• 18/08/2022
  • Par binternet
  • 727 Vues

Clotilde Courau (Les Héroïques) : "C'est atroce d'aimer et de devoir dire STOP"<

Clotilde Courau le dit elle-même : elle brouille les pistes. C'est sûrement pour cela que la Princesse de Savoie aime jouer la comédie, apparaître sur scène, au cinéma ou à la télévision, parfois de manière furtive, d'autres fois plus présente, dans des comédies, des drames, des films d'amour... Prenons pour preuve son année 2021. L'actrice apparaîtra dans Haute Couture, l'histoire d'une fille de banlieue embauchée dans les ateliers Dior (elle y joue la mère dépressive, cas social accroché à son canapé), Des Mots d'amour, romance entachée par la maladie d'Alzheimer, ou La Cour, deuxième film d'Hafsia Herzi, après avoir été à l'affiche de Benedetta, comédie dramatique burlesque de Paul Verhoeven sur une nonne lesbienne incarnée par Virginie Efira. Côté télévision, elle est au casting des séries policières Disparue, diffusée sur France 2 en septembre, et Rebecca, bientôt sur TF1. Nous, c'est pour Les Héroïques de Maxime Roy, actuellement au cinéma, que nous avons interviewé la comédienne insaisissable. Dans ce drame sur un addict qui lutte pour rentrer dans le rang (inspiré de son acteur principal et co-scénariste François Créton), Clotilde Courau est Hélène, son ex, la mère de son bébé qui pose des limites. En quelques scènes seulement, l'actrice parvient à faire exister ce rôle avec une puissance émouvante. Entretien avec une passionnée.

Pourquoi avoir dit "oui" aux Héroïques ?Clotilde Courau : Je ne sais pas pourquoi ils ont pensé à moi, mais après avoir lu le scénario et regardé le court-métrage Beautiful Loser de Maxime Roy, j'ai immédiatement voulu le rencontrer, avec François Créton. Comme je suis très sauvage, que j'ai brouillé les pistes au fil des ans, j'ai senti qu'ils me reniflaient. Sauf que moi, j'ai eu l'impression de rencontrer une nouvelle famille et je le leur ai dit. Pas mal de gens de mon entourage sont en marge, j'ai vu avec ce film la possibilité de rendre hommage à tous ceux qui traversent ces vies-là, pour qui il est difficile d'être dans la réalité jusqu'au jour où ils rencontrent des mains tendues. C'est important de raconter ces parcours atypiques, de les faire exister comme Maxime met en lumière François.

Qui est Hélène, votre personnage ?Clotilde Courau : C'est une femme qui aime cet homme, Michel, mais qui ne peut plus vivre ce qu'il lui propose parce qu'il doit grandir, traverser ses propres épreuves. Elle ne peut pas accepter certains de ses comportements, dangereux pour lui et pour elle. On ne se connaissait pas avec François, mais je dois dire que dès la première rencontre, il n'y avait pas de doute pour moi. C'était une évidence et j'aimerais que l'évidence fasse ce film exister auprès du public.

Clotilde Courau (Les Héroïques) :

François Créton explique qu'avant une scène très forte entre vous, vous l'avez longuement pris dans vos bras…Clotilde Courau : Quand je tourne des scènes d'émotions, je fais souvent ça. C'est une manière d'être ensemble, de réaliser ce qu'on y laissera au moment où l'on se regardera dans les yeux. C'est une façon de se lier à l'autre pour dire le sous-texte. C'est ce qui m'intéresse d'ailleurs. Je n'accorde pas d'importance au nombre de scènes, à la longueur du personnage. Ce qui me parle, c'est ce que les rôles racontent dans les non-dits.

Après avoir vu le film, quelle impression vous a-t-il laissée ?Clotilde Courau : C'est un film lumineux, qui raconte les héroïques, pas seulement les toxicomanes, mais aussi tous ceux qui traversent des moments difficiles, qui parfois tombent, n'y arrivent plus, mais qui continuent leur route pour aller au bout de leur vérité. J'adore ce film, qui parle aussi de la difficulté d'être un Homme, au sens d'humain, et de la transmission.

