Le roi est serein. Alexandre Astier, qui a fêté le 16 juin ses 47 ans, récuse toute angoisse, quel que soit le destin de Kaamelott – Premier volet. Son adaptation de la série Kaamelott s’empare des salles ce 21 juillet, après une attente de presque douze ans depuis la fin de la célèbre shortcom sur M6. Une décennie durant laquelle les fans acharnés de cette singulière vision du mythe des Chevaliers de la Table ronde ont trompé leur ennui comme ils pouvaient sur les réseaux sociaux, guettant fiévreusement le moindre tweet de leur idole, au fil de ses actualités, qui indiquerait une possible renaissance prochaine de la saga. Après des années perdues dans un conflit juridique autour des droits de Kaamelott opposant Astier à la société CALT, productrice du programme, l’épopée s’est enfin concrétisée avec un tournage en 2019. Une crise sanitaire et deux reports de sortie plus tard, voilà enfin ce satané film auquel certains fidèles ne croyaient plus.
Merveilleux synchronisme, certainement pas innocent, entre le réel et la fiction. Dans l’intrigue de ce Premier volet – Alexandre Astier ambitionne une trilogie –, Arthur Pendragon, souverain déchu du royaume de Logres, est traqué par des mercenaires envoyés aux quatre coins du globe par le tyrannique Lancelot (Thomas Cousseau), qui a mis sa tête à prix. Après dix ans d’exil du côté de la mer Rouge, le fugitif est retrouvé, capturé, ramené en Bretagne, libéré par le duc d’Aquitaine (Alain Chabat, formidable dans ses trois scènes), re-capturé, tandis qu’un soulèvement général contre Lancelot se prépare du côté du château des Carmélides. Arthur revient donc, comme son alter ego, qui ne se prive pas, dans l’interview qui suit, de souligner lui-même au marqueur la légitime concordance entre sa culte créature et lui.
Les fans de Kaamelott attendaient-ils autant le film que les fidèles d’Arthur son retour sur le trône ? Au vu du nombre record d’entrées en avant-premières, battu par ce premier volet avant même sa sortie, la réponse ne fait guère de mystère. Une dynamique mathématique est a priori en marche. À moins d’un sinistre bouche-à-oreille ou d’un découragement massif du public par l’instauration du pass sanitaire dans les lieux de culture à partir de ce 21 juillet (vrai souci d’inquiétude du distributeur SND, qui n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews), le roi Arthur devrait être couronné à la tête du box-office de cet été – au moins au rayon tricolore. Le résultat artistique, lui, est en demi-teinte. Malgré une splendide photo et une belle idée de scénario finale impliquant la musique comme clé d’une victoire militaire, les 120 minutes de Kaamelott – Premier volet peinent à emporter. En cause : une mise en scène trop souvent statique, manquant d’ampleur ou de profondeur de champ et surtout de souffle pour des moments pourtant clés de l’intrigue – la première apparition d’Arthur, le retrait d’Excalibur, le duel avec Lancelot (expédié en deux minutes, c’est la plus grosse déception de l’intrigue)…
La narration, elle, donne l’impression d’un curieux faux rythme. Des coupes visibles au montage créent d’inconfortables ellipses et l’ensemble, au générique de fin, égale à peine la somme des parties. On rit parfois – surtout lors des scènes entre le duc d’Aquitaine et son épouse (Géraldine Nakache, tout simplement géniale) –, mais nettement moins qu’aux grandes heures de la série. Par ailleurs, à l’évidence, Kaamelott – Premier volet, malgré tous les efforts de son auteur, s’adresse avant tout à son public, mais c’est aussi sa force. Pour peu qu’un lien affectif se soit noué avec cet univers si attachant, ce phrasé audiardien si drôle d’Astier, l’homme orchestre (acteur/scénariste/producteur/monteur/compositeur), et ces personnages tous plus ou moins débiles, impossible de ne pas prendre du plaisir à l’aventure.
