ELLE. Comment allez-vous en cette période de Fashion Week ?
Alexandre Vauthier. Il faut commencer par le début. On a été enfermé pendant plus d’un an. Tout ça m’a permis de travailler différemment sur mes collections, notamment avec le digital. Quand on est enfermé, notre réflexe créatif immédiat c’est de rêver de liberté et de faire la fête… Donc j’ai créé des collections très colorées avec des matériaux très vifs et brillants. Nous n’avions plus de défilé, donc il fallait trouver de nouvelles manières efficaces de présenter notre travail. Notre parti pris a été de donner carte blanche à différents photographes. Et là, à l’aube de la réouverture, mon état d’esprit est celui de la remise en question. Peut-être une anxiété. D’où la collection entièrement noire et diamants, qui pour moi, est l’essence même de la mode parisienne. Il n’y a rien de plus chic. Tout ça avec les codes de la maison et presque une certaine nostalgie du temps qui s’est passé et qui a été frappé par cet événement exceptionnel. Nous avons une envie folle de redémarrer, mais de redémarrer sur des bases solides. La monochromie et le travail poussé à l’extrême dans la technique viennent presque nous rassurer et nous rappeler ce que l’on est capable de faire. Alors oui, je suis excessivement excité de redémarrer à l’international mais je pense que cela va se faire par pallier.
ELLE. On peut voir s’entremêler de l’esthétique old-Hollywood, des pièces cow-boy et même du cabaret… Comment est née cette collection ?
Alexandre Vauthier. (rires) C’est très simple. C’est à la fois une analyse très française et très internationale. Je suis un designer français mais je vends dans le monde entier. Mes ambassadrices sont aussi bien Françaises, qu’Anglaises, Italiennes ou Américaines. Pourquoi tous ces mélanges de style ? Parce que je fonctionne à l’instinct. Ce petit côté western c’est un peu le fait de reconquérir une nouvelle terre. Et j’en vois partout : dans le dernier clip de Dua Lipa, chez Miley Cyrus également… Ce thème avait même déjà été traité par Madonna et son album « Music » en 2000. C’est un peu un rêve d’enfant qui conquerrait le monde. Pourquoi le côté cabaret ? C’est l’essence de Paris ! Mais il y en a aussi au Nevada, à Las Vegas, pas loin du Texas… Du coup tout se rejoint. Il y a un espèce de mix entre une réalité fantasmée et une réalité pure, à savoir tous ces codes très français : les Folies Bergères, le noir, les diamants, le costard coupé au corps d’eau… Et effectivement un petit clin d’oeil avec des chaussures, des accessoires un peu westernisants. Et le tout coupé avec du new wave londonien avec cette sophistication un peu dark.
ELLE. Si vous ne deviez retenir qu’une silhouette de cette collection ?
Alexandre Vauthier. (Il hésite) Personnellement, ce serait la robe géométrique en mousseline toute simple (à gauche). Pour le côté un poil plus fun, ce serait la robe en cuir brodée bandana par Lesage (au centre), que je trouve très amusante. Vous savez le matin vous vous réveillez et vous checkez votre Instagram, les infos etc. Moi je suis un énorme mangeur d’images, que ce soit les infos de 20 heures ou de la téléréalité, je veux tout comprendre. Je veux ressentir les choses. Et la mode, c’est ça. C’est le fait de ressentir ce qui va arriver. Je n’avais pas envie de créer quelque chose du style : « Super, c’est la récré, tous en fluo ! ». Non. Ça n’a pas de sens. J’ai fait ça lorsque j’étais enfermé en confinement. Aujourd’hui il faut réamorcer une nouvelle route, plus sûre, plus à tâtons, avec un objectif clair. L’idée, c’est d’être vraiment en harmonie avec son époque.
ELLE. Sentez-vous, après tous ces mois de confinements, l’envie de la clientèle de s’habiller à nouveau, voir même d’en faire trop ?
Alexandre Vauthier. Oui, c’est clair ! Je crois qu’il faut faire ce qu’on a envie de faire, c’est essentiel. Pourquoi j’ai mis une robe avec un crinoline débile ? Justement parce que c’est un clin d’oeil à l’over-dressed. Je crois qu’il faut aller au bout de ses fantasmes et faire ce que l’on ressent. Ça fait du bien de s’exprimer, donc il faut y aller à fond. Je pense qu’à l’international, les femmes ont à nouveau envie de re-séduire. On a été confiné, on a été séparé… A tel point que l’on ne pouvait plus se toucher. Le rapport entre les hommes et les femmes était encore plus compliqué. Je pense qu’on a tous envie de sensualité. On a tous besoin de l’autre. Donc on a envie de mettre le paquet, non ?
ELLE. On sent que cette collection s’apparente presque à du prêt-à-porter. En quelle occasion la femme ou l’homme Alexandre Vauthier peuvent-ils porter cette collection ?
Alexandre Vauthier. Tout le temps ! Et Dieu merci que nous ne sommes plus limités au cérémonial des grandes occasions. Quand vous me parlez de prêt-à-porter, je le prends comme un compliment parce que j’ai toujours travaillé sur une forte « portabilité » de la Couture. La Couture ce n’est pas juste des kilomètres de tissus. Ça n’a pas de sens. Ce n’est pas juste des poufs de décoration. C’est un art de vivre. La Couture, c’est s’habiller sur-mesure de la façon la plus luxueuse. Un tailleur de jour me fait autant rêver qu’une robe du soir dans la Haute Couture. C’est une façon d’être encore plus belle et le mieux possible. Je pense que la Couture, si on en a les moyens, il faut la porter comme on le ressent. Bien sûr, il yu a des occasions formatées pour porter ce genre de créations, mais je pense qu’il faut porter ce qu’on a envie quand on en a envie. Quitte à être parfois un peu en décalage. C’est ce qui fait avancer la machine.