• 05/02/2022
  • Par binternet
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Grégory Montel : "Je suis en lutte contre le cynisme ambiant"<

Grégory Montel glisse d'emblée son plaisir à parler de Chère Léa, au cinéma le 15 décembre. L'acteur a les yeux pétillants et un sourire incrusté sur le visage, alors on le croit volontiers. Dans cette romance de Jérôme Bonnell, le Sudiste incarne Jonas, un mec débordé, épris d'une certaine Léa (Anaïs Demoustier), dont on comprend très vite qu'elle ne veut plus de lui. L'infidèle a pourtant quitté sa femme pour elle. Trop tard. Colère, désir, frustration et passion lui remuent alors le cœur. Ce tourbillon de sentiments entraîne cet anti-héros à pousser la porte d'un café, déterminé à coucher son chagrin d'amour sur le papier. Sans se douter que ses mots toucheront Mathieu (Grégory Gadebois), le patron du troquet où il s'est réfugié.Avec Chère Léa, Grégory Montel joue avec une palette nuancée pour se glisser dans la peau de ce personnage subtil. Ici, il est touchant et agaçant, sensible, mais surtout fier, romantique et un poil macho. Ces variations sont particulièrement importantes pour celui qui provoque immédiatement la sympathie. Egalement à l'écran dans Rose, actuellement en salles, et Rebecca, tout juste diffusée sur TF1, Grégory Montel nous a parlé de son métier, de ses doutes et de ses prises de conscience.

Pourquoi vous dans Chère Léa ?Grégory Montel : Jérôme Bonnell m'a dit "je ne t'appelle pas parce que tu as fait Dix pour cent, mais parce que je t'ai vu dans L'Air de rien". J'ai tourné ce film avec Michel Delpech il y a dix ans. Il a de la tendresse et de la légèreté, ce n'est peut-être pas un hasard si Jérôme m'a contacté après l'avoir vu. Je suis hyper heureux d'avoir eu à prendre en charge cette douce mélodie qu'est le scénario de Chère Léa. Il y a de la haute-couture dans ce long-métrage que je trouve très abouti d'un point de vue cinématographique. J'en suis fier.

Qu'avez-vous pensé quand vous l'avez vu ?Grégory Montel : J'ai été davantage surpris. Quand on joue, on essaie d'oublier le plus possible la caméra. On sait où elle est, mais on ne sait pas ce que ça rend. J'étais encore plus enthousiasmé quand j'ai vu les emplacements, que j'ai compris toutes les significations des choses que je n'avais pas perçues dans le scénario. Je suis un lecteur empressé, un impatient un peu feu follet. Quand je découvre un projet, je suis déjà dans la future interprétation. Je m'excite comme un imbécile. Par exemple, je n'avais compris à quel point tous les personnages qui s'agitent autour du café faisaient avancer le propos principal.

Comment avez-vous construit ce couple en pleine rupture avec Anaïs Demoustier ?Grégory Montel : La façon dont on a fabriqué le film est essentielle pour comprendre. Nous sommes dans le bar dans lequel on a tourné et j'étais assis sur la chaise près de la fenêtre, là-bas. Anaïs évoluait vraiment dans l'appartement d'en face. Ça a facilité mon travail d'acteur tout en donnant des impulsions au film, de la profondeur, du grain à moudre. J'avais l'impression qu'elle était proche et quand j'écrivais, j'étais totalement investi par le personnage de Léa. Dans le jeu, j'ai vite compris à quel point je devais être inondé par la passion amoureuse de Jonas.

Qu'avez-vous écrit dans cette lettre, si vous l'avez vraiment rédigée ?Grégory Montel : Je l'ai vraiment écrite, ça je peux vous le dire. Je me suis amusé avec, parfois je me suis beaucoup ennuyé. J'ai écrit 60 feuilles, 120 pages recto-verso. Il y a des fois où je jouais avec les correspondances de Camus et de Maria Casarès, d'autres où je faisais de l'écriture automatique. J'ai aussi réglé mes comptes avec certains personnages et avec le cinéma quand le milieu me gonflait (rires). C'est devenu mon journal intime !

