• 19/03/2022
  • Par binternet
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Le premier auteur dans l’histoire était une femme<

Princesse, poète et grande prêtresse d’Ur, une des plus importantes cités de Mésopotamie, Enheduanna (2285-2250 avant J-C) est la fille du roi Sargon d’Akkad, fondateur du « premier empire mésopotamien connu par les textes », signale dans ses écrits l’archéologue français, spécialiste du Proche-Orient ancien, Jean-Claude Margueron. Elle est ainsi le plus ancien poète dont le nom a été enregistré par des textes. Des copies de ses œuvres, reproduites à partir de 37 tablettes dont la plupart remontent à des centaines d’années après sa mort, avaient été découvertes à Ur et à Nippur, un des principaux centres religieux de l’empire. Ces documents indiquent que les hymnes du temple qu’elle avait écrits ont été utilisés pendant au moins 500 ans après le décès d’Enheduanna et dénotaient d’une grande valeur, car ils avaient été « conservés aux côtés des inscriptions royales », selon l’assyriologue Joan Goodnick Westenholz, ancienne conservatrice en chef du Bible Lands Museum de Jérusalem. L’ensemble de la collection, connue sous le nom de Les hymnes du temple sumériens, regroupe 42 textes de dévotion personnelle à la déesse Inanna, divinité de la fertilité et de l’amour dans la mythologie sumérienne (Ishtar pour les Babyloniens et les Assyriens). L’histoire d’Enheduanna a été révélée par l’archéologue britannique sir Leonard Woolley qui a consacré quinze ans de sa vie, de 1919 à 1934, à fouiller le site de l’antique Ur (dans l’actuel Irak). Ses recherches ont permis de mettre au jour l’immense cité, avec sa ziggourat (la grande tour à étages), ses temples, ses tombes royales, ses habitations et ses remparts. Lors de ses travaux, Woolley découvre également des sceaux cylindriques (ou tablettes en argile) avec le nom d’Enheduanna et des textes l’identifiant, ainsi qu’un ancien portrait en bas-relief sumérien la représentant. De même, un disque d’albâtre sur lequel sa figure et son nom étaient gravés a été excavé dans le Giparu (temple dévolu au culte de la déesse Ivanna), tout comme un ancien sceau cylindrique akkadien représentant la déesse, posant son pied sur le dos d’un lion. Sur l’une des tablettes découvertes, Enheduanna détaille son expulsion d’Ur après la mort de son père à la suite du soulèvement des peuples des royaumes annexés. Elle sera finalement rétablie dans ses fonctions de grande prêtresse une fois l’insurrection matée par son demi-frère Rimush, qui succède à son père Sargon, devenant ainsi le deuxième roi de l’empire d’Akkad.

Le premier auteur dans l’histoire était une femme

Une reconstruction moderne de la ziggourat d’Ur dans les ruines de Giparu où Enheduanna a vécu et fut enterrée. Photo M.Lubinski/ Creative Commons

Une théoricienne au service de Sargon

Les poèmes d’Enheduanna n’étaient pas uniquement des exaltations à la déesse Inanna. Ayant l’étoffe d’une véritable théoricienne, ses écrits servaient aussi à des fins politiques, apportant un soutien à son père Sargon, occupé à unir les cités-États dans l’empire mésopotamien. Roberta Binkley, maître de conférence à l’Arizona State University, affirme dans ses nombreuses publications sur le sujet que « ses compositions sophistiquées » sont fortement marquées par leur dimension politique. « Elle est l’un des premiers théoriciens de la rhétorique, précédant les Grecs anciens de plusieurs millénaires. Cependant, son travail est bien moins connu en raison de son sexe et de sa situation géographique. »

De fait, les études sur Enheduanna se sont longtemps limitées aux spécialistes du Proche-Orient. Une première traduction de 24 fragments, publiée par l’archéologue belge Henri Limet, paraîtra en 1969. L’exaltation d’Inanna, édité en 1968 par deux spécialistes de l’Assyrie, le Britannique William W. Hallo et le Néerlandais Johannes Jacobus Adrianus van Dijk, sera traduit en allemand par Annette Zgoll, en 1997. En 1976, Cyrus H. Gordon, chercheur et archéologue américain, expert dans les langues anciennes et les cultures proche-orientales, donne une conférence sur la princesse sumérienne, qui passionne à son tour l’anthropologue américaine Martha Weigle (1944-2018). Cette dernière mène alors ses propres recherches et publie un essai intitulé Women as Verbal artists (Femmes en tant qu’artistes verbales) dans lequel elle qualifie Enheduanna de « première auteure connue dans la littérature (écrite) mondiale ». L’ouvrage suscite l’enthousiasme et aiguise la curiosité d’une poignée d’écrivains et historiens. Willis Barnstone, poète, professeur de littérature américaine à l’Université de l’Indiana et Aliki Barnstone, poète et critique, éditent, en 1980, une traduction des hymnes d’Enheduanna dans l’anthologie A Book of Women Poets from Antiquity to Now. L’assyriologue américain Samuel Noah Kramer et Diane Wolkstein, qui occupe une place unique dans le monde du conte et de la littérature jouant un rôle majeur dans le regain d’intérêt pour la mythologie, publient trois ans plus tard Inanna Queen of Heaven and Earth. Quant à Betty De Shong Meador, membre de l’Institut Jung de San Francisco, elle lui consacre deux ouvrages, en 2010. La liste est encore longue, des cantiques ont été publiés aux éditions JJ Augustin, à New York. La majorité du travail d’Enheduanna est disponible en traduction au Corpus de textes électroniques de la littérature sumérienne.

Le Disque de Enheduanna au Musée d’archéologie et d’anthropologie de l’Université de Pennsylvanie retrouvé dans une des pièces du temple de Larsa. Photo Creative Commons

Féminisme

« Figure d’accomplissement à souhait... Image merveilleusement attrayante », comme l’a qualifiée Eleanor Robson, professeure d’histoire du Proche-Orient à Oxford, Enheduanna, restée longtemps méconnue, s’impose peu à peu au menu des Journées de la femme. Ainsi, en 2014, le British Council marquera cette date en organisant un événement de prélancement au festival Niniti de littérature à Erbil, en Irak, où l’écrivaine Rachel Holmes donne une conférence sur 5 000 ans de féminisme, allant du grand poète sumérien Enheduanna aux écrivains contemporains. En 2018, dans le cadre de la Journée internationale des droits de la femme, l’université Paris-Diderot s’intéresse aux femmes oubliées de l’histoire, parmi lesquelles figure Enheduanna. En hommage à la poétesse, l’un des cratères présents sur la surface de Mercure est même baptisé Enheduanna, en 2015, par l’Union astronomique internationale. Elle devient également le sujet de l’épisode Les Immortels, de la série télévisée documentaire Cosmos: A Spacetime Odyssey (Cosmos : une odyssée à travers l’univers), auquel la reporter phare de CNN, Christiane Amanpour, prête sa voix. Elle est enfin présente dans les Spirits Podcast Documents that Changed the World, dans lequel Joe Janes, professeur à la University of Washington Information School déclare qu’« il est remarquable que nous en sachions tant sur une femme qui a vécu il y a plus de 4 000 ans, à peu près au milieu de l’âge du bronze en Europe », notant que l’Exaltation de Inanna a 700 ans de plus que le Livre des morts égyptien, plus de 1 000 ans de plus que le I Ching (Le Yi Jing, un des classiques chinois dont le titre peut se traduire par Livre des mutations) et 1 500 ans de plus que l’Odyssée «, l’Iliade et la Bible. La série de podcasts est disponible sur iTunes.