Dans sa bouche, il fut d’abord « Goltière ». Un nom trop franchouillard pour ne pas être écorché. Deux syllabes énoncées comme on sonne le petit personnel. Un artisan, génial mais prier de rester à genoux, aiguille à la main, au service de sa légende. Aujourd’hui, c’est « Jean Paul ». Un prénom dont elle maîtrise la prononciation. Une référence qu’elle choisit encore pour l’habiller sur scène, comme à la ville. Un ami qu’elle aimerait voir plus souvent.
Quelques heures minutes avant le début de son défilé haute-couture printemps-été 2017, Madonna, visiblement déprimée par la rubrique nécrologique du show-biz et son Amérique qui se « Trump », a choisi d’invoquer le couturier Jean Paul Gaultier tel un bon génie, sur son compte Twitter.
« Oh comme cet homme et tous nos bons moments passés ensemble me manquent ! Ressuscitons la joie et la créativité, les rires et l’amusement ! », s’est-elle exprimé, en accolant à ces quelques signes deux photos d’elle et de « l’enfant terrible de la mode », prises dans les années 90 par le photographe Herb Ritts.
De fait, la star et le couturier fêteront l’été prochain trois décennies d’amitié. Leur toute première rencontre remonte plus exactement au 29 août 1987. Nuit chaude. Madonna vient d’ébouriffer le Parc de Sceaux, avec son Who’s That Girl Tour. Il n’y a pas eu de tombé de rideau. L’effrontée peroxydée a préféré jeter sa culotte dans la foule. Original. Elle vient de fêter deux semaines plus tôt son vingt-neuvième anniversaire. Et elle n’a pas l’intention de rentrer se coucher. Direction la boîte Le Privilège, annexe du Palace. Fan de la première heure, Jean Paul Gaultier, qui a déjà commencé à révolutionner le prêt-à-porter français, l’y attend. L’interprète de Borderline a pris place dans son carré vip. Grand timide derrière ses excentricités de podium, le styliste à la marinière envoie un ami lui demander si elle aimerait le rencontrer. Elle connaît son nom, elle connaît son style. Elle dit oui. Elle veut mesurer par elle-même son audace. Echange de politesses. On danse, on rit, on s’étourdit, au Privilège. L’aube est là. A peine le temps de se retourner que la Cendrillon du Michigan est déjà repartie pour son Amérique.
Deux mois plus tard, le téléphone sonne dans l’atelier de Jean Paul. Une voix demande à parler à « Mister Goltière ». Le couturier et son entourage croit à une blague. C’est pourtant bien Madonna au bout du fil. Elle souhaite que « Goltière » réalise les costumes de sa prochaine tournée.
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— Terry Ann🌊🌊🌊 Mon Jun 01 12:45:36 +0000 2020
Le voile est levé au printemps 1990. Madonna débute son Blond Ambition Tour. C’est Bagneux, ville natale de Jean Paul, qui rencontre Hollywood, le Moulin Rouge qui lorgnerait du côté de Broadway, Lourdes tentée par les excès de Sodome et Gomorrhe. Croisement improbable de Dietrich et Arletty, la chanteuse parade, se roule et expie ses pêchés en corsets, les seins pointés comme des missiles. Grand moment de pop culture. Exigeante, la Madone lui en a fait voir de toutes les couleurs. Mais « Goltière » entre dans la légende et le petit cercles d’intimes de Madonna. Un 31 décembre, elle annoncera même au couturier qu’elle débarque à Paris pour passer le réveillon en sa compagnie.
Quand, en 1992, le couturier décide de faire défiler le Tout-Hollywood au profit de la recherche contre le sida, à L.A., la chanteuse rappliquera tout aussi naturellement, dent en or et cigare à la bouche. Elle vient de sortir son album Erotica, bande-son pour peep-shows. Jean Paul lui a réservé le port d’une marinière et d’une jupe moulante à bretelles. Au dernier moment, Madonna décide de laisser la marinière au vestiaire. Elle porte bien la jupe, mais défile seins nus. Nouvel émoi. L’Amérique puritaine se couvre les yeux. « Goltière » adore. Les deux garnements surprendront encore à Paris, en septembre 1994. Jean Paul présente alors sa collection de prêt à porter printemps-été 1995. Se mettre à nu n’est plus suffisant pour Madonna. Elle a 37 ans et la maternité la taraude. « Goltière » a une idée de génie, une de plus : il la fait défiler avec un landeau. Néanmoins, quand Madonna, habillée d’une robe chair et or, se penche au dessus du landeau, c’est pour prendre dans ses bras… un chiot ! Mignon et malin.
Les deux artistes collaboreront à nouveau en 2001, 2006 et 2012. Cette année-là, douze ans après avoir pointé ses seins en direction du public de son Blond Ambition Tour, Madonna se glissera dans un corset métallique, au moment de chanter son titre Vogue, sur scène.
Quelque chose nous dit que la boucle n’est peut-être pas encore bouclée…
Crédit photos Sipa