Après Babine et Ésimésac, L’arracheuse de temps constitue la troisième adaptation d’un conte de Fred Pellerin au cinéma. En entrevue, le réalisateur Francis Leclerc affirme qu’en dépit du genre cinématographique, le fantastique, le film demeure ancré dans l’identité québécoise. Rencontre avec le cinéaste et des membres de la distribution.
Publié le 12 nov. 2021André Duchesne La PresseL’arracheuse de temps est une histoire qui tire sa source à Saint-Élie-de-Caxton et qui est racontée à travers le regard d’un gamin prénommé Fred. C’est une histoire tournée à Saint-Armand et dans le singulier cimetière de Frelighsburg. Une histoire débordante de pommes comme il y en a dans cette région. Et une petite histoire avec quelques clés, bien cachées, nous renvoyant à celle, immense, du Québec.
« L’arracheuse de temps est un film fantastique qui nous ressemble et que nous n’avons pas souvent l’occasion de faire, lance le cinéaste Francis Leclerc en entrevue. Elle nous ressemble par le fait que le personnage de la Mort nous parle en québécois. Lorsqu’elle nous dit par exemple d’aller à Shawinigan. Cette mort n’est pas internationale ; elle vient de Saint-Élie-de-Caxton. »
Le « fantastique » dont parle le cinéaste (Une jeune fille à la fenêtre, Un été sans point ni coup sûr) est évidemment ce genre qu’il a pu explorer dans le passé avec la télésérie Les rescapés, mais qui, au cinéma québécois, est davantage l’exception que la règle. C’est là que résidait pour lui le plus grand défi, du moins sur le plan technique.
Leclerc a décidé de relever ce défi de façon frontale, évitant les effets numériques (CGI), lorsqu’il le pouvait, au profit de réels décors et objets.
« Je voulais m’en aller dans quelque chose de plus organique et mécanique, dit-il. Par exemple, pour l’histoire, on a utilisé un vrai pommier. Et lorsque le personnage de Belle Lurette (Marie-Ève Beauregard) disparaît dans une malle, c’est du décor. C’est construit ! Même chose avec le personnage de la Mort et son costume qui prend cinq heures à installer. Comme approche, c’est très Labyrinthe de Pan [Guillermo del Toro], un film qui me plaît beaucoup. »
La Mort. Parlons-en. Puisqu’elle est partout dans le film. En fait, elle en est le cœur. Dans le monde particulièrement foisonnant et aux personnages très colorés de L’arracheuse de temps, la mort demeure le pivot, le carrefour, le point de rencontre.
Voici comment elle se manifeste. En 1988, à Saint-Élie-de-Caxton, un gamin de 11 ans prénommé Fred (Oscar Desgagnés) craint pour la vie de sa grand-mère (Michèle Deslauriers). Pour le rassurer, cette dernière, conteuse hors pair, le ramène 60 ans en arrière dans le même village aux personnages très colorés, sympathiques et un peu fêlés qui s’unissent pour faire échec à la Mort. Car de la mort naissent les légendes.
Et c’est là que le spectateur est ramené dans le temps. Plus précisément en 1927, à la rencontre des villageois : Bernadette (Jade Charbonneau), le barbier alcoolique Méo (Marc Messier), le forgeron et papa veuf Riopel (Guillaume Cyr), le couple Toussaint (Émile Proulx-Cloutier) et Jeannette (Sonia Cordeau) qui tiennent le magasin général, le curé Neuf qui zozote (Pier-Luc Funk) et Mme Gélinas (Geneviève Schmidt) dont les 472 enfants ont tous le front barré d’un seul sourcil.
En marge de cette communauté vit, dans une grande maison que personne n’a visitée, la Stroop (Céline Bonnier), étrange sorcière moderne qui possède peut-être les clés pour renvoyer cette arracheuse de temps qu’est la mort dans les ténèbres.
Pour Francis Leclerc, la Stroop incarne une forme de modernité et d’indépendance avec ses pantalons, son fusil balancé sur l’épaule et sa voiture turquoise de 1938. « Un anachronisme assumé, dit le cinéaste. C’est comme si on nous disait qu’elle avait accès au futur. »
« À la base, l’histoire est portée par un trio de femmes fortes, si on inclut la Mort, dit Francis Leclerc, qui en est à sa deuxième collaboration avec le scénariste Fred Pellerin après Pieds nus dans l’aube, où Leclerc rendait hommage à l’œuvre de son père, Félix. Les deux femmes wise du village sont la Stroop et Bernadette, qui est comme l’Hermione du groupe. »
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Sinon, les autres personnages sont « niaiseux et sympathiques », avance Francis Leclerc. « C’est correct de le dire comme ça. »
Ce n’est pas insultant pour Fred [Pellerin] quand on dit que le village est niaiseux. Les habitants ont tous des travers et une vision étroite de certaines choses.
