Le cinéma est une histoire de goût. Une sensibilité qui se trouve, une émotion qui se déchaîne. Exercice ô combien difficile et aléatoire dans son jugement tant les films sont nombreux, le classement de films est une affaire de personnalité. C’est alors, qu’avec sa passion, votre rédacteur ici présent s’est amusé à faire un petit bilan des œuvres marquantes de ce début du siècle dévoilantun panel de films aussi variés qu’intimes. La plupart des films qui seront mentionnés dans cette liste ont marqué ce début de siècle par leur richesse tant visuelle que narrative. Fouiller, analyser est un plaisir pour chaque cinéphile; et ce début de siècle aura vu entre autre l’apparition de futurs grands noms tels que Jeff Nichols ou Steve McQueen, ou l’anoblissement critique et public de visionnaires comme en témoignent David Fincher ou Paul Thomas Anderson. Bonne lecture à vous.
Œuvre aussi mentale qu’organique, Enter The Void accentue la volonté permanente de son auteur à dépasser ses limites. C’est alors que l’œuvre construit sa structure narrative sur la réincarnation, la vie, la mort, et la prise de drogue. Les couleurs criardes de Tokyo scintillent, l’image granuleuse agence la monstruosité opaque et claustrophobe de cet antre maléfique. Visuellement, le long métrage est une épreuve de force passionnante dévoilant le talent de Gaspar Noé, tant la fluidité en impose : montage syncopé frénétique, travellings aériens, caméra tournoyant dans les nuits torrides nippones, vision subjective crépusculaire. Parfois puéril ou enfantin dans la réappropriation de certaines de ses thématiques, Enter The Void vacille mais ne tombe jamais. Derrière ce marasme filmique suffocant, une actrice irradie l’écran de toute sa volupté : Paz de la Huerta. Hypnotique, sexualisée jusqu’au bout des ongles, et dont les cambrures métamorphosent le film de toute sa visée érotique.
Le sexe comme vecteur de mélancolie devient un geste mortifère chez des adolescents perdant leur propre innocence dans un univers où les adultes sont absents. It Follows est une course poursuite horrifique entre un fantôme et sa victime qui est la seule à le voir. Malgré un climax qui n’est pas aussi glaçant que le reste du métrage, It Follows se réapproprie les genres du slasher et du teenage movie avec fougue et envie de rendre hommage à tout un pan du cinéma d’horreur.Derrière sa folie névrotique : It Follows détient une cinématographie qui fait de lui une œuvre marquante comme si la raideur visuelle de Nicolas Winding Refn s’aventurait dans le milieu de la middle class américaine de Sofia Coppola tout en se réappropriant les codes de l’épouvante des années 80
Film à sketches schizophrénique, où un homme change de costume comme de vie, Holy Motors cache de nombreux secrets. Dans sa logorrhée lugubre qui est une diatribe pour son amour et sa haine du cinéma, Leos Carax s’épuise à déclencher la surprise par le prisme de cette farandole de spectres tout aussi différents les uns que les autres. On passe de personnages en personnages, d’un genre filmique à un autre, du réel au surréalisme. On y voit deux inconnus qui font semblant de copuler, un être primitif bandant devant Eva Mendes, un homme tuant son double, des limousines qui communiquent. Holy Motors est un film qui parait évanescent, semblant ne pas exister, remettant en cause la véracité des conséquences de nos propres agissements, faisant de l’être humain un pantin dont l’identité s’efface dans le creux de ses mains. L’homme joue un rôle ou le cinéma se cherche un visage. Le cinéma c’est la vie, la vie est le cinéma. Un peu à l’image de l’humain, Holy Motors est à la fois beau et laid, sublime et ridicule, autocentré et généreux, doux et ténébreux, sombre et drôle, imparfait et génial à la fois. Et tout cela n’est qu’un rôle…
Avec Miami Vice, Michael Mann ne révolutionne pas son cinéma, fait d’action et de lyrisme comme pouvait le faire un John Woo mais arrive à créer un polar enivrant, dont la classe esthétique fascine du début à la fin. A partir d’une intrigue maîtrisée et sans écueil sur les cartels de drogue, le réalisateur américain immerge son long métrage dans son propre univers pour magnifier le décorum contemporain qui entoure ses protagonistes. La caméra HD fait encore des merveilles, que cela soit durant ses sorties nocturnes romantiques ou ses entrées diurnes anxiogènes. Miami Vice est un film d’esthète, dont l’architecture présente très peu de scènes d’actions, préférant alors s’immiscer dans le flux sanguin de son intrigue amoureuse.
Speed racer est un geste artistique ludique dont la créativité se réinvente à chaque instant et détenant cette dichotomie qui lui est intelligible :d’un côté l’évocation d’une imagerie enfantine, façonnée par ses couleurs criardes et ses courses de voitures qu’on croirait sorties d’un jeu vidéo ou d’un film d’animation qui se confrontent au travail d’orfèvre, d’une grande maîtrise de la part de deux réalisatrices nous arborant un spectacle hallucinogène . Speed Racer est un bijou de d’aventure épique. Les thématiques habituelles comme le libre arbitre ou la pénitence des opprimés sont présentes chez les Wachowski, et font de Speed racer, un Ovni cinématographique pétaradant.
