En 2009, Haïti a ratifié la Convention Relative aux droits des personnes Handicapées. Mais, dix ans après, son application patine. Les femmes en situation de handicap en paient grandement les pots cassés. Leur quotidien se révèle toujours un combat.
Le viol, un phénomène face auquel les femmes handicapées vivant en Haïti sont vulnérables. Géraldine a 24 ans, elle a un handicap physique. Violée il y a deux ans de cela, la jeune femme sort enfin de son silence pour raconter son calvaire.
» J’avais le pressentiment que je n’existais plus, comme si j’avais perdu l’essence de moi-même, cela m’a profondément blessé », confie Géraldine en évoquant les abus sexuels qu’elle a subis de la part d’un homme.
Deux ans après avoir été violée, son dossier reste fermer dans les tiroirs. Pour cause, la vingtaine décide de témoigner pour que les violences sexuelles auxquelles confrontent les femmes handicapées ne passent plus sous silence.
À côté des multiples obstacles,l’accès à la justice pour les femmes handicapées victimes de viol s’avère très difficile. Le directeur du Bureau des Avocats Internationaux, Me Mario Joseph qualifie l’État Haïtien de prédateur de droits humains, car le droit à la justice pour les personnes handicapées n’est pas pris en compte en Haïti.
« Généralement, les femmes victimes de viol font l’objet de toutes sortes de stigmatisations, certains ont tendance à blâmer les victimes, et à les démontrer qu’elles sont les principales responsables des agressions qu’elles ont subies. D’autres mettent en question leur habit, leur comportement, explique Maître Joseph. « Pourquoi avez-vous porté cet habit ? Que faisiez-vous là à cette heure en cet endroit ?», nombreux sont ceux qui essayent de placer la victime à la place du bourreau. « Pour les femmes déficientes on n’ose même pas imaginer le poids des jugements et stigmates ». « On les ironise », a fait savoir l’avocat.
Face aux moqueries et aux va-et-vient inutiles que les tribunaux exigent, les femmes à mobilité réduite victimes de viol se découragent. Dans ces conditions, il n’y a que la détermination et la force mentale de la victime qui puissent l’aider à continuer le processus.
Bien que la route soit longue, et que les obstacles soient de taille, le BAI renouvelle ses engagements envers la communauté des personnes handicapées.
L’accès à l’information, un obstacle empêchant aux femmes sourdes-muettes de jouir de leur droit à la justice. Tenant compte de leurs vulnérabilités, les femmes handicapées violées, notamment la catégorie des sourds-muets,peinent à trouver l’accompagnement approprié dont nécessite leur cas, a expliqué le responsable de communication de l’Association des Sourds de L’évêque d’Haïti, Oudelin Sileus.
« La problématique de la communication entre ce groupe et le reste de la population constitue une barrière à l’accès à la justice pour ces femmes victimes de viol « , a-t-il indiqué tout en estimant que les institutions publiques et privées devraient avoir au moins un employé capable de comprendre et d’interpréter la langue des signes. « Lorsque les femmes sourdes- muettes sont victimes de viol, elles sont incapables de porter plainte et de trouver des autorités capables de les accompagner dans le processus de justice dont exige leur cas », déplore l’interprète en langue des signes.
Desir Soinette, un modèle d’engagement pour le respect des droits des femmes et filles handicapées. Interpellée par les stéréotypes construits autour du Handicap, depuis dix ans Désir Soinette s’érige en défenseure des droits des personnes handicapées en Haïti. Malgré les énormes embûches rencontrées, la militante se fixe d’ambitieux objectifs et se dit être perpétuellement sur le pied de guerre contre les discriminations sociales affectant les femmes et filles handicapées au sein de la société Haïtienne.
âgée de trente sept ans, diplomate de formation, elle a déjà consacré dix ans de sa vie pour la cause des femmes et filles handicapées. D’après ses témoignages, l’idée de mener cette lutte est inspirée des discriminations criantes à laquelle elle a pu faire face dans sa prime jeunesse, à cause de son handicap et de son sexe. Se rendant compte qu’elle n’était pas la seule à subir autant, elle file son costume de militante et prend la défense des femmes et filles handicapées victimes d’une double stigmatisation.