Karadoc (Jean-Christophe Hembert), Perceval (Frank Pitiot), Dame Seli (la géniale Joëlle Sevilla), Leodagan (Lionnel Astier), Bohort (Nicolas Gabion), la dame du Lac (Audrey Fleurot)… ils sont presque tous là et leurs traits vieillis est aussi un atout pour le film. Kaamelott – Premier volet a la couleur et la saveur de la série, mais ce n’est plus tout à fait la même potion. Une indicible mélancolie intrinsèque au temps qui passe se lit sur certains visages plus marqués et nous la partageons puisque nous-mêmes avons vieilli avec cette troupe Astier – dont certains des enfants jouent aussi dans le film. Et, aussi imparfaite soit-elle, cette réunion avec ces visages familiers, qui ont rythmé pendant cinq ans les avant-soirées de M6 entre 2005 et 2009, produit une nostalgie, une gratitude et une indulgence pour les quelques ratés. L’essence fédératrice de Kaamelott, aussi bien dans la symbolique de son récit que dans le profil diversifié de sa base de fans, fait également du bien, à son niveau, dans une France de plus en plus archipellisée.
Dans ce sens, Astier ne rate donc pas son retour avec Kaamelott – Premier volet, contrairement à George Lucas à l’époque de La Menace fantôme, qui avait tant mis en pétard les alliés de la première heure – l’ombre de Star Wars, avec celle du Seigneur des anneaux, plane partout dans ces retrouvailles avec Arthur. On espère juste que, dans l’hypothèse probable d’une suite, Alexandre Astier et ses lieutenants auront eu le temps de visser les boulons et concrétiser les promesses de deux visions particulièrement excitantes balancées au spectateur dans les ultimes minutes (ne partez pas au générique de fin !). Comme il nous le confirme dans l’interview qui suit, tel un guerrier entraîné et prêt au combat, Alexandre Astier jure être en tout cas dans les starting-blocks pour prolonger la saga, sans attendre aussi longtemps que pour ce premier opus. Tout comme celle des jeunes résistants émeut Arthur dans le film, la fidélité de nouveaux fans convertis à Kaamelott par leurs parents touche l’auteur et nourrit son envie d’en raconter plus. Il a beau maugréer en permanence à l’écran, le chevalier a aussi un petit cœur !
Le Point Pop : Les avant-premières de Kaamelott sont pleines, mais le pass sanitaire risque de décourager certains spectateurs. Pas trop angoissé ?
Alexandre Astier : Franchement, ça ne me concerne plus, je ne peux plus rien faire, je n’ai plus la main sur le destin du film. Je ne ressens aucune angoisse et je suis tout à fait prêt à l’échec !
Quand est née pour la première fois l’idée de prolonger Kaamelott au cinéma ?
i be looking shit up like "how to make vegan pancakes with no flour, sugar, or baking powder"
— raye Thu May 20 22:39:50 +0000 2021
La toute première idée dont je suis tombé amoureux, c’était vers la fin du tournage du Livre VI. Et c’était plutôt une vision : comment désenchevêtrer musicalement par un ballet des machines de guerre (amis lecteurs, cette réponse ne fera sens qu’après avoir vu Kaamelott – Premier volet! – NDLR). J’imaginais des engrenages, des tours, des trucs très imbriqués et que le seul moyen de démêler était par le biais d’une rythmique musicale. J’en ai parlé à mes enfants, un soir dans une pizzeria à Lyon, et j’ai dessiné ce truc-là sur la nappe, pour leur faire comprendre. Bon, j’ai bien fait gaffe à déchirer le bout de nappe en partant… Mais je n’ai jamais osé poser des pierres trop grosses sur ce projet tant que je n’étais pas sûr de son démarrage. Et je me suis mis vraiment à écrire quand un accord a été signé avec le Sultanat d’Oman pour tourner sur place. La quatrième et dernière version du scénario date de janvier 2019 et on a tourné pratiquement dans la foulée.
