“On n’a plus aucun stock de combis’ “. À chaque magasin de surf, la même rengaine. C’est la pénurie. Impossible de mettre la main sur du néoprène, incontournable en surf, body-board, planche ou kite-surf pour résister au froid mordant des rouleaux d’hiver. “On peut essayer de commander, mais ça va prendre du temps”. Assez pour la recevoir à Noël ? “Plutôt pour le deuxième semestre 2022, et encore".
De Taiwan à Tokyo, toute les usines tournent au ralenti et doivent faire face à une pénurie de matière première. Dans le même temps, la demande a explosé. France:info sport a remonté la piste du néoprène auprès des marques historiques de surf, des producteurs, des jeunes start-up et des surf shops. Tous guettent l’arrivée de leur père Noël : un cargo avec des combis’ par milliers.
“C’est l’enfer. Beaucoup de problèmes se cumulent : la pénurie de matière première, le manque de main d'œuvre et le temps de transport qui a doublé”, énumère Yann Dalibot, le directeur de Soöruz, une marque de surf française au carnet de commande bien rempli mais qui, comme toute l’industrie de la glisse, peine à obtenir ses produits. Sur les sites internet des marques de surf, même constat : les derniers modèles se battent en duel - taille XS ou L.
En réalité, les entreprises de glisse ont enregistré une croissance de 50% à 100% sur leurs ventes de combinaisons cette année et, sur la liste au père Noël, les sports de plein air figurent en bonne place. "On sort autant de produits mais la demande évolue si vite que cela entraine quelques ruptures" explique David Martinelly, ingénieur produit chez Décathlon.
Avec l’angoisse de la pandémie de Covid-19 et les confinements successifs, les sports de plein air comme le surf suscitent un véritable emballement des Français. “Il y a à la fois de plus en plus de débutants l'été, avec un tourisme franco-français, et davantage de surfers réguliers qui sont à l'eau 365 jours par an, en automne et en hiver quand il y a les meilleures vagues”, corrobore la Fédération française de surf.
Une croissance exponentielle de la demande, que l’industrie peine à suivre. "L'afflux à Noël sur notre site web, entre le 20 novembre et le 18 décembre, équivaut à 30% de nos ventes digitales de l’année. Mais cette année, c'est compliqué de fournir tout le monde", constate Stan Bresson, co-fondateur de Saint Jacques Wetsuits, une start-up française de combinaisons. Trouver une combinaison néoprène pour Noël, que l’on soit néophyte ou confirmé, a pris des airs de mission impossible.
Le temps de production d'une combinaison néoprène en usine, en Thaïlande ou à Taïwan, s'élève ordinairement de trois à quatre mois. Cet hiver, il a triplé. Il faut désormais prévoir 12 à 18 mois pour obtenir le précieux sésame. “Les usines sont archi-débordées. Forcément c’est un peu la bataille entre les marques pour les livraisons”, reconnaît Yann Dalibot.
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— amelie Thu Sep 17 18:47:55 +0000 2020
Autre aiguille dans la botte de l’industrie des sports de glisse : le temps de transport a doublé et le prix du fret a explosé. "Noël, c'est une augmentation du temps de transport de 50%, sachant que c'est déjà difficile en temps normal de trouver de la place sur les conteneurs. L'acheminement maritime est catastrophique. Nous, on a dû se tourner vers l’aérien pour avoir notre marchandise à Noël, mais forcément on perd toute notre marge", soupèse Stan Bresson de Saint Jacques Wetsuits.
Le néoprène, dérivé du pétrole, du limestone ou du caoutchouc naturel, n’est pas produit en France. Tout vient d’Asie, principalement du Japon et de Taïwan, dans des usines de pointe, qui produisent ce tissu étanche et souple. La matière est ensuite transformée en combinaison dans des manufactures à travers l'Asie.
Difficile de connaître le nom des fournisseurs des marques de surf. Les volumes reçus de néoprène, leurs variations, leur coût, demeurent les ingrédients d’une recette maintenue secrète sur un marché très concurrentiel.
Mais une entreprise concentre près de 90 % de la fabrication des produits néoprènes en France. Son nom : Sheico. Le groupe, basé à Taïwan, pourvoit 65% du marché mondial en vêtements techniques pour les sports nautiques et compte des usines au Cambodge, au Vietnam ou en Thaïlande. Chaque année, 35% de sa production part à destination de l'Europe et particulièrement en France.
"Pendant la pandémie et les confinements, la popularité des sports aquatiques a augmenté fortement, explique auprès de france:info sport Jeff Shiue, directeur des ventes du groupe Sheico. Nous devons actuellement ajuster notre production entre l'énorme demande de combinaisons et les pénuries sur les matières premières indispensables à l'élaboration des produits. La pénurie la plus importante concerne le polychloroprène. (...) Nous encourageons également les marques à utiliser des matériaux de substitution plus durables et plus abondants, tels que le caoutchouc naturel."
De son côté, Rip Curl a misé sur sa propre usine depuis 1989. Très implantée dans le milieu du surf, l'entreprise travaille avec “cinq à six producteurs de matière première, dont un avec exclusivité" et réalise ensuite la manufacture de son produit fini : “C’est un travail manuel de grande précision puisqu’il faut faire des coutures étanches, à l’intérieur du néoprène, pour que l’eau n'entre pas dans la combinaison. Recruter et former prend donc du temps. On a embauché 200 personnes et augmenté de 30% notre capacité de production mais même ça, ça ne suffit pas face à la demande exponentielle”, énumère Jonathan Cetran, chef de produit chez Rip Curl Europe.
“Avec la hausse du prix du transport, du pétrole et la pénurie de produits, les prix ont grimpé de 10% à 15% sur le printemps”, explique David Ledan de Glisse-Proshop. "Lorsque le prix des matières premières et les frais d'expédition ont augmenté fortement au cours de l'année dernière, nous n'avons malheureusement pas eu d'autre choix que de refléter une partie de cette augmentation sur les coûts pour nos clients. (...) Sheico modifiera le prix en conséquence dès que le prix des matières premières sera revenu à la normale", communique de son côté le géant de l'industrie des sports aquatiques.
La tendance d'inflation du produit devrait se confirmer en 2022 car les coûts de production augentent encore. Sans visibilité, difficile de se prononcer sur un retour à la normale. “J'espérais que ce serait le cas en 2023, mais on sait déjà qu’il y aura du retard sur les livraisons. On a complètement changé de métier. Avant, on avait une commande puis on lançait la production. Désormais on lance la production, puis on vend. On a des gammes simplifiées, avec des classiques en stock”, ajoute Yann Dalibot.
Dans ce contexte incertain, chacun s'adapte comme il le peut. La crise du coronavirus bouscule l'ensemble de l'industrie de la glisse. Cette fois, tous attendent que passe la vague.