Federico Alfonsetti et Marco Canali - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
« Nous avons pensé, avec le temps et de nombreuses recherches, la création d’une font qui est présentée comme disposant d’une haute lisibilité », indique Federico Alfonsetti, directeur de la société. Au Salon du livre de Turin, le stand d’EasyReading compte moins sur la vente de livres que sur la présentation de son outil.
Éditeur dans une précédente vie, Federico se fit proposer par un auteur la publication d’un livre sur la dyslexie, et les personnalités les plus populaires touchées. « On racontait la vie de Magic Johnson, le basketteur, d’Einstein, ou de John Lennon. Et cela, en rappelant qu’il existe deux grandes réactions chez les enfants atteints de troubles dys. » Soit le repli, soit l’exubérance, si l’on reste simple.
Dans son métier, Federico comprend qu’il est impossible de répondre à l’ensemble des troubles dys, « d’autant que les fonts qui sont conçues pour tenter d’apporter une solution ne permettent pas d’en trouver : chaque dys rencontre des difficultés distinctes. L’enjeu était donc moins de trouver une police qui améliorerait la lisibilité des textes que de répondre aux troubles dys ».
Tout a donc commencé en prenant en compte le plus grand nombre possible de troubles dys, pour créer « une police qui soit à haute lisibilité, pour tous, et qui présente avant tout une simplification maximale des caractères ». Le tout reposant sur le principe du design for all en s’inspirant d’un maître en la matière, Bruno Munari.
« Munari était un plasticien, qui a également publié des livres pour enfants. Concepteur de livres objets, il avait surtout à l’esprit de chercher des formes innovantes, souvent insolites. » Mais à sa suite, Federico Alfonsetti fit sienne l’image de l’alpiniste : « La fonction d’une police n’est pas d’être admirée : elle doit avant tout être lisible. Le critère esthétique vient en second. Les premiers à avoir gravi le Mont-Blanc étaient aidés de porteurs, ils avaient pour projet le sommet, en se donnant les moyens. »
La font de EasyReading s’inscrit dans cette démarche : « Parvenir à un produit qui ne soit pas celui d’un artiste, mais d’un designer, qui conçoit l’utilité, la fonctionnalité. Munari s’en était amusé en créant La sedia per visite brevissime : c’est une chaise dont l’assise est inclinée à 45°. Il disait qu’elle était destinée aux invités indésirables ! »
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Tout le détail du travail réalisé sur les lettres est présenté sur le site de EasyReading, et l’on peut également l’essayer pour s’en faire une idée. « C’est une police hybride, qui repose sur des caractères serif et sans-serif, avec certaines qui sont 60 % plus longues que d’ordinaire. »
A l’occasion d’un concours d’innovation lancé par l’Italie, la font est présentée, et élue : mais tout le travail reste encore à réaliser. C’est qu’intervient Marco Canali, qui est devenu investisseur « Le potentiel d’une police d’écriture est totalement inimaginable : dès que l’on se trouve face à de l’écrit, elle peut trouver une application. Sous-titres pour le cinéma ou la télévision, publicité, livres, bande dessinée : il devient possible de tout lire, sans se fatiguer. »
Mais encore fallait-il que cette histoire soit racontée, et surtout écoutée. « Mon intervention n’a rien à voir avec les travaux de Federico », explique-t-il à ActuaLitté. « L’argent doit servir à faire connaitre la police, et montrer à quoi et à qui elle peut être utile. » Ce qui n’empêche pas le travail de recherche et développement de se poursuivre. « Federico continue de travailler sur les langues arabe, grecque moderne et ancien, et d’autres. Pour ce qui est des idéogrammes japonais ou chinois, le projet est délicat, et complexe. »
Cela a commencé par le dépôt d’un brevet auprès du registre mondial de la propriété intellectuelle. Or, peu après l’arrivée de Marco Canali, c’est un géant de la high-tech qui se présente. « Nous avons pu rencontrer des responsables de Microsoft, avec lesquels nous discutons encore. » Les Américains sont longs à signer : en dépit de l’étude scientifique présentée, les services veulent une contre-vérification : « Une autre étude a été mandatée, toujours en cours. »
Et Federico lance : « In bocca al lupo ! » Croisons les doigts en effet. Surtout que depuis, plusieurs opérations ont été lancées : avec le Journal de Mickey en Italie – baptisé Topolino – qui a utilisé la font pour toutes les parties éditoriales de son magazine. « Ils ont même fait des campagnes de publicité, en communiquant sur le recours à notre font, c'était exceptionnel. ».
Puis, est venu un partenariat avec l’éditeur français Flammarion : une série de trois livres de Nadine Brun-Cosme devrait utiliser EasyReading Font. « Notre projet est de porter cette haute lisibilité auprès du plus grand nombre ! »
Aujourd’hui, les particuliers peuvent s’offrir la police pour 49 € en usage privé. Pour les entreprises, les conditions diffèrent : mieux vaut contacter les deux hommes pour trouver comment travailler avec leur police. « Nous cherchons maintenant à promouvoir notre outil dans toute l’Italie, en Europe… partout dans le monde », plaisante, mais à demi, Marco Canali. « Nous devons assurer un service de représentation, pour démontrer la valeur de ce que nous avons créé. »
Il se pourrait bien que ActuaLitté décide prochainement de basculer sur EasyReading. Après tout, les bonnes idées valent d’être partagées…