Qu’il est loin le temps des cartes en métal élitistes. Née en 1999 avec le lancement de la Centurion d’American Express, et accessible uniquement sur invitation pour ses clients les plus fortunés, la carte métal était perçue il y a 20 ans comme un produit hors du commun. “Son objectif était d’intégrer les codes du luxe dans le rapport à la banque - les avantages concernent notamment la haute couture, la gastronomie, l’hôtellerie - et de proposer un produit sur-mesure à un cercle exclusif de clients privilégiés”, explique Tristan Briend, manager banque et fintech au cabinet de conseil KPMG. L’opération a permis à “Amex” de s’implanter dans l’imaginaire collectif comme la banque des voyageurs fortunés. “C’était la première banque à sortir une carte composée d’autre chose que du plastique”, abonde Julia Caron, responsable marketing des produits de paiement innovants chez Thales. L’entreprise a fait l’acquisition de Gemalto en 2019, l’un des leaders de la fabrication de cartes bancaires.
Si le métal prend de l’ampleur, en France - Boursorama (Société générale) et Aumax pour moi (Crédit mutuel Arkéa) ont annoncé en fin d’année le lancement d’un tel produit -, c’est qu’il s’inscrit dans un cadre plus global de diversification du produit. “Il y a eu au fil des ans des évolutions sur la nature des matériaux utilisés. Les grands fabricants de cartes comme Thales et Idemia veulent valoriser au maximum ce produit car c'est leur business. Le métal est finalement une suite logique pour cet objet que nous utilisons 200 fois par an en moyenne”, souligne Angelo Caci, associé au cabinet de conseil Syrtals Cards. Le moteur de recherche Ecosia a ainsi lancé en octobre une carte bancaire fabriquée… à partir de bois de cerisier ! La BMCI, filiale de la BNP, a opté en 2016 pour des cartes biodégradables en amidon de maïs, déjà utilisé pour les emballages alimentaires.
Aucune banque traditionnelle n’a encore sauté le pas, mais déjà sept néobanques et banques en ligne ont intégré la carte métal dans leurs catalogues. Boursorama et Aumax donc, mais aussi N26, Revolut, Vivid, Curve et Sogexia. Et depuis American Express, les conditions d’octroi ont totalement changé. Le produit revêt encore une dimension haut de gamme, mais s’est largement démocratisé. Les banques ont en effet pour objectif de toucher un maximum de clients avec ce moyen de paiement. Elles ont pour cela décidé de n’instaurer aucune condition de revenu, et surtout d’abaisser considérablement les prix par rapport au géant américain. “Ces cartes n’induisent peu ou pas de risque supplémentaire : métal ou non, les cartes proposées par les néobanques incluent généralement une autorisation systématique et un contrôle de solde lors de chaque paiement, dont le fonctionnement est équivalent à une carte type “Electron” chez les acteurs traditionnels”, précise KPMG. Le produit est seulement facturé entre 9,9 et 16,9 euros selon les acteurs, mais avec encore un beau vernis de prestige : “Le design et le toucher du produit restent très puissants” selon Angelo Caci. Un vecteur de proximité très important, poursuit Julia Caron : “Dans un monde digitalisé, on voit les agences disparaître et les conseillers devenir payants. Finalement, la carte bancaire est le dernier lien tangible entre la banque et son client. Il est donc très important que cette liaison soit la plus personnalisée possible, surtout pour les néobanques qui ne possèdent pas d’agences.”
Certes, aucune donnée publique n’a encore été dévoilée par les banques, mais Tristan Briend de KPMG estime que ce produit a “contribué, à son échelle, à la forte croissance du nombre de comptes ouverts chez les néobanques et banques en ligne”. Entre 2017 et 2019, le nombre de comptes ouverts au sein des néobanques a grimpé de 150%, rappelle leur étude. “Nous n’avons pas accès aux chiffres détaillés par offre mais nous pouvons supposer qu’en plus des souscriptions directes à l’offre métal, ces cartes font l’objet de montées en gamme de clients existants ayant souscrit à une offre gratuite dans un premier temps”, poursuit le cabinet. En guise d’exemple, la banque américaine Chase, lors du lancement de sa carte en 2016, a enregistré plus d’un million de souscriptions aux Etat-unis.
Au-delà de l’aspect esthétique, le vrai avantage de ces cartes demeure l’ensemble des services qui lui sont associés. Pour y avoir très clair, Capital a ainsi obtenu, grâce au comparateur de frais bancaires Panorabanques, un tableau comparatif permettant de se rendre compte des avantages d’un tel produit. Côté prix, Boursorama fait encore une fois honneur à son titre de “banque la moins chère “ en proposant son Ultim Métal à 9,9 euros. Seuls Vivid et Sogexia s'alignent sur un tel prix. A noter que Boursorama et Aumax pour moi sont les deux seuls établissements qui permettent de bénéficier d’un Iban français, un détail important lorsqu’on sait qu’un Iban étranger peut entraîner nombre de difficultés pour les clients, et notamment dans leur prélèvement.
Sur le territoire européen, trois établissements autorisent les retraits de façon gratuite et illimitée : Boursorama, Aumax ainsi que Sogexia. Il faut dire que les deux premiers peuvent s’appuyer sur le réseau bancaire, mais aussi la solidité financière de leur maison mère, à savoir Société générale et le Crédit mutuel Arkéa. Les concurrents ont eux instauré un plafond au-delà duquel une commission de 2% ou 3% est prélevée à chaque retrait. N26 a lui opté pour un système instaurant 8 retraits gratuits par mois avant d’appliquer une commission forfaitaire de 2 euros.
