Des costumes d'homme 8XL, achetés chez Kiabi pour moins de 100 euros et transformés en tenues raffinées pour femmes: en marge de la semaine de la haute couture, évènement élitiste et exclusivement parisien, qui s'achève jeudi, l'historien de la mode Olivier Saillard a proposé un autre regard, dans les défilés-performances "Moda povera".
Ce projet de la "mode pauvre" fait référence à "arte povera", mouvement artistique italien des années 60 qui célèbre le geste créateur et consiste à rendre signifiants des objets insignifiants. Olivier Saillard a sollicité des petites mains à la retraite des grandes maisons, comme par exemple de Madame Grès (qui n'existe plus) pour les techniques du drapé.
Axelle Doué, mannequin qui avait travaillé avec Madame Grès, montre l'incroyable transformation des pièces extra-larges en tailleurs haute couture.
Le prix de tailleur est multiplié par 20 par rapport aux pièces de base, en raison des techniques de la haute couture "qui ne s'improvisent pas". "On pense que la haute couture, c'est de la broderie. Mais c'est du volume, du modélisme. Décider que le volume va être loin du corps, c'est un exercice", explique Olivier Saillard.
La collection de Jean Paul Gaultier faite par la styliste invitée, la Japonaise Chitosé Abe de Sacai, est le fruit d'un exercice similaire.
Des jeans superposés servent de base aux robes volumineuses, le trench se transforme en robe bustier architecturée et un corset souligne les volumes matelassés d'une robe doudoune.
Dans l'atelier haute couture "tailleur" de Dior, les vestes beige et bleu marin semblent identiques, mais les tissus sont différents, ce qui demande des entoilages et finitions au cas par cas pour des silhouettes qui sont cette saison plus larges. La directrice artistique Maria Grazia Chiuri les examine en cour de confection. "Elle dit "je veux que ce soit plus raide", et alors on défait, on refait les entoilages", raconte à l'AFP une couturière.
Dans l'atelier "flou" qui confectionne les robes, deux petites mains passent plusieurs jours pour réaliser des points invisibles sur une robe de soir. Anti bling-bling, "contemporaine et intemporelle": c'est ainsi que Maria Grazia Chiuri définit l'essence de la haute couture.
Le couturier français Christophe Josse revendique aussi le luxe "subtil et intellectuel qui n'est pas ostentatoire et demande plus de références". Un large pantalon crème de jersey se porte avec des sandales serties de métal ornées d'un cabochon de verre soufflé inspiré d'un modèle du XIVe siècle figurant sur une cimaise du British Museum.
Le "blouson de camionneur" en cachemire est orné d'alpaga frisé, une dentelle italienne du XIXe siècle illumine une robe monacale, et une longue robe-chemise bleu pâle au col à l'envers, d'apparence simple, demande du travail sur les ourlets et les volumes...
"C'est l'artisanat d'art qui m'intéresse, le rapport avec les brodeurs, les plumassiers, ces gens qui nous amènent vers les sommets plutôt qu'une robe pailletée avec une traine de 10 mètres", dit Christophe Josse à l'AFP.
"Il faut arrêter de penser que les clientes veulent porter des meringues brodées, elles me demandent des choses pour vivre et être dans l'action", soutient Julien Fournié, qui habille reines et princesses des pays arabes.
La haute couture, c'est la coupe, pas "les froufrous à volants", souligne-t-il, fier de sa manche kimono qui donne joli rendu et confort aux robes ajustées.
"On a atteint parfois des prix insensés parce qu'il y a 290 heures de broderie ou 390 heures de plumasserie (...) On vend du temps horaire et du savoir-faire français", résume Julien Fournié.
Selon Charles de Vilmorin, 24 ans, qui présente sa deuxième collection haute couture, "cela bouge pas mal". "La haute couture se veut plus accessible, avec ses pièces, comme dans la manière dont elle est abordée avec les défilés digitaux", déclare-t-il à l'AFP.
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