• 09/07/2022
  • Par binternet
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Mode: comment fabrique-t-on un best-seller ?<

On a toutes eu, un jour, devant notre fil Instagram, en feuilletant un magazine ou simplement en croisant une fille dans la rue, envie de s’offrir immédiatement la pièce ainsi repérée. C’est l’effet « bestseller ». Quand, porté par l’air du temps et parfaitement mis en scène par les influenceuses (comprendre blogueuses ou plus précisément aujourd’hui Instagirls, mais aussi célébrités), ce dernier séduit le plus grand nombre et s’érige au panthéon mode des indispensables, à l’instant T… Parfois, l’addiction dure et le coup de cœur devient un intemporel. Récemment, on a vu défiler, en vrac, dans les listes des « wanted », les mules-chaussons en fourrure Gucci, la boucle d’oreille Tribale de Dior, le collier initiales LV & Me de Louis Vuitton, les chaussures Slingback de Chanel, le trench en plastique transparent de Wanda Nylon ou le maillot de bain une pièce à boutons pressions d’Eres. Faire un hit, frapper fort avec une pièce identifiable et positionner ainsi une marque sur la mappemonde mode, voici sans aucun doute le but ultime de toutes les griffes. Car dégainer un best-seller, comprendre un vêtement ou un accessoire qui s’écoulera en très grand nombre à travers le monde, en plus de faire un carton financier, inscrit un label dans sa catégorie (luxe ou plus mainstream) et prouve également qu’il sait être là où il faut, au bon moment.

Pour réussir cette alchimie, tous les acteurs du secteur, du créateur au client, se doivent d’être au diapason. Pour Mario Eimuth, cofondateur du site multimarque Stylebop, cela tient en effet en une combinaison de facteurs : « Souvent, une pièce qui devient best-seller résume à elle seule l’humeur de la saison. Le mieux, c’est qu’elle rejoigne une tendance déjà existante, qu’elle rencontre les désirs des clients à un moment précis, mais également leurs comportements d’achats et leur environnement culturel. Tout est lié. » Et le point de départ reste le sacro-saint défilé de mode. « Les shows donnent effectivement le coup d’envoi d’un buzz relayé en temps réel sur les réseaux sociaux, auquel succédera le plus souvent un boom des ventes. C’est là que nous, professionnels, identifions les vêtements ou accessoires les plus désirables, ceux sur lesquels nous allons parier », ajoute Mario Eimuth. « Nous nous plaçons toujours dans la peau de la consommatrice, détaille quant à elle Élodie Abrial, directrice de la mode au Bon Marché Rive Gauche. L’un de nos principaux critères est que cela fasse écho à une tendance émergente, ainsi, on sait que l’on est pile dans l’air du temps. Par exemple, pour l’hiver à venir, nous parions sur l’imposante boucle d’oreille portée en solo. Cette tendance est présente depuis quelques mois, promue notamment par la maison Céline, par de plus en plus de marques établies, mais aussi par de jeunes créateurs indépendants. Cela impose une allure, définit un style, ce qui est l’une des attentes-clés des clientes aujourd’hui. » Une fois le rideau tombé sur le défilé, c’est ensemble que les équipes de style affinent leur choix : « On en discute immédiatement entre nous puis avec le département en charge de l’image du magasin et les commerciaux, continue Élodie Abrial. Lorsque toutes les opinions convergent, on sait que l’on a peu de risques de faire fausse route. » Autant de professionnels réunis pour nous faire désirer la mode.

