• 14/04/2022
  • Par binternet
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Alessandro Sartori dans son élément<

«D'ici, je peux voir ma maison.» Au pied du sanctuaire San Bernardo à quelque 1 400 mètres d'altitude, la pancarte rédigée en dialecte («Da qui I vigúmma la nössa ca ») pourrait être signée d'Alessandro Sartori. Le directeur artistique d'Ermenegildo Zegna a vu le jour, en 1966, à la clinique de Trivero dont la construction a été financée - tout comme le centre social, la piscine ou le cinéma de ce bourg du Piémont - par Ermenegildo Zegna lui-même, dans les années 1920.

Profondément humaniste, le tisseur se met alors également en tête de replanter la nature environnante à hauteur de ses richesses exploitées dans la vallée. Les forêts ayant été amplement abattues au lendemain de la Première Guerre mondiale pour alimenter les ateliers et les foyers des environs en bois de chauffage. Il commence par faire planter 500.000 conifères et rhododendrons dans les coteaux au-delà de sa manufacture ouverte en 1910.

Et puis il y a cette eau si pure des torrents qui explique la présence de nombreux autres ateliers spécialisés dans le délainage, la filature et le tissage de draperies. Elle dévale d'où on ne savait où car seul un chemin escarpé mène sur les hauteurs. Aussi subventionne-t-il une route de 26 kilomètres qui enchaîne de fabuleux points de vue au fil des nombreux virages… En direction du Nord, se profilent les monts et les vaux de la mystérieuse Val Sessera toujours vierge d'accès routier en 2018, puis le mont Rose et sa pointe Dufour qui culmine à 4 634 mètres. Côté Sud, c'est la plaine du Pô qui s'étend de Milan à Turin et bien au-delà. C'est dans ce cadre merveilleux que l'entrepreneur imagine également plusieurs terrains de jeu pour ses employés et leurs familles, ainsi que la station de ski de Bielmonte qui accueille les premières remontées mécaniques d'Italie à partir de 1957.

Un mood board forestier

Aujourd'hui, cette Panoramica Zegna dessert plus de 100 kilomètres carrés de nature préservée qui constituent l'Oasi Zegna depuis 1993. «Un lieu d'une extrême pureté et d'un calme absolu à une heure de Milan, résume Alessandro Sartori qui vient s'y ressourcer lorsque son emploi du temps lui permet. Enfant, je venais marcher ou faire du vélo avec mon père. C'est ici qu'il m'a également appris à skier. Forcément, je suis toujours un peu nostalgique quand je viens ici car je ne peux pas m'empêcher de penser à lui (subitement décédé lorsqu'il avait 14 ans, NDLR), mais ce cadre est aussi tellement enchanteur, toujours vert et différent d'une saison à l'autre. En mai, les rhododendrons en fleurs bordent une section de la route sur 4 kilomètres. Dès la fin septembre, c'est un festival de couleurs d'automne. Et en hiver, le relief de la montagne offre un panorama tout autre. Souvent, la neige coiffe ces pré-Alpes jusqu'à mi-hauteur.»

Alessandro Sartori connaît le lieu par cœur et n'a pas besoin de carte pour imaginer les multiples parcours de son week-end annuel en mountain bike avec des copains. Mais c'est pourtant un reportage in situ de Mattias Klum pour National Geographic qui l'a mis sur la piste de la collection d'Ermenegildo Zegna Couture actuellement en boutique. «Ses images ont attiré mon œil sur des facettes de cette nature que je ne voyais plus tellement tant elles étaient ancrées dans ma mémoire», poursuit le styliste qui s'est immergé dans cet écrin, quelques semaines après la parution, avec plusieurs membres de son studio de création basé à Milan, afin d'effectuer des recherches et trouver l'inspiration

Alessandro Sartori dans son élément

«Nous avons pris une multitude de photos, ramassé toutes sortes de fleurs et de végétaux pour constituer un mood board que j'ai ensuite partagé avec le designer textile de la Lanificio Zegna.» Une dizaine d'années auparavant, en tant que styliste de la ligne Z Zegna à l'époque, il avait déjà rêvé d'une collection dans des coloris à base d'ingrédients glanés dans cette forêt. «Le résultat n'avait pas été concluant. Au mieux, nous avions obtenu des pastels grisés, se souvient-il. Depuis, la recherche textile a beaucoup progressé. Grâce aux enzymes, on parvient à fixer des pigments naturels sans chaleur et, en particulier, sur la fibre cachemire.»