Francis Leclerc, réalisateur
Interprète de Toussaint, le propriétaire du magasin général qui est plus attiré par la réussite en affaires que par l’intimité avec sa femme et la vie de famille, Émile Proulx-Cloutier souscrit à cette idée.
« Pour des raisons puériles, Toussaint prend une décision qui met du monde en danger, dit-il. Il prend des décisions niaiseuses et c’est ce qui me le rend attachant. Les personnages de Fred sont parfois plus grands, mais aussi plus petits, que nature. »
Le spectateur remarquera aussi que le symbole de la pomme occupe une place importante dans le film. Il y a la pomme rouge du petit Fred. Il y a les pommes noires de l’arbre, frappé par la foudre, situé au cœur du village. Croquer dans l’une d’elles, c’est s’exposer à tous les dangers. On en revient au péché originel ?
C’était dans l’histoire [le conte narré par Fred Pellerin]. Dans le pommier, il y a la branche de la mort, la branche de la vie. Visuellement, j’ai poussé cette affaire-là. Je trouvais ça beau ! Tu croques le fruit défendu et tu vas en subir les conséquences.
Francis Leclerc, réalisateur
Francis Leclerc a par ailleurs éprouvé autant de plaisir à trouver une représentation visuelle à la Mort (dont nous tairons le nom de l’interprète qui se trouve au générique) avec son grand costume noir. « La Mort, c’était le fondement même de l’histoire, dit Francis Leclerc. Elle est toujours présente physiquement. Il nous fallait la représenter. »
En somme, il ne fallait jamais quitter la Mort des yeux. À Saint-Élie-de-Caxton, comme partout ailleurs, c’est un sage conseil.
En salle le vendredi 19 novembre
Les interprètes du film de Francis Leclerc présentent leurs personnages respectifs
« Le look de mon personnage est parti des costumes. On a voulu faire de La Stroop une espèce de sorcière moderne. On a souvent eu peur de ces femmes qu’on appelait des sorcières et plusieurs ont fini brûlées. Or, elles étaient des femmes plus indépendantes, avec une autre façon de penser, de s’organiser. Ici, comme on est dans un conte, tout se peut. Le conte t’amène à avoir un monde intérieur, un monde imaginaire à toi. C’est comme si on ouvre une fenêtre pour oxygéner cette partie-là de notre cerveau. »
« Mon interprétation de l’histoire est qu’à chaque mort qui survient, une légende commence. J’y vois un grand poème, une espèce de réconciliation avec ce destin tragique auquel nous devrons tous faire face. Mon personnage est rempli d’espoir, de lumière. Je la vois comme une très jeune femme habitée d’une force plus grande qu’elle-même. Une femme pleine de témérité. Et même si elle va toujours au front, elle reste très douce. Elle a une réelle affection pour tous les autres personnages. »
« Méo est un alcoolique avec une grande sensibilité. Il est plus sensible et alcoolique que bon barbier. Je n’irais pas me faire couper les cheveux par lui ! Le film s’est tourné dans le village de Saint-Armand, là d’où vient ma famille. Mieux encore, mon père est né là et il était… barbier ! Comme quatre ou cinq de ses frères. Mon père était le 20e enfant de la famille ! Alors, quand on m’a offert le rôle, j’ai comme senti un appel. Ça me parlait beaucoup ! »
Sonia Cordeau et Émile Proulx-Cloutier forment le couple de Jeannette et Toussaint Brodeur. « Toussaint a une vision en silo, en tunnel, sur le monde », explique Émile. « Mais ils font une bonne équipe. Ils se complètent. Ils s’aiment », ajoute Sonia Cordeau.
Selon Émile, « Fred [Pellerin] est tendre avec ses personnages, mais il ne les ménage pas ». « Le mien est franchement cave ! C’est ce qui me plaît là-dedans. Tous les personnages ont les qualités de leurs défauts. »
« Et même si nous sommes dans un conte, on ne fait pas la morale, souligne Sonia Cordeau. Nous sommes tout simplement dans une histoire. »