Le tournage de Kaamelott le film a débuté dix ans après la fin de la série : on finissait par se demander si vous en aviez vraiment envie…
Ce sont justement toutes ces années qui ont fait que Kaamelott me manquait de plus en plus. Et le fait que rien de neuf n’ait été raconté sur Kaamelott depuis la fin de la série sur M6 coïncide bien avec la situation d’Arthur dans le film. Le mec est tellement oublié depuis dix ans qu’il est mort aux yeux de beaucoup de monde. Et s’il revient, c’est vraiment contraint et forcé, c’est parce qu’on est allé le repêcher là où il se cachait, parce que ça lui coûte de revenir, ça le mine. Arthur ne revient pas de son plein gré, j’ai toujours su qu’il serait extirpé de sa retraite par la force, et ces dix ans m’ont beaucoup aidé sur les façons potentielles de réveiller l’histoire. Un jour, je raconterai aussi la période qui s’appelle Kaamelott Résistance et qui se penchera sur tout ce qui s’est passé en l’absence d’Arthur : comment chacun a choisi son camp, collaborer, résister, ou se planquer. Pourquoi Lancelot a fini par décider d’enfermer Guenièvre, comment a-t-il pactisé avec les Saxons…
Oui mais donc Arthur revient bien contraint et forcé… comme vous ?
Noooon, mais vous savez comme moi qu’on a tous des petits bateaux dans nos marinas et qu’on ne sait jamais exactement lesquels vont partir et quand… Dans mes petits bateaux à moi, il y avait entre autres mon projet sur la bête du Gévaudan, les Astérix, Kaamelott et plein d’autres trucs que je n’ai pas encore faits… Pendant des années, il a fallu régler au sujet de Kaamelott ces histoires de chaînes de droit, tout le juridique. Je sais que de l’extérieur ça donnait l’impression que j’avais peur d’y aller ou pas envie, mais dès qu’on m’a donné le feu vert, j’y suis allé.
Et la crise sanitaire a encore retardé la sortie…
Oui, on a tapé le mur du Covid en pleine post-production du film. C’est à cause de l’enregistrement de la bande originale par l’orchestre national de Lyon. Toutes les autres étapes pouvaient se faire à distance, le montage je le fais chez moi… Mais la musique, c’était le seul département où on ne pouvait pas éviter de réunir 100 personnes dans un auditorium… Et sans musique, pas de film. On a donc dû tout arrêter et faire faire, dans des labos en Suisse et en Autriche, toute une série de tests pour mesurer la distance des projections d’un trompettiste, d’un tromboniste, de combien de mètres carrés faut-il les séparer, etc. Une fois tout ça réglé, on a repris fin août 2020 l’enregistrement, entre deux confinements, avec des musiciens très éloignés les uns des autres, pour une durée d’une semaine, sous la direction de Frank Strobel.
Si le film ne marche pas, ce sera le signal que le public n’est pas intéressé par le futur de KaamelottAlexandre Astier
En termes d’écriture, était-ce un challenge de trouver le ton juste entre le fan service et parler au grand public ignorant tout de Kaamelott, surtout après tant de temps ?
En fait mon écriture va naturellement vers le fan service, inconsciemment. Je raconte l’histoire d’abord à des gens qui savent ce qui a eu lieu précédemment et je leur donne ce qu’ils attendent… mais sous une forme généralement inattendue, j’aime les piéger. Pour le plus grand public, oui c’était la plus grosse difficulté, mais je voulais vraiment que KV1 soit accessible pour quelqu’un qui n’a jamais vu la série. Au détour des dialogues, j’ai essayé de repréciser des noms, des lieux et je comptais beaucoup sur l’architecture du début du film pour être plus lisible qu’une série prise en cours : un roi absent, les adeptes qui attendent son retour, un tyran, les traîtres, la princesse enfermée dans la tour.. KV1 c’est comme un demi-reboot qui essaie de ne larguer personne.
Avant Kaamelott – Premier volet, vous n’aviez réalisé qu’un seul long-métrage, David et Madame Hansen. Pas vraiment un blockbuster de fantasy. Avez-vous ressenti ce manque d’expérience sur le tournage ?
Non, je ne me souviens pas d’avoir douté. J’avais une équipe du tonnerre, un chef opérateur en or comme Jean-Marie Dreujou… et finalement le cinéma, c’est plus simple que beaucoup d’autres choses en fait. La minute utile à tourner par jour est assez faible, on a le temps de lécher les plans, même si nous n’avions que 45 jours pour tout boucler. Il y a eu quelques scènes qui n’étaient pas forcément agréables à tourner pour moi, comme l’assaut final où seul un trébuchet sur quatre à l’écran est réel (les autres sont en image de synthèse), ou la partie de robobrole, qui s’est avérée un vrai bordel au montage, j’avais ramené énormément de rushes. Mais je retiens surtout un film fou, une aventure qui nous a amenés partout, sur la terre ferme comme en pleine mer. On y était vraiment.