Timide, cherchant constamment à comprendre l’intime, Trouble Every Day vole de ses propres ailes, à l’image de ce simple foulard virevoltant dans l’air de Paris. Face à nous, une œuvre immergée alors dans une frustration latente voyant deux « vampires » malades qui essayent tant bien que mal de canaliser un démon carnivore qui grandit en eux. Directement, par sa construction fantomatique, Claire Denis quadrille un cadenas dans les tentations pulsionnelles, un mal corporel qui empêche de faire ressortir le monstre qu’est l’humain, le calme avant la tempête. Claire Denis filme donc deux histoires distinctes, deux âmes en peine enchaînées malgré elles, pour ne pas qu’elles dévoilent leur véritable visage sanglant à leurs propres congénères. Machinalement, derrière son aspect dérangeant et glauque, le long métrage est souvent muet, et Claire Denis y laisse divaguer sa caméra, sa photographie haletante sur les regards, sur les corps tels des proies notamment lorsqu’elle filme des scènes d’intimité où se mélangent passion sexuelle et peur de perdre le contrôle face à cette bestialité sanguinaire.
Comme lors de l’adaptation de Cosmopolis par David Cronenberg, où l’homme et son univers se chevauchent, Inherent Vice s’inscrit dans une époque, allant d’agents du FBI corrompus à de mafieux nazis, celle qui semble alimentée par le mouvement hippie, mais qui malheureusement se morfond dans une sorte de drôlerie burlesque, où le psychédélisme des soirées, le flashy des chemises à fleurs s’estompe au profit de l’obscurité d’une société sectaire et de l’ésotérisme de mouvances destructrices. Sur ce coup, Paul Thomas Anderson est génial de simplicité dans son rapport entre le fond et la forme, hermétique sans être froid, pour faire naître des bribes de fulgurances inoubliables dans cette enquête policière qui n’en est pas une. Inherent Vice est fulgurant, se montrant captivant dansla description d’une époque déchue faisant alors ressentir les derniers souffles de son érotisme.
L’amour. Son irrévérence, son impétuosité, sa fragilité. C’est une notion vague et solide à la fois, qui transperce les strates temporelles pour mieux codifier les contours d’une époque. L’amour dit tout sur ce que nous sommes et ce qui nous entoure. C’est un acte libérateur, émotionnel mais aux allures presque politiques. Hou Hsiao Hsien l’a parfaitement compris et à travers le parcours de trois couples durant trois époques différentes (1966, 1911, 2005), le cinéaste étudie son environnement, observe avec nostalgie et mélancolie la mutation d’un pays dans ses symptômes politiques et sociaux, et scrute le moindre détail d’un univers qui mue et occasionne une variation dans sa retranscription. Dès le début, Hou Hsiao Hsien joue avec les contrastes et magnifie sa vision du monde par la méticulosité de son cadre, son adoration pour l’ordinaire et le quotidien, la luminosité de son décor (lumière naturelle ou néon incandescent), la phosphorescence des corps et surtout par sa bande son où chaque époque, chaque souvenir est rattaché à une chanson particulière. Et oui, Three Times est un petit miracle de cinéma.
Cosmopolis est un film d’une maîtrise visuelle hypnotique et Cronenberg en fait une œuvre presque claustrophobe, étouffée par l’étendueinfinie de ses dialogues au symbolisme surréaliste engagés dans des situations à l’absurdité burlesque. Que font les limousines la nuit nous demandera Eric Packer. Cosmopolis est un film sur l’immensité, avec un jeu de miroir fascinant où le réalisateur met sa mise en scène au diapason de toute cette excentricité verbeuse, confronte son audace esthétique au jusqu’au-boutisme littéraire de Don DeLillo, et porte la lumière sur un acteur, Robert Pattison. Derrière ses réflexions philosophiques, Cosmopolis dissimule une ironie, une drôlerie burlesque. A l’image de cette longue confrontation finale, la manipulation des mots fait fureur, la déshumanisation est la plus totale, et la mort ne tient qu’à un fil. Sous ses airs abrupts et presque impénétrables, Cosmopolis se dévoile petit à petit pour laisser apparaître un grand film.
