativité, ajoute de son côté Philip, pharmacien de profession. J’aime cuisiner, jardiner, j’ai un besoin de réel. J’aime voir le bateau, savoir que les canons sont là et que ça fonctionne comme ça. »
Et à ceux qui leur demandent à quoi peut bien servir une telle passion, Philip répond du tac au tac : « Quelqu’un qui regarde un match de baseball à la télé, qu’est-ce qu’il lui reste à la fin ? Rien. Moi, j’ai encore quelque chose à montrer. Il n’a rien créé, moi oui. »