• 12/12/2022
  • Par binternet
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Crédit Lyonnais, maladie Bernard Tapie ne lâche rien<

Au deuxième jour de son procès devant le tribunal correctionnel de Paris , Bernard Tapie enchaîne déjà les répliques. L’« acteur », puisque c’est ainsi qu’il se présente à la barre du tribunal, se donne en spectacle. Avocat de lui-même, l’homme d’affaires interrompt la présidente Christine Mée dans son long exposé. « C’est la fable qu’on nous raconte depuis quinze ans ! » s’écrie-t-il alors que la magistrate déroule l’interminable récit de l’affaire du Crédit lyonnais qui lui vaut ce énième retour à la case justice. Le récital commence. Prévu pour durer jusqu’au 4 avril, le show Tapie fait déjà salle comble.Crédit Lyonnais, maladie Bernard Tapie ne lâche rien Crédit Lyonnais, maladie Bernard Tapie ne lâche rien

Poursuivi avec cinq autres prévenus pour escroquerie et détournement de fonds publics, il plaide sans notes et ne se départ pas de son franc-parler. Affûté comme jamais, le septuagénaire impressionne, baratine et fascine. Il n’hésite pas à monter sur l’estrade pour emprunter la paire de lunettes du procureur, afin de lire un document sur son ordinateur. Une façon de mettre les rieurs de son côté. « Ici, on n’est pas au spectacle », le sermonne la présidente.Il faut le voir brocarder ses avocats Hervé Temime et Julia Minkowski, comme de vulgaires seconds rôles, quand ils tardent à lui fournir un détail noyé dans les lourds dossiers qui envahissent les bancs de la défense.

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« Certains traitements font tomber les cheveux et la mémoire. Les cheveux repoussent, pas la mémoire », regrette le prévenu âgé de 76 ans. Préparé comme un athlète de haut niveau pour « une finale olympique », selon la métaphore sportive qu’il affectionne, l’ancien patron d’Adidas compte aussi sur l’aide de Me Lantourne, longtemps son avocat, aujourd’hui parmi les prévenus. Assis derrière lui, ce complice de toujours lui sert de souffleur. Et vole à son secours quand « Nanar » s’emmêle les pinceaux dans les dates et les chiffres, qui pullulent dans ce dossier à rallonge auquel plus personne ne comprend grand-chose. Une affaire en partie réglée par les juridictions civiles qui l’ont déjà condamné à rembourser 405 millions d’euros.

Convaincu qu’il peut encore retourner les choses en sa faveur, Bernard Tapie met toutes ses forces dans ce qui ressemble à son ultime combat. Du reste, ce n’est pas lui qui risque le plus. Davantage discret, Stéphane Richard, P-DG d’Orange et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde, joue très gros. Il est soupçonné d’avoir, à l’époque, facilité l’organisation de l’arbitrage controversé sur la vente d’Adidas.

Connu par 100 % des Français, Bernard Tapie est aimé par 45 % d’entre eux

Dans son costume bleu, impeccable avec son casque de cheveux couleur argenté, le prévenu Tapie porte beau. Il refait le match de sa vie d’entrepreneur, raconte « comment on fait fructifier ses affaires ». Se compare aux Bolloré, Pinault, Arnault ou Messier, « mais lui n’a pas réussi », glisse-t-il. « On a tous la même méthode pour faire grossir nos holdings, on achète à crédit ! » Avec Tapie, les affaires, ce serait simple. Enfin, presque. Car, devant le tribunal, l’homme aux cent vies sait reconnaître ses erreurs : « Entre être un très très riche industriel et un bien moins riche homme politique, je n’ai pas hésité une seconde. Mais si c’était à refaire, je ne le referais pas. »

Crédit Lyonnais, maladie Bernard Tapie ne lâche rien

Ce show, Bernard Tapie y pense et s’y prépare méticuleusement depuis des semaines. Avant l’ouverture de son procès, il a reçu des journalistes à son domicile et fait la tournée des médias. Un tour de chauffe où l’ancien ministre a fait du « Nanar », tantôt agaçant, touchant, grotesque, menteur, mais aussi bluffant par sa combativité. Il se passe toujours quelque chose avec Bernard Tapie. Quarante ans que ça dure. Quarante ans que les Français adorent ou détestent les aventures de « Nanar ». Connu par 100 % des Français, il est aimé par 45 % d’entre eux, selon une enquête de l’Ifop réalisée avant Noël. Impressionnés par son combat contre le cancer, 69 % des sondés le jugent « courageux ». Un niveau de « bonnes opinions » qui le placerait encore, malgré son passé sulfureux, dans le top 5 des personnalités préférées, entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy ! De belles compagnies.