En parlant des coupes, certaines produisent des ellipses assez gênantes dans le film. On regrette notamment que le duc d’Aquitaine, si bien joué par Alain Chabat, disparaisse de l’intrigue sans crier gare après trois scènes…
Il y a eu une première version de 2 h 26, qui était indigeste et prêtait à confusion, puis je suis descendu à 2 h 14, puis 2 h 7 et à l’arrivée le film fait deux heures. Mais ces coupes ont principalement consisté en resserrage de répliques, coupes de dialogue pour accélérer le battement de cœur du film. J’ai totalement refabriqué le rythme de Kaamelott – Premier volet au montage. Dans ces coupes, certaines me conviennent, d’autres moins, mais je n’ai coupé aucun bloc, c’est vraiment plutôt de l’orfèvrerie. Concernant le duc d’Aquitaine : le but de ce personnage, qui est l’allié d’Arthur, est d’amener doucement ce dernier vers la table ronde des résistants, en forêt de Gaunes, alors qu’il n’arrête pas de dire qu’il ne veut plus entendre parler de cette affaire. Ils bivouaquent, dodo… Et au réveil, le duc n’est plus là parce qu’il n’a plus à l’être : il a amené Arthur là où il voulait l’amener, à 50 mètres de la table ronde, puis il disparaît, comme s’il avait accompli sa mission. C’est une convention de conte de fées. C’est pas une histoire de coupe, c’est vraiment mon idée mais je constate qu’elle n’a, hélas, pas eu le loisir d’emporter votre adhésion, Monsieur Guedj ! Ça arrive ! Mettons ça sur le compte de la maladresse d’auteur.
Si d’aventure Kaamelott – Premier volet ne marchait pas – ou pas assez, que se passera-t-il pour les volets 2 et 3 ? La suite de l’histoire pourrait-elle quand même voir le jour ailleurs qu’au cinéma ?
J’ai écrit les grandes lignes pour ces deux volets, mais c’est très précaire, même pas à l’état de traitement. Si jamais ce film ne marche pas, ça sera juste le signal que les gens ne veulent plus de Kaamelott et je ne vois pas pourquoi je me forcerais à les écrire autrement. Ça serait la fin, c’est tout. Cela voudrait dire aussi que les gens sont contents avec le patrimoine de Kaamelott existant et qu’il faut s’arrêter là. Je ne raconterai la suite que si on m’écoute. D’un point de vue purement financier, il n’y a pas besoin d’un immense succès en salle pour que je reçoive le feu vert pour le deuxième volet. Je ne peux pas vous donner un seuil d’entrées, ce n’est pas ma partie. Ça sera juste surtout intéressant d’interpréter ces chiffres : si le public a faim de connaître le futur de Kaamelott ou si tout ce qui l’intéresse, c’est qu’on continue à exploiter l’histoire passée, un Kaamelott nostalgique qui ne correspond plus trop à ce que je suis aujourd’hui.
Et si ça marche comme prévu ?
Si je ne suis pas mobilisé par une autre grosse aventure en série à laquelle je tiens, KV2 n’aura pas à attendre aussi longtemps que le premier.
Arthur… c’est toujours vous ?
Il m’a toujours plus ou moins ressemblé et il évolue en même temps que moi, c’est pour ça que je ne veux pas l’écrire trop longtemps à l’avance, pour ne pas avoir à jouer à l’écran un gars que je ne suis plus. Dans KV1, on n’est vraiment pas loin du réel : un gars qui revient, et qui se fait cueillir par l’émotion de constater qu’il y a des jeunes gens qui le suivent et l’attendent. C’est le truc qui le fait se rasseoir à la table. Ben ça, ça me touche dans la vraie vie, de voir que les 15-25 ans sont la tranche d’âge au-dessus de toutes les autres dans les gens qui ont l’intention d’aller voir le film. Ces jeunes-là naissaient à peine quand Kaamelott a commencé, ça signifie qu’il y a eu une transmission, une passation, par les parents ou les redif' à la télé… Ça me fait dire que ça vaut le coup d’écrire encore sur Kaamelott.
Kaamelott – Premier volet d’Alexandre Astier (2 heures). En salle le 21 juillet.