Et les spécialistes du style œuvrent également avec les moyens de l’époque, à savoir les réseaux sociaux. Une pièce portée par une influenceuse peut booster les chiffres de vente d’une marque. Directrice mode d’Instagram et habituée des front rows, l’Américaine Eva Chen, et ses quelque 600 000 abonnés, en sait quelque chose. Après le label de sacs new-yorkais Mansur Gavriel, dont le modèle seau fait fureur et est régulièrement sur liste d’attente, une autre marque de sacs doit son envol aux posts bien ficelés de miss Chen : Manu Atelier, lancée en 2014 par Merve et Beste Manastir, deux sœurs stambouliotes, a vu ses commandes exploser en août 2015 après une photo de son modèle Pristine postée par l’influenceuse. Elles ont dans la foulée intégré les multimarques les plus en vue, tels Stylebop ou Net-A-porter, et la cote de désirabilité n’en finit plus de grimper, au point que les sacs sont régulièrement en rupture de stock. Même effet « sold out » pour des pièces arborées par les célébrités, dont les différentes versions du hoodie siglé Vetements (culminant à 800 euros tout de même) vues sur Kanye West ou Kendall Jenner. Pour Eric Briones, coauteur du livre « Luxe & Digital » (éd. Dunod), « les bestsellers font naître le désir, et les influenceurs digitaux, qui incarnent pour leur audience les initiés qui prêchent la bonne parole, en sont les parfaits relais. En cela, ils représentent un nouveau pouvoir économique pour les marques ». Lorsqu’un changement majeur intervient au sein d’une maison de luxe, comme l’arrivée d’un nouveau directeur artistique, un succès peut également servir à imposer une nouvelle vision. « C’est toute une réflexion qui est menée en amont par les marques. Un produit qui va devenir iconique parce qu’il correspond à une nouvelle période, à un renouveau, peut en effet contribuer à repositionner une maison. Cependant, l’arrivée d’un nouvel accessoire n’est jamais une garantie de ventes, mais c’est un challenge auquel ces maisons sont préparées », explique Serge Carreira, expert luxe et maître de conférences à Sciences-Po Paris. Lors du défilé de sa première collection pour Gucci à l’automne-hiver 2015- 2016, Alessandro Michele chausse ses mannequins de chaussons brodés et de mules garnies de fourrure : carton plein pour ces souliers désormais reconduits chaque saison. La marque confesse être d’ailleurs régulièrement en rupture de stock et avoir dû mettre en place un système de liste d’attente pour certaines pointures. « C’est l’exemple même d’un produit devenu best-seller d’une maison en peu de temps, continue Serge Carreira. Pour réaliser cet exploit, rien n’a été laissé au hasard, toute la chaîne a été mise à contribution : les chaussures sont mises en scène au défilé, sur les réseaux sociaux, dans les campagnes de publicité, dans les boutiques à travers le monde. Avec un seul modèle, la griffe a prouvé sa cohérence, repositionné son image. Le Graal est un produit qui devient l’incarnation du style de la maison, quand il est instantanément reconnaissable. » Une réédition bien pensée peut aussi devenir best-seller, comme la chaussure Slingback, de Chanel. Cette réinterprétation contemporaine du soulier bicolore imaginé par Gabrielle Chanel en 1957 a fait sensation lors du show automne-hiver 2015-2016. Faire vibrer la corde nostalgique des clientes peut être particulièrement efficace. Près de 20 000 hashtags Slingback se baladent aujourd’hui sur Instagram.

Mode: comment fabrique-t-on un best-seller ?

Mais les maisons cultes au large patrimoine ne sont pas les seules à faire des hits. La jeune création est également bien déterminée à laisser son empreinte sur le style. Johanna Senyk, créatrice du label qui monte Wanda Nylon, raconte : « J’ai lancé ma marque en 2012 avec un concept fort articulé autour du vestiaire de la pluie. Dans un livre sur Helmut Newton, j’avais été marquée par ses photos du fameux trench en plastique un peu “space edge” qu’il a beaucoup représenté. Je trouvais dingue de ne pouvoir trouver ce type d’imper nulle part. Aucun créateur ne s’en était inspiré. Alors que, pour moi, c’était une évidence : cela devait marcher. D’ailleurs, en concevant le premier modèle, je me suis tout de suite assurée de pouvoir assumer une grande production. » Bingo, le succès est au rendez-vous et ses créations attirent même l’attention de Rihanna. Une simple question de feeling ? « Imaginer la pièce qui marche tient pour moi au mix réussi entre le désir et la nécessité. La coupe de mon trench est la plus classique et la plus fonctionnelle qui soit. Qu’il soit taillé dans une toile plastique avec une couleur neutre fait qu’on peut le porter avec tout. Il va à tout le monde, à toutes les carnations. J’étais sûre de rencontrer une demande », raconte la trentenaire qui a effectivement trouvé un parfait marché de niche avec son dressing paré pour contrer le ciel gris. Si le vestiaire de Wanda Nylon s’est depuis étoffé, ses trenchs et blousons en plastique et vinyle restent ses fers de lance. À tel point qu’elle les a déclinés lors d’une collection capsule pour La Redoute, lancée en juin. « J’étais très impatiente de savoir si cela fonctionnerait par ce biais-là. C’est ma première communication de masse. » Démocratiser son best-seller en s’associant à une plateforme grand public, un pari qui peut se révéler gagnant : nombre de pièces sont déjà épuisées. Le créateur Simon Porte Jacquemus a lui aussi collaboré avec La Redoute, en 2014. Son manteau rose bonbon overzise pour le catalogue a vite rencontré son public : plus de mille unités écoulées pour ce modèle à fort parti pris.

Mais le triomphe a son revers. À force de voir une création sur le plus grand nombre, le risque de lassitude peut prendre le dessus. « C’est l’une des difficultés car les clientes sont toujours en quête de nouveautés et de pièces uniques, analyse Serge Carreira. Elles ne veulent pas les voir sur tout le monde et, en même temps, cela aiguise leur désir. Là est tout le challenge des marques. » Alors que débutent les défilés printemps-été 2017, de nouveaux best-sellers préparés dans le secret des maisons s’apprêtent à attiser tous les désirs. On a hâte…