Il faut le voir tourner en rond, ce dimanche 3 mars, dans la loge de BFMTV, avant d’entrer dans le studio pour deux heures d’interview. Personne n’imagine cet homme atteint d’un double cancer de l’estomac et de l’œsophage. Contrarié par les déclarations, la veille dans « Le Monde », de son ex-assistant parlementaire Marc Fratani, il menace au dernier moment de quitter la chaîne. On le retient sur le pas de la porte. Il prend place sur le tabouret face à la journaliste Apolline de Malherbe. « Il fait trop froid ! Baissez la clim », exige-t-il. Générique. L’« acteur » démarre. Menace encore. Se lève, puis se rassoit. L’ancien ministre s’anime et délivre ses conseils à Emmanuel Macron pour qu’il « devienne le plus grand président de la Ve République ». Rien que ça ! Tout est toujours énorme avec Tapie, qui finit l’émission épuisé. Le lendemain, il remet ça à Europe 1. Et voit rouge quand l’intervieweuse Audrey Crespo-Mara le questionne sur sa décision d’arrêter son traitement chimiothérapique : « Bernard Tapie, vous avez donc choisi entre votre cancer et votre procès ? » Il claque la porte.

Quelques jours plus tôt, Bernard Tapie accueille Match chez lui, dans son hôtel particulier de la rue des Saints-Pères, au cœur de Paris. Aminci et élégant en pantalon et pull noirs, il reçoit lui-même dans un salon meublé Louis XV. Il raconte sa maladie sans fausse pudeur, son opération d’une hernie de 11 centimètres de long après le déchirement de tout le péritoine. « Les médecins m’ont dit que se faire du mauvais sang et de la bile a été un facteur déterminant dans ma maladie. Ça fait vingt-cinq ans que je m’en fais avec ce procès qui n’en finit plus. Mon cancer a un nom : Crédit lyonnais ! »

Sans Dominique, où en serait Bernard Tapie ?

Soudain très ému quand il évoque la souffrance qu’il inflige à sa famille et « surtout à [sa] petite femme », il souffle : « Je suis en train de lui pourrir sa vie. » Quand Tapie-le-pudique évoque son épouse, ce n’est plus le même homme qui s’exprime. La grande gueule change de registre pour laisser place à la douceur. Avant de rencontrer celle qui lui a dit « oui » il y a trente et un ans, il fut, dit-il, un grand cavaleur attiré par des femmes plus âgées que lui et pas forcément belles. Et puis il y a eu Dominique. Son roc, son port, son refuge, qu’il écoute et préserve en toutes circonstances. Sans regrets, dit-il, sur sa vie, il y a au moins une chose dont il est « fier » aujourd’hui, c’est sa vie personnelle et familiale. Sans Dominique, où en serait Bernard Tapie ? C’est elle qui lui fera renoncer définitivement à la politique en 1998 et, surtout, à la mairie de Marseille. A l’occasion du 20e anniversaire de la victoire de l’OM en Coupe d’Europe, Jean-Claude Gaudin est venu serrer la main en personne à son épouse, lui glissant à l’oreille : « Madame Tapie, je sais tout ce que je vous dois. J’ai pu gagner car, grâce à vous, votre mari ne s’est pas présenté aux élections. »

Avec Tapie, on revient toujours à Marseille. Le toujours patron de « La Provence » a d’ailleurs surpris en mettant à la disposition des gilets jaunes une salle de son journal. L’homme d’affaires admet avoir été touché par leurs revendications. « J’étais gilet jaune avant l’heure ! » Ce coup de main pour les aider à s’organiser en vue des européennes fera long feu. « On a été longtemps des marchands de bonheur, mais ce pays est devenu aigri », constate cet éternel optimiste. En décembre, au plus fort de la crise et à la veille de l’intervention d’Emmanuel Macron à la télévision, Bernard Tapie lui fait passer un message long et précis. Il connaît assez peu le chef de l’Etat, mais il tient à le sensibiliser à deux des problèmes soulevés par les gilets jaunes qu’il a croisés : celui des femmes seules et celui des pensions alimentaires non payées.

Il se compare d’ailleurs à Johnny Hallyday qui a tenu, selon lui, grâce à son spectacle des Vieilles Canailles

S’il se concentre aujourd’hui sur le procès qu’il espère gagner, ce boulimique de la vie pense déjà à la suite. A l’entendre, les projets ne manquent pas. Un livre sur les hôpitaux. Il casse les pieds à son éditrice, pas très emballée. Bernard Tapie veut pousser un coup de gueule contre les laboratoires pharmaceutiques dont 90 % de la production est fabriquée en Chine, génériques compris. Une folie, selon lui. Il voudrait convaincre les riches entrepreneurs français de construire des « laboratoires à marge réduite » dans leur pays.

Le showman Bernard Tapie espère aussi faire son retour devant la caméra. Claude Lelouch ne vient-il pas de lui proposer d’être dans son prochain film, dont le tournage est prévu cet été à Paris ? « Cela va me donner la force de tenir quelques mois », confie-t-il. Il se compare d’ailleurs à Johnny Hallyday qui a tenu, selon lui, grâce à son spectacle des Vieilles Canailles. Son cancer ? Incontestablement, il souffre des conséquences de l’opération. Et ça se voit. Lui relativise : « Psychologiquement, le procureur me fait plus chier que mon cancer. Quand on accumule les deux, ça fait beaucoup. Je me dis qu’avec un peu de chance je vais m’en tirer. »

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