La question de la violation des droits humains se révèle une problématique importante en Haïti. Parmi les fautes les plus flagrantes qu’on pourrait relater dans ce travail, c’est la marginalisation des personnes à mobilité réduite, notamment, les femmes. Même les événements du 12 janvier 2010 qui ont maximisé la quantité de femmes vivant avec un handicap physique n’ont pas sensibilisé les autorités Haïtiennes à prendre conscience de la grande vulnérabilité de cette catégorie vraiment exclue de tout, même de la liberté de circulation.
Oubliées par les décideurs du pays, cette couche sociale n’a pas pour autant baissé les bras. La tête dans l’eau, elles entreprennent des actions dont l’objectif principal est de secouer la conscience morte de l’État Haïtien. C’est dans cette veine qu’à l’initiative de l’association des filles et femmes au soleil (AFAS) une pétition a été lancée depuis peu sur [AVAZZ.org Pétitions Citoyennes] pour exiger l’intégration des femmes en situation de handicap dans la politique nationale d’égalité Femme/Homme (2014-2034) entérinée le 6 mars 2015.
À travers cette pétition, les initiatrices ont dénoncé avec véhémence la légèreté des décideurs de l’État de ne pas prendre en compte dans ce document les femmes handicapées. Les initiatrices entendent faire comprendre à l’État que les femmes ne seront jamais égales aux hommes si on s’appuie sur des notions discriminatoires qui les catégorise. L’égalité entre les sexes est fondamentale mais, d’abord l’État doit comprendre que être handicapé ne signifie pas pour autant que l’on n’a plus de sexe.
Les Cheffes de file de cette initiative étaient radicales: l’intégration de la catégorie en question ou rien du tout. D’ailleurs, elles ont titré leur document de: pétition pour une approche sans exclusion et sans inégalité des femmes en situation de handicap dans la politique nationale d’égalité Femmes/Hommes (2014-2034). Les membres de l’AFAS ont pointé du doigt le laxisme du gouvernement qui peine à œuvrer en faveur d’une société inclusive avec une forte cohésion sociale. Dénonçant cette politique discriminatoire, elles ont exigé sans réserve la révision pure et simple de ce document stratégique articulé autour de six orientations principales, à savoir: l’égalité de droit et la justice; l’éducation non sexiste; l’accès à la santé sexuelle et reproductive; les mesures contre la violence; l’égalité économique et finalement la participation égalitaire aux instances décisionnelles.
À l’hôtel Marriott, le vendredi 26 avril 2019, l’Union des Femmes à Mobilité Réduite d’Haïti a démontré que l’esthétisme va au-delà de l’idée que nous nous en faisons. Les personnes à mobilité réduite sont capables de tout, leur capacité à séduire de par leur talent et leur beauté est immense. L’activité culturelle inédite organisée par l’UFMORH constitue un vibrant exemple. Plus d’une centaine de personnes (valides et handicapées) ont fait le déplacement pour venir assister au défilé de mode réalisé par cette organisation de femmes ayant des handicaps physiques.
Un défilé de mode pour briser les stéréotypes sur le handicap. Les personnes à mobilité réduite ne veulent plus être traitées en paria. À travers ce spectacle, l’UFMORH a fortement sensibilisé les personnes dites valides. L’artiste Haïtien Ricky Juste, invité d’honneur, en a profité pour faire un témoignage rempli d’émotion. Il revient sur la cause de son actuel handicap physique. Jamais il ne s’imaginait à la place d’une personne à mobilité réduite, le tremblement de terre du 12 janvier 2010 a donc marqué un tournant dans sa vie. « J’ai perdu toute ma fortune, ma femme et je suis amputé d’une jambe. C’est ainsi que je me fais une autre conception de la vie. Être handicapé ne peut en aucune façon vous empêcher de réaliser votre plein potentiel, bien au contraire », conclut-il. « Je suis l’exemple vivant, malgré mon handicap, j’ai pu parvenir à imposer ma stature sur la scène musicale Haïtienne », se réjouit-il.
Le rapport alternatif sur la mise en oeuvre de la convention relative aux droits des personnes handicapées,publié en 2017 par plusieurs OPH dont l’UFMORH, souligne que Haïti ne dispose pas de données chiffrées précises sur la population de personnes handicapées, et que l’État ne se donne pas les moyens à travers un budget pour garantir les droits de cette couche sociale.« Le budget du Bureau du Secrétaire d’État à l’Intégration des Personnes Handicapées représente 0,0002% du budget national et les informations relatives au budget alloué au handicap dans les autres postes de l’État ne sont pas indiqués », précise- t-il.
