• 04/02/2022
  • Par binternet
  • 963 Vues

« Montre jamais ça à personne » : le documentaire sur Orelsan, ce petit rappeur de Caen<

Tout commence dans sa chambre, à Caen. Aurélien Cotentin (Orelsan) est le seul à avoir un appart' à lui. Il y accueille toute sa bande de potes. C'est sale, mal rangé. Les murs sentent la clope. Une chambre d'ado mais pour mecs de 20 ans.

Ils se lèvent à 15 heures. Entre deux bières, ils bidouillent des morceaux de musique pour s'amuser. Et ce, jusqu'à l'aube. Au milieu de cet aréopage de « loosers », le petit frère d'« Orel » observe, la caméra au point. « Je suis convaincu que ces quatre mecs sont destinés à faire de grandes choses. »

Mais à Caen, aucune star, aucun modèle. Personne ne se projette. Eventuellement sur l'estrade d'un bar de Caen. Pourtant ils rêvent de lumière et de foule en délire. Mais ils le savent, tout se joue à Paris. Ou à Marseille où le groupe I AM a réussi à placer la cité phocéenne sur la carte du rap.

Skread, l'imprésario

A Caen, Orel n'a pas de réseau pro, ni de réseaux sociaux pour se faire connaître. Nous sommes en 2005. Il finit par endosser un job de commercial en bonbonnes d'eau mais il « kiffe pas du tout ». Il enchaîne plusieurs petits boulots. Parfois se fait virer. Son boulot de réceptionniste dans un hôtel caennais dure plus que les autres. On voit le rappeur lustrer ses chaussures de costume, vêtu d'une chemise trop large pour lui. « On sait pas ce qu'on va faire de lui », confient les parents.

Pour leur faire plaisir, il entre dans une école de commerce, toujours à Caen. Contre toute attente, c'est ici qu'il vit le tournant. Pas grâce aux cours qu'il suit à moitié mais à la rencontre de Matthieu (aka Skread) un étudiant qui « fait des intrus ».

Skread est plus structuré que la bande de copains qui clope dans l'appart. Lui part à Paris. « Là je vois qu'on n'est pas plus bête que les autres, il y a de la place pour nous. » Il revient et fixe un but au groupe d'apprentis rappeurs.

De son côté, Skread signe trois titres sur l'album « Dans ma bulle » de Diam's, dont « La Boulette » qu'il coproduit. Intégré à l'industrie musicale, il comprend les codes, comment monter un show, organiser une tournée, gérer les relations avec les médias. Il met Oral sur la voie d'Orelsan.

« Sale pute » et les CV pour devenir « chanteur de variété »

Skread signe chez Warner et convainc la maison de disques de signer aussi ses copains, Orel et Gringe (l'autre rappeur du groupe). Mais pour eux, c'est le budget minimum. Orelsan enregistre les premiers morceaux chez lui, dans un placard tapissé de couvertures.

En quelques mois, tout s'emballe. Orelsan connaît son succès, avant que tout ne s'effondre. Une vieille musique faite à la maison entre copains se retrouve au coeur d'un scandale. « Sale pute » raconte l'histoire d'un mec trompé qui rêve de tuer sa copine. Le journal de 20 heures propulse le prometteur rappeur en artiste honni du presque tout Paris.

Lire aussi :

Lire aussi : TEMOIGNAGE - « Je suis rappeur et étudiant en école de commerce, et tant pis si ça semble incompatible »

Les concerts sont accueillis par des protestations de mouvements féministes. Même l'Assemblée nationale débat sur les limites de la liberté d'expression à appliquer au rappeur Orelsan. Le couperet tombe avec l'annulation du festival des Francofolies. Dans la foulée, 80 dates sont supprimées.

C'était son premier album. Orelsan garde le sourire mais sait sa carrière condamnée. La tournée est déficitaire de 40.000 euros. Il recommence à envoyer des CV pour être « chanteur de variété ». La suite, on la connaît. Le rappeur totalise actuellement 2 millions d'auditeurs par mois sur la plateforme Spotify.

Myspace et les autres

Clément Cotentin, transformé en documentariste, dévoile « Montre jamais ça à personne », une série en six épisodes, six tranches d'un succès non annoncé. Il a dû faire le tri entre 2.000 heures de rush. En plus de l'ascension incroyable d'un groupe d'amis jusqu'aux plus grandes scènes françaises, le réalisateur dessine en creux l'évolution du rap de ces 20 dernières années. Et on comprend comment un petit blanc de Normandie a réussi à se faire une place dans le rap français qui n'était à ce moment-là « pas gentil comme aujourd'hui ». A l'époque, pas de rap sur France Inter mais uniquement sur Skyrock qui fait la pluie et le beau temps dans l'industrie. Il fallait venir des quartiers, être « méchant, arrogant ». Orel n'était pas dans les canons. Et pourtant.

On comprend aussi comment l'émergence des réseaux sociaux a changé la donne. Au milieu des années 2000, l'arrivée de Myspace offre une visibilité inespérée à ce groupe inconnu. Quand Orel et Gringe atteignent les 35.000 abonnés, ils ont le sentiment de faire le Printemps de Bourges. « J'ai l'impression qu'on me reconnaît dans la rue. »

2 millions

Le nombre d'auditeurs par mois d'Orelsan sur la plateforme Spotify

Que vous aimez le rap ou pas, cette série documentaire vous galvanisera. La trajectoire d'Aurélien, mec sympa, lambda, mal dégrossi, vous donne l'impression que tout le monde peut percer, vous comme la personne pas très stylée que vous venez de croiser au supermarché.

A travers les différents épisodes, on voit aussi la force de travail d'Orelsan sous son apparente dilettante. On reste d'ailleurs coi quand on le voit, 10 minutes avant d'entrer sur scène, détendu alors que rien n'est calé. Le concert sera un triomphe. En somme, la chronique du « groupe de rap le moins productif » de l'histoire…