Dans quelques boutiques choisies, dont le flagship store Ermenegildo Zegna de Paris, une capsule - griffée Oasi Cashmere - de vestes, de pulls et d'accessoires en maille teintée avec des pétales de crocus, des feuilles ou des écorces, vient d'arriver sur les portants. Quant à la collection principale, distribuée dans les quelque cinq cents magasins de la griffe familiale à travers le monde, elle s'inspire de la trentaine de nuances obtenues à partir d'ingrédients naturels récoltés dans les sous-bois piémontais, ainsi que des feuilles de thé et des grains de café connus de longue date pour leur pouvoir tinctorial. «Ces premiers développements de teinture végétale ouvrent la porte à une nouvelle génération de tissus, se réjouit Alessandro Sartori. Pour l'heure, ils sont relativement onéreux et produits en petites quantités car ils impliquent des contraintes techniques, industrielles et économiques… Les coûts fixes seront divisés si la demande augmente. Ce dont je ne doute pas car il y a une véritable attente en tissus écoresponsables. Notamment de la part des jeunes consommateurs qui sont curieux, quel que soit le domaine, de l'origine, des conditions de fabrication et de l'impact sur la planète des articles qu'ils achètent.»

Directeur artistique de l'ensemble du groupe Ermenegildo Zegna depuis juillet 2016, l'affable DA dénote de ses contemporains par sa vision globale de cette industrie textile. Au cours de cette interview au grand air, il parle de business comme de tendance, de techniques de filature comme de nouveaux médias. Il est un véritable enfant de la balle qui a effectué quasiment toute sa carrière au sein de la firme de son village natal qui s'est hissée au premier rang mondial de la mode homme.

La culture du tissu

En 1968, Alessandro Sartori a deux ans lorsque les deux fils du fondateur, Aldo et Angelo Zegna, décident de lancer une collection de costumes afin de diversifier l'activité de tissage qui commence à pâtir du succès du prêt-à-porter. De plus en plus de businessmen prennent alors le pli d'acheter des complets tout faits plutôt que de faire appel aux services des tailleurs traditionnels qui, pour la plupart, se fournissaient en belles draperies chez Zegna. Il se souvient avoir passé son enfance dans l'atelier de couturière pour femme de sa mère sur le même palier que l'appartement familial. Son père est alors designer industriel spécialisé dans les métiers à tisser. Après sa disparition, l'adolescent intègre la section textile du lycée de Biella plutôt que de poursuivre des études classiques, puis l'Istituto Marangoni de Milan qui forme aux métiers créatifs.

En 1989, son premier poste le ramène déjà aux sources… dans les ateliers de Zegna. De 1991 à 1993, il s'expatrie à Hongkong comme styliste sportswear pour se frotter à d'autres expériences et voir du pays. La société qui l'embauche à son retour? Toujours Zegna où il intègre le studio alors basé à Novara. Une fois par semaine au minimum, il se rend à la manufacture de Trivero pour élaborer de nouvelles étoffes en tandem avec des techniciens. «À la différence de la mode féminine, explique-t-il, la mise au point du tissu fait pleinement partie du processus créatif dans l'habillement masculin.» Et plus particulièrement chez Zegna qui demeure la seule maison du secteur avec un outil de production complet, de la filature de la fibre à la réalisation du produit fini.

En 2003, il se voit confier le projet d'une ligne plus contemporaine griffée Z Zegna. Via celle-ci, la griffe familiale se risque sur les podiums new-yorkais à partir de 2007. Les applaudissements vont croissant, et Alessandro Sartori est débauché, en 2011, par le chausseur Berluti afin de monter une ligne de prêt-à-porter. L'aventure parisienne dure presque cinq ans. Au printemps 2016, l'Italien est rappelé par la famille Zegna qui lui donne les pleins pouvoirs créatifs sur l'ensemble des lignes éponymes. Le lendemain de son ultime défilé pour le bottier à Paris, il est déjà au studio de création à Milan. Sans délai, il cherche à renouer des liens avec d'anciens collègues de Trivero. Tous ceux qu'il sollicite pour un rendez-vous ne sont pas disponibles à l'exception du samedi suivant. «Je n'ai pas saisi par leur manège», raconte-t-il aujourd'hui. Lorsqu'il arrive à la manufacture le samedi en question, ce sont plus de deux cents employés qui l'attendent pour célébrer une sorte de retour de l'enfant prodige. «Un moment plein d'émotions, forcément inoubliable.»

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