Ce qui marque quand on regarde le film, comme avec Only God Forgives, c’est cette concomitance dans l’identification : Elle Fanning est NWR et NWR est l’actrice : une âme qui se remplit d’égo et qui court à sa perte. Le geste radical en est presque schizophrénique. Touchant même. Sa dichotomie est son carburant, la source de sa beauté. La symétrie du cinéma de Refn avec son sujet est cinglante de vérité : cette quête de laperfection qui se désintègre de l’intérieur pour faire naître un mal incarné. Inconsciemment, le réalisateur hérisse une mise en abîme de sa propre mise en scène. Proche du film de genre voire de la Série B, du jeu de massacre, du fantasme où l’influence de Gaspar Noé prévaudra par l’utilisation d’une imagerie de la primitivité des sentiments et de l’iconographie viscérale des liens humains, The Neon Demon garde néanmoins sa propre atmosphère fétichiste et se contrefout totalement du cahier des charges du film d’exploitation. Et c’est avec un certain ricanement que The Neon Demon devient l’inverse de l’attente suscitée : un film de mode « horrifique » et non un film d’horreur qui s’approprie du monde de la mode. Un film malade vertigineux.
Dans ce Django Unchained souffle un vent de liberté, un amusement presque primaire et décontracté qui inonde l’esprit du spectateur à voir ses combats verbaux transgressifs, à écarquiller les yeux devant ses gun fights trashs compulsifs mais jouissifs, à jouer avec l’anachronisme pop musical où Tarantino s’amuse avec ses joutes verbales qui mettent ses acteurs, plus charismatiques les uns que les autres, sous les feux de la rampe. Tout cela est parfait, on sent une réelle richesse dans cet univers composite entre fiction et réalité historique, la fiction permettant à Tarantino d’incarner les silhouettes d’autrefois par de vrais personnages de bandes dessinées, avec toute l’excitation que cela fait monter chez le spectateur. Qui dit Tarantino dit enchaînement de scènes cultes aux dialogues écrits à la virgule près (l’humiliation de KKK), punchlines incisives, violence graphique à la fois drôlatique et frénétique (« say goodbye to Miss Laura »). Django Unchained est un moment de bravoure au rythme implacable (excepté à Candyland), qui allie travail d’orfèvre et efficacité jamais égalée.
Sombre avait marqué les esprits avec l’avènement de son télescopage cinétique fait de folie dévorante et d’une mise en image déstructurée, tremblante et aliénée par son animalité. Une œuvre dissoute qui suintait le malaise et qui faisait du corps l’énergie primitive d’un style cinématographique aussi prodigieux qu’insidieux. Oui, Philippe Grandrieux mettait en scène un cinéma hors des sentiers battus, composé d’un schéma narratif plus que flou même si le fil rouge amoureux entreposé autour de ses protagonistes, se suivait sans efforts. Mais avec La Vie Nouvelle, le réalisateur décide d’amplifier sa profession de foi, de désynchroniser encore plus sa manière d’appréhender l’écriture scénaristique. Le choc en est encore plus fort, plus pessimiste. Le cinéma de Grandrieux se mue en quelque chose de transcendantal, violent, mystique où les corps dansent sans discernement pour vivre et éprouver. Comme avec Sombre, l’auteur malmène son image, fait du cinéma une machine haletante, pour le faire crépiter.
Comme dans Eyes Wide Shut, la pensée du couple, l’esprit de l’autre, notre place dans un duo et nos responsabilités sont au cœur de Gone Girl où la seule chose qui compte, c’est l’opinion publique. Qui sommes-nous dans le microcosme de la pensée collective, comment manipuler notre image à bon escient et avoir le contrôle de notre propre existence. Un film qui mettra en lumière le talent immense de Rosamund Pike, actrice malheureusement trop rare. Le réalisateur ne réalise pas un simple polar aux multiples fenêtres, mais offre ici un récit envoûtant aux nombreuses pistes de lectures sur les intentions et les manipulations de ses propres protagonistes, notamment durant la deuxième partie, où un jeu du chat et de la souris va devenir un jeu de massacre dans lequel sans rentrer dans un délire schizophrène, le fantôme de Fight Club hantera l’esprit de Gone Girl : la destruction d’un univers pour l’auto construction d’un soi-même en parallèle avec la société de consommation et d’apparence. Un vertige mélancolique et ricaneur sur une quête d’identité passionnante, notamment dans une dernière partie à l’humour noir presque outrancier.
Comme dans ses deux œuvres suivantes, Steve Mcqueen étudiera avec brio la notion de liberté et d’enfermement corporel. Dans Shame, la destruction psychique et dépendante de Brandon automatisait l’utilisation de son corps par une addiction dévorante. Avec Bobbie Sands, le revers est différent, où l’esprit libre se détache de son enveloppe et lui permet de détruire son corps pour une cause qui le dépasse. Quelles sont les limites d’un homme face aux privations qu’on lui impose ? Il s’en impose de nouvelles pour dépasser sa propre condition d’humain. La gravité est là, le dolorisme visuel l’accentue, quelques plans suffisent pour faire naître l’effroi où les sévices, les cicatrices deviennent des trophées d’humanisation. . C’est alors qu’à travers un coup de force narratif éreintant, un plan fixe d’une vingtaine de minutes, Steve Mcqueen ne fait plus parler l’image mais laisse les mots faire rejaillir toute leur pureté et leur noblesse. Hunger est un grand film sur