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— Patricia Harris Sat Jun 15 05:52:48 +0000 2013
Hors des frontières européennes, il y a consensus pour permettre aux clients de payer de façon illimitée et gratuite. En revanche, Revolut, Vivid et Curve ont instauré un plafond (entre 600 et 1.000 euros) similaire à celui imposé au sein de l’Union européenne. Autre point de différence : les plafonds instaurés sont particulièrement hétérogènes. Là ou Boursorama, N26 ou Aumax raisonnent par mois en matière de paiement, Curve a opté pour un plafond quotidien (2.400 euros).
Les assurances voyages - retards de vol, pertes des bagages - ainsi que les assurances médicales à l’étranger sont, elles aussi, un point commun entre tous les acteurs. La différence se rapporte aux plafonds. Une fois encore, Boursorama et Aumax se distinguent à nouveau en proposant une prise en charge jusqu'à 2 millions d’euros, soit deux fois plus que la concurrence. "Les assurances constituent un des pans majeurs de ces cartes métal. Elles s'inscrivent dans l'idée un package plus global, qui explique en partie le coût de la carte" estime Olivier Nora, responsable des produits bancaires chez Idemia. Ce géant des cartes bancaires fournit entre autres à Boursorama les cartes en métal nécessaires à la commercialisation de son offre Ultim Metal.
Ces avantages ne sont finalement pas si innovants. Car la bataille des frais à l’étranger, notamment au sein des banques en ligne, a déjà été lancée depuis 2019. Fortuneo avait à l'époque lancé son offre Fosfo pour exonérer ses clients de frais de retraits et paiements hors de l’Union européenne. Derrière, Boursorama puis ING avait suivi. D’autre part, les garanties et assistances liées aux voyages et à la santé sont déjà comprises dans les cartes premium de ces mêmes établissements. Ce qui fait dire à KPMG que “par le niveau d’assurances proposées, les cartes métal sont souvent équivalentes à des Visa Premier ou Mastercard Gold”.
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Les cartes métal ont donc aussi misé sur des services beaucoup plus prestigieux, pour se placer finalement entre une carte premium (Gold, Premier) et une carte très haut de gamme (Mastercard World Elite, Visa Infinite). Revolut, Boursorama et Curve permettent ainsi aux détenteurs de carte métal de bénéficier de salon lounge dans les aéroports. Un service certes proposé par des banques traditionnelles, mais uniquement en souscrivant à une très onéreuse Mastercard World Elite (entre 285 et 310 euros pour la plupart des établissements) ou Visa Infinite (encore plus chère). “L’accès aux salons lounge d’aéroports suscite l’intérêt des clients mais n’est pas encore une norme de marché, et la conciergerie est assez peu proposée chez les néobanques”, rappelle KPMG. La nature des avantages varie selon les établissements. N26 a par exemple intégré une assurance pour les smartphones et tablettes jusqu’à 1.000 euros en cas de vol ou de dommage, que l’achat ait été effectué avec un compte N26 ou non.
En descendant d’un cran, on s’aperçoit cependant que les cartes premium apportent parfois les mêmes avantages que les cartes métal. Les CB Premium et métal d’Aumax garantissent toutes deux la reprise de certains produits achetés dans l’année à hauteur de 80%. L’offre de cashback de Revolut (les “Rewards”), au départ réservée à une petite partie de sa clientèle, s'est finalement démocratisée en s’étendant à son offre premium. Surtout, seule Vivid assure un cashback sur l’intégralité des achats, les autres banques étant passées par des partenaires. A noter que le concept de cashback n’est pas propre aux néobanques. LCL en propose depuis 2015, tout comme la Société générale.
Il y a donc encore du chemin pour que le produit prenne une place prépondérante en France. D’après une enquête conduite en 2020 par Data2decisions pour le compte d’Idemia, 60% des 18-37 ans dans le monde ont affirmé connaître le concept d’une carte métal. "Mais la proportion est plus faible sur notre territoire, renchérit Olivier Nora : seulement 37%. Il ya donc une vraie marge de manoeuvre pour le développement du produit". Bien que largement abaissé, le prix de la carte et son caractère "bling-bling'' ne constituent-ils pas un frein à son développement ? “Si l’on compare aux offres similaires des acteurs traditionnels au moment de leur mise sur le marché, le prix est très avantageux”, nuance Tristan Briend.
Surtout que le prix de fabrication de cet objet métallique est bien plus élevé que son homologue en plastique : “Il faut se rendre compte du bijou technologique qu’il représente, nuance Julia Caron. Ce produit permet à la fois de réaliser des paiements sans contact, le tout avec des matériaux en métal qui pourraient perturber le champ magnétique du terminal. Sans parler de la puce électronique et du micro-processeur intégrés, tous deux très performants. Le tout est certifié par les normes de Visa et Mastercard.” Les banques traditionnelles auront finalement une carte à jouer, elles qui n’ont pas encore vraiment investi ce secteur. Avec leur force de frappe commerciale ainsi que leur portefeuille de clients, elles pourraient doper et faire franchir un cap à ce marché.