Si American Horror Story devait s'aventurer en France pour une saison à la Asylum, nul doute que ce serait à la Salpêtrière. En partie transformé en prison pour femmes au cours du XVIIème siècle, ce grand hôpital parisien est devenu un cauchemar entier à la fin du XIXème : c'était la destination forcée de milliers de femmes considérées comme gênantes pour la société, de par leur âge, leur handicap ou leur maladie. Entassées, maltraitées, déshumanisées, elles étaient oubliées du monde. Parmi elles, il y avait les "pires", les soi-disant folles, plus ou moins irrécupérables.
Hasard ou évidence : après Alice Winocour avec Augustine, où Vincent Lindon incarnait le fameux professeur Charcot, c'est encore une réalisatrice qui s'intéresse à cette page sombre et méconnue de l'histoire française. En adaptant le livre de Victoria Mas, publié en 2019, Mélanie Laurent raconte un point de vue entièrement féminin sur cette horreur construite par le masculin, avec les pères et médecins auto-proclamés gardien de la bienséance.
C'est donc l'histoire d'Eugénie, fille de bonne famille qui n'a pas qu'un caractère trop rebelle aux yeux d'une société qui verrouille les rôles de tous, et surtout, de toutes. Elle a aussi le don d'entendre et voir les morts. Et comme la France du XIXème n'est pas un royaume enchanté de Disney ou un roman young adult, elle est jetée par son père dans les oubliettes de La Pitié Salpêtrière, au service des hystériques. Bienvenue en enfer.
Smells like real spirit
Zéro mystère est fait sur le don d'Eugénie. Très vite, le doute est balayé, et le caractère fantastique, assumé. Elle peut réellement entendre et voir des morts, même si Mélanie Laurent laisse cette part de l'univers totalement invisible à l'image. La question ne sera alors plus de déterminer si elle est folle ou non, mais si sa soi-disant folie va la condamner à perpétuité ou au contraire l'aider à trouver une issue.
Le film est un parcours de survie, avec deux vrais-faux obstacles incarnées par deux actrices : Mélanie Laurent et Emmanuelle Bercot, qui se passent le relais dans le rôle des gardiennes du temple pouvant vaciller face aux dons d'Eugénie. Et c'est le premier gros frein du scénario, co-écrit par la réalisatrice et Christophe Deslandes (qui avaient déjà signé ensemble Les Adoptés et Plonger). Ces deux rôles fonctionnent tellement en miroir que le récit semble tourner en rond et s'étirer, d'autant que la deuxième femme est à peine développée.
Et à l'image de cette nouvelle geôlière à peine plus cruelle, Le Bal des folles reste à distance, en surface, choisissant de ne jamais sauter dans la véritable horreur de ces lieux aux côtés des femmes. Même quand le film rappelle les abysses carcérales type Papillon, c'est seulement pour quelques scènes, et beaucoup d'ellipses. A la place, l'histoire glisse peu à peu vers une forme de mélo facile, jusqu'à un grand final où la mécanique purement dramatico-dramatique achève l'illusion.
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— FS2 at Fox Hill Tue May 12 07:18:52 +0000 2020
"J'ai besoin d'un co-scénariste"
L'idée du film est éminemment lisible : ce bal des folles n'a jamais vraiment cessé. Les costumes et coutumes ont simplement évolué pour continuer à contrôler et étouffer les femmes dans la société - et pas que, comme le montre le personnage du frère. Ce regard moderne est certainement ce qui fonctionne le mieux, mettant en parallèle les différentes formes d'aliénation. La mise en scène et le montage soulignent ces effets en miroir, notamment avec le rituel des corsets ou le poids du pouvoir masculin, qu'il soit incarné par un chef ou un père. Là, la réalisatrice et co-scénariste prend de la hauteur sur son sujet.
Dès son premier film, Les Adoptés, la réalisatrice Mélanie Laurent avait impressionné, et montré un beau regard sur les corps et les visages. Regard prolongé dans son deuxième film, Respire, avec déjà Lou de Laâge. Cette précision est là dans les premières scènes du Bal des folles, où elle filme des dos et des nuques, mais la force s'évapore par la suite.
Le bal démasqué
Mélanie Laurent explique avoir ravalé son instinct premier de moderniser l'approche du film historique, pour laisser le récit dicter sa mise en scène. Force est de constater que le piège était trop grand pour être évité, tant Le Bal des folles semble vite engoncé dans ce regard tiède, ni clinique ni viscéral. A mesure que le film avance, au fil de deux longues heures, tout paraît être en pilotage automatique.
L'émotion est alors peu à peu emportée dans cette molle danse. L'impressionnante Lou de Laâge porte pourtant le film sur ses solides épaules, accompagnée par quelques seconds rôles malheureusement trop effacés (notamment la touchante Lomane De Dietrich, le tendre Benjamin Voisin, et le bloc de béton Cédric Kahn). Mais du côté d'Emmanuelle Bercot et surtout Mélanie Laurent actrice, c'est beaucoup plus mécanique.
Leur interprétation plus méthodique et forcée dénote, probablement à cause de l'écriture pas très fine de ces deux femmes, qui explose dans un final digne d'une mauvaise saga de l'été sur TF1. Ce Bal des folles avait commencé dans la ferveur et la violence, mais se termine alors dans un petit soupir bien poli et académique.
Le Bal des folles est disponible sur Amazon Prime Video en France depuis le 17 septembre 2021