Les pompiers LGBTQ+ peuvent-ils vivre leur orientation sexuelle sans contraintes dans leur poste ? Pas vraiment, selon Patrice Lavoie, qui s’était fait conseiller de ne pas révéler son orientation durant ses études, en 2002, afin de ne pas nuire à sa carrière. Comme lui à l’époque, des dizaines de pompiers québécois sont aujourd’hui « dans le placard ». La situation préoccupe le Service de sécurité incendie de Montréal (SIM), qui prépare une stratégie de diversité et d’inclusion.
Quand Patrice Lavoie a étudié à l’Institut de protection des incendies du Québec, il n’était pas ouvertement gai. « Puisque je présumais que c’était un milieu traditionnellement masculin et macho, j’avais fait des recherches et on m’avait recommandé de ne pas faire mon coming out », se souvient-il.
On lui avait donné l’exemple d’un élève ouvertement gai qui avait été accepté par ses collègues de l’Institut, mais intimidé dès son arrivée dans son poste, et qui avait démissionné. « Pour cette raison, j’ai décidé de ne pas en parler à l’école, dit M. Lavoie. Quand on me demandait ce que j’avais fait durant le week-end, je disais que j’avais eu une date, sans dire si c’était avec une fille ou un gars. Je restais vague. »
Des années plus tard, il est devenu le premier porte-parole ouvertement gai d’une société d’État, soit Loto-Québec. « Aujourd’hui, avec ma personnalité, j’assumerais mon homosexualité si c’était à refaire, mais dans le temps, j’avais choisi la voie facile pour préserver les perceptions, dit-il. Durant mon année d’études, je vivais une peine d’amour, mais je ne pouvais pas en parler à mes amis proches. J’ai trouvé ça un peu triste. »
Alain, ex-pompier dans la cinquantaine, a lui aussi caché une relation amoureuse avec un homme, un pompier évoluant dans un autre poste que le sien. « On s’est connus après un incendie majeur. On a échangé nos numéros pour placoter entre pompiers. Des mois après, on a découvert notre attirance mutuelle. On ne savait pas qu’on était gais », raconte Alain, qui a requis l’anonymat, car la majorité des membres de son entourage ignore qu’il est gai.
Mois après mois, leur couple est devenu plus solide. « Ça évoluait bien entre nous, parce qu’on se cachait. On faisait des activités à l’extérieur comme deux bons amis. » Toutefois, leur relation a pris fin brutalement, lorsque son conjoint est mort dans un accident.
Je n’ai même pas pu vivre mon deuil ouvertement. Les gens pensaient que j’enterrais un confrère d’une autre caserne, et non mon amoureux. Je ne pouvais me confier à personne, alors que je venais de perdre l’homme que j’espérais marier.
Alain, ex-pompier
Depuis, il est resté dans le placard, convaincu que son milieu de travail est aussi fermé que lors de son embauche. Il y a une trentaine d’années, il avait constaté que ses collègues n’étaient pas ouverts à l’entendre parler de son orientation sexuelle. « Combien de fois j’ai entendu qu’il n’y a pas de tapettes chez les pompiers ? dit-il. Pourtant, un pompier gai, bisexuel ou hétéro, ça reste un humain qui veut aider les autres. On n’est pas moins bons que les pompiers hétéros. Malheureusement, quand on sortait en dehors du travail, je les entendais parler contre les gais. Donc, je n’ai jamais rien dit. »
Alain aurait pourtant souhaité parler de sa vie personnelle, comme ses confrères le faisaient au poste. « Ils parlaient de leurs activités avec leurs blondes, se vantaient des filles avec qui ils couchaient. Moi, je ne parlais de rien. J’avais peur. »
Pliant sous le poids du silence, il a dû quitter le poste pour un métier connexe au service de sécurité incendie. Mais il n’a jamais cessé de vouloir aider ses anciens collègues dans une situation similaire.
Selon Roger, un professionnel qui évolue auprès de différents services de sécurité incendie au Québec depuis 20 ans et qui a demandé qu’on change son prénom pour ne pas nuire à ses relations de travail, les pompiers qui ont une attirance pour d’autres hommes sont plus nombreux qu’on le croit. Roger est persuadé que si leurs préférences étaient connues de leurs collègues, ils seraient ostracisés.
« Il ne faut pas se faire d’illusions : les mentalités ne sont pas si ouvertes. Les pompiers gais ou bisexuels ont peur d’être découverts. Ils font énormément d’anxiété à ce sujet. »
Ils craignent que leurs collègues s’imaginent qu’ils ont de l’attirance pour eux, alors ils tentent de contrôler leurs regards, leurs gestes et leurs paroles en tout temps.
Roger, professionnel qui évolue auprès de différents services de sécurité incendie
Ce n’est pas tout. « Il y a quelques années, un pompier retraité est venu faire des travaux chez nous, dit Roger. Il m’a confié qu’il faisait souvent de la menuiserie dans un club gai et que je ne pouvais pas imaginer le nombre de pompiers qui y allaient souvent. Il devait d’ailleurs les rassurer en leur promettant qu’il ne révélerait rien à leur sujet. »
Si les pompiers ne sont pas tous fermés d’esprit ou homophobes, la loi du silence semble néanmoins primer dans les postes. Cela pousse de nombreux pompiers à chercher du soutien auprès de la Fraternité des pompiers gais et bisexuels du Québec, fondée par Alain au début des années 1990. « C’est un groupe relativement secret, dit-il. Pour le faire connaître, j’ai mis de la publicité dans les magazines LGBTQ+. L’association est composée d’une trentaine de pompiers retraités et d’autres actifs, mariés avec des femmes pour cacher leur orientation sexuelle ou célibataires. »
En leur offrant un espace sécuritaire pour s’exprimer, Alain a été témoin d’une réelle détresse.
J’ai sauvé trois pompiers du suicide depuis 29 ans.
Alain
« Quand je faisais de l’écoute sur un site web, j’ai été mis en contact avec trois pompiers gais qui pensaient mettre fin à leurs jours. Je les ai écoutés, j’ai répondu à leurs questions, je leur ai suggéré des références d’aide et ils s’en sont sortis. »
Croit-il que sa profession sera un jour ouverte et inclusive ? « J’aimerais ça, mais je ne sais pas si j’y crois. J’imagine que parmi les nouvelles recrues, il y a beaucoup de jeunes pompiers beaucoup plus ouverts d’esprit. J’espère qu’un jour, ce sera moins caché. »
Le directeur du Service de sécurité incendie de Montréal (SIM), Richard Liebmann, avait proposé à La Presse de réaliser une entrevue sur le sujet, fin juillet. Toutefois, les relations de presse de la Ville de Montréal ont reporté la rencontre à l’automne, nous faisant parvenir ce message. « Le SIM a travaillé au cours des derniers mois afin de développer une stratégie d’inclusion et de diversité qui a notamment pour objectif de favoriser l’intégration de tous ses membres, afin de se positionner comme une organisation inclusive, respectueuse des différences et bienveillante à l’égard de ses employés et employées. Beaucoup de travail a été effectué jusqu’à présent et le projet suit son cours. Celui-ci devrait être présenté aux membres du SIM au cours des prochains mois. »
Également invitée à se prononcer sur le sujet, l’Association des pompiers de Montréal, syndicat qui représente plus de 2000 pompiers et pompières, a décliné la demande d’entrevue de La Presse. L’organisation syndicale dit préférer réagir à l’annonce du Service de sécurité incendie de Montréal, l’automne prochain.