Qui est Jonas ? Grégory Montel : Jonas est très pragmatique. C'est un homme d'affaires dans l'immobilier, un type qui tient rarement un stylo dans les mains. Nous sommes dans un siècle où l'on ne s'arrête jamais et Jonas correspond à son époque. Il n'y a rien de mieux qu'une lettre pour arrêter le temps. Ce moment suspendu est immédiatement rempli par le fameux être aimé, celui de Roland Barthes. En restant au café, il s'octroie du temps. Il n'a pas pris cette habitude et c'est un effort phénoménal pour lui de rester, de se poser pour écrire cette passion amoureuse, de dire pourquoi elle se termine, ce qu'elle raconte. On s'ouvre davantage à l'autre quand on prend le temps de se stopper. C'est évidemment ce qui se passe pour lui. C'est très traditionnel et pourtant si bien amené.

Vous dites que l'empathie est votre fond de commerce. Des rôles comme Jonas vous en sortent ?Grégory Montel : Oui. J'aime bien l'idée que ce personnage parte de plus loin que certains autres et que son trajet soit moins évident. Je ne peux pas dire que c'est désagréable de jouer des rôles éminemment emphatiques, sympathiques. Je suis personnellement en lutte contre le cynisme ambiant. Ce déclinisme m'épuise, il amène trop facilement à la barbarie. Le temps n'est pas à ça. On peut faire confiance à certains sentiments comme la gentillesse. Les crétins ne sont pas les seuls à en faire preuve. En revanche, j'ai de la complexité comme tout le monde et oui, Jonas est très égocentré. Il aurait pu être comédien... (sourire). Son narcissisme lui fait adorer la passion qui le dévore. Est-il plus amoureux que passionné ? C'est l'éternelle question.

Il se complait dans sa tristesse...Grégory Montel : Aimer sa tristesse, c'est peut-être sa façon de se prendre pour un artiste. Jusqu'au moment où il accepte de prendre du temps pour lui et les choses sortent au point qu'un fan de littérature comme ce patron de bar lui dise "vous avez des choses à raconter". Je me suis beaucoup reconnu dans ce personnage. Je suis bien plus complexe que ce que je veux montrer. Je passe mon temps à douter de mon métier, de mes capacités à l'exercer. Quand quelqu'un vous dit "je crois que tu as des choses à raconter", on refuse pour la bienséance, mais on l'entend très fort. Comme quand on complimente nos films, on apprend à refuser la flatterie par politesse, mais ça fait du bien.

Les compliments ne sont-ils pas toujours bons à prendre ?Grégory Montel : Oui, mais on m'a tellement appris à ne pas les entendre... C'est mon éducation. Mon père, qui est un homme formidable, m'a toujours dit de me méfier de la séduction derrière les compliments. Quand j'ai commencé ce métier, il n'a cessé de me le répéter. J'ai moi-même pu constater que tout le monde se complimente sans arrêt à l'issue d'un film, mais je regarde un peu dans les yeux pour voir si ça vient du cœur. Très vite, on voit la différence entre les bravos.

Vous jouez également dans Rose, d'Aurélie Saada. Ces deux personnages brouillent un peu les pistes des habituels rôles donnés aux hommes, entre virilité et sensibilité exacerbée...Grégory Montel : C'est une chose à laquelle je tiens vraiment. Je fais en sorte qu'il n'y ait jamais de romantisme suranné qui vienne prendre possession d'un personnage. Ça me dégoûte quand ça dégouline de bons sentiments. Je ne pense pas avoir des qualités monstrueuses, mais je sais repérer ces choses et j'essaie de ne pas m'y vautrer. Mes personnages dans Rose et Chère Léa sont très universels, mais incontestablement, ce Jonas n'aurait pas été interprété de cette manière s'il ne s'était pas passé ce qui se passe depuis quelques années autour de la question du féminisme et de la représentation des hommes et des femmes.

Qu'entendez-vous par là ?Grégory Montel : Je crois que les hommes sont dans l'acceptation. Ils réalisent qu'ils ont quelque chose à abandonner que l'on peut appeler domination ou paternalisme. Ce n'est pas facile de renoncer à des processus inconscients qui vous ont permis d'être dominant pendant des siècles. On sait ce qu'on a eu et ce qu'on va perdre. Jonas a pris en charge ces revendications exactement comme l'acteur et l'homme que je suis les a prises en compte. J'ai été moi-même un mâle alpha, un rugbyman... J'ai toujours fait attention à l'autre, ça c'est sûr, mais je m'accommodais de ce pouvoir. Ça m'allait très bien ! Jonas lâche quelque chose, peut-être de l'ordre de l'orgueil, pour devenir différent. Si on ne fait pas cet effort, ça va mal se passer. Je suis sûr que cette remise en question commence à prendre plus de place. Même si je vois qu'il y a encore du refus, j'ai envie de faire confiance aux hommes.