Les Héroïques pose la question de ce qu'on lègue à ses enfants et de ce qu'on hérite de ses parents. Ce sont des sujets qui vous taraudent ?Clotilde Courau : La mémoire transgénérationnelle est une matière hyper intéressante, fondamentale. Savoir d'où l'on vient permet de savoir où l'on va sans créer de bloquages, de peines, de secrets, de peurs, de reproductions, de traumatismes... "Grandis", ça veut dire "prends ce que tu as à prendre de tes parents, laisse le reste". On voit bien chez Michel que le père n'a pas su transmettre la confiance à son fils, qu'il lui fait porter la culpabilité d'une mère absente. On n'est pas remontés au-dessus du personnage joué par Richard Bohringer, mais le grand-père a peut-être eu une histoire encore plus traumatique avec une femme...

Faites-vous attention à ce que l'on vous a transmis et à ce que vous transmettez à vos deux filles ?Clotilde Courau : Chacun vit sa vie comme il en a envie, je ne suis ni moralisatrice ni secrète. Et surtout, je considère qu'il n'y a pas une vérité, mais des vérités. La vie est un passage, elle est offerte pour être apaisée par le temps et pour cela, il n'y a qu'un seul ennemi, c'est le déni. Être "fille de" m'interroge sur l'histoire de ma mère, de ma grand-mère, quand être "mère de" me questionne sur comment se débarrasser du négatif pour ne transmettre que le positif à mes enfants.

Quel rôle joue votre métier de comédienne dans ces réflexions ?Clotilde Courau : Mon métier, c'est de la sociologie. Incarner en quelques jours un personnage, lui donner corps, lui donner vie, ça ne veut pas dire grand chose comme ça, mais c'est comprendre le fondement des choses. Ici, c'était jouer un amour puissant et devenir une femme face à quelqu'un qui se comporte comme un enfant. Elle n'a pas d'autre choix que de lui dire "je ne peux plus", C'est atroce d'aimer et de devoir dire "stop" et c'est pour ça qu'elle a ce visage fatigué. Elle est à bout, elle ne sait plus comment faire. Il fallait que je donne la puissance, la violence qui se jouent en elle. La vie telle que je la vis elle est faite de plein d'épreuves et je puise dedans. Je n'éprouve pas que du plaisir à faire ça. On ne me voit pas beaucoup parce que je vis. C'est délicat d'être interprète, il faut être visible, mais il faut aussi vivre pour rester authentique.

Comment choisissez-vous vos projets ?Clotilde Courau : Je suis très singulière, je peux aller autant dans la profondeur que la légèreté, mais mon exigence, c'est l'écriture. Ce n'est pas miraculeux, c'est assez simple : je regarde la qualité de l'écriture et du réalisateur. La personne qui est derrière, qui dirige, est primordiale. Je n'aurais pas fait Les Héroïques si Maxime Roy n'était pas un aussi bon metteur en scène. C'est rare de voir un jeune réalisateur caméra à l'épaule.

Etre quelqu'un de bien, ça veut dire quoi pour vous ?Clotilde Courau : Etre quelqu'un de bien, ça vient avec le fait d'être adulte. La question ne se pose même pas et d'ailleurs, je déteste la morale. Etre quelqu'un de bien, il faut le vouloir, encore faut-il avoir la conscience de ce que c'est. C'est difficile, d'autant plus dans une société où c'est ringard, où les gentils pensent qu'ils vont se faire écraser. Je crois beaucoup en l'amitié et en la parole. Quand on donne sa parole, on donne de la valeur à ce qu'il y a de plus profondément humain. La famille est aussi essentielle, et si ce n'est pas la famille de sang, c'est la famille de cœur. C'est énorme, ça donne des ailes. J'aimerais apprendre à mes filles cette puissance-là, de chercher à comprendre, de ne pas avoir peur de ses angoisses. Et même si c'est difficile de lâcher prise en tant que mère, de leur faire totalement confiance. Fondamentalement, profondément. Leur inculquer la famille, la parole… surtout dans un monde aussi perdu que le nôtre.