Ce même rapport révèle, malgré que l’État adopte des lois et conventions relatives au respect des droits des personnes handicapées (CDPH), elles restent lettre morte.
Par ailleurs, la conclusion du rapport présenté au début du mois de décembre 2019 par la CONAPH(Coalition Nationale des Associations des Personnes Handicapées) autour des cas de violence et de discrimination sur les personnes à besoins spéciaux est accablante. Faisant état de l’impact négatif de la crise sociopolitique -qu’a connu le pays cette année- sur la vie des personnes handicapées, en particulier les femmes, elle indique que les articles 1, 2, 5, 6, 7, 10, 11, 12,13, 15, 16, 20, 21, 25, 27, 28, 30 de la CDPH aussi bien les Objectifs de Développement Durable ne sont pas respectés.
Selon une enquête menée en 1998 par la commission d’adaptation scolaire et d’appui social(CASAS), sur 120 000 enfants handicapés répertoriés,2 019étaient scolarisés, soit 1,7%. D’après cette même dernière enquête réalisée jusqu’à ce jour,il existe en Haïti 23 écoles accueillant des enfants handicapés, dont trois (3) publiques, toutes fonctionnant à Port-au-Prince.
En Haiti, les fonds disponibles pour supporter les organisations de femmes handicapées se font rare. Conscient de cet état de fait, la Disability Rights Fund (DRF) vole à leur secours.
Pour aider les structures organisationnelles qui militent en faveur du respect des droits des femmes handicapées à répondre à leur responsabilité, l’organisme international lance chaque année un appel à proposition de projet à leur intention. « 273 000 dollars » est la somme d’argent allouée à cet effet.
Par rapport aux défis que ces dernières doivent relever, cette somme est très faible, mais les objectifs visés par DRF se veulent prometteurs.
Permettre à ces organisationsd’acquérir des expériences dans la gestion des fonds pour démontrer aux sources de financement locales et internationales qu’elles sont capables d’assurer la gestion de n’importe quel fonds en vue defaciliter la mise en oeuvre de leur projet respectif, c’est ce que souhaite la DRF.
Se basant sur les financements économiques, la consultante de DRF, Garnier Jo-Ann fait ressortir la nécessité de soutenir les organisations de femmes à besoinsspéciaux qui sont souvent marginalisées et vulnérables.
Par ailleurs, Madame Garnier se montre critique vis à vis de la misérable enveloppe allouée au Bureau du secrétaire d’État pour l’intégration des personnes handicapées ( BSEIPH), tout en rappelant que la cause des femmes handicapées doit être l’affaire de tous. Toutes les entités, les institutions publiques notamment au niveau des trois pouvoirs de l’État doivent s’y mettre pour corriger les écarts et consolider les acquis des droits des associations de femmes en situation de handicap.
Victime du violent séisme du 12 janvier 2010, Junie Samantha Pierre est depuis amputée d’une main. Contrairement aux autres femmes handicapées, elle a pu parvenir à s’accepter. Toutefois, cela n’empêche qu’elle vivait dans le refoulement en raison de la mauvaise perception des gens de son entourage sur son handicap.
Selon ses dires, son intégration dans une organisation de femmes handicapées a changé sa vie.
« J’ai eu la chance de suivre des formations qui m’ont aidé à trouver mon bien être, en dépit du rejet des autres », déclare-t-elle tout en ajoutant que c’est ainsi qu’elle s’est rendue compte que la jouissance de ses droits en tant qu’une femme handicapée, est un acquis conféré par les lois de la république. En cause, sous le poids des stigmatisations, Samantha avoue n’avoir plus courbé l’échine.
En dépit des freins enclins à étouffer la militance des femmes handicapées, leur leadership commence à voir le jour au sein de la société Haïtienne. Toutefois, la responsable du mouvement des femmes progressistes, Mohao Metivier pense que la lutte pour le respect de leurs droits est loin d’être gagnée. Selon elle, certaines avancées ont été effectuées. Ce qui sous entend que cette catégorie sociale doit continuer à lutter sans relâche pour la pleine jouissance de ses droits et pour faire évoluer la mentalité des Haïtiens sur le handicap.
Akao Gerson Dominique
Co-Auteurs: Daniel Sévère, Shelsa Philius et Yolande Day.
Photos & vidéos: Jefferson Jean Pierre
NB: Le nom de la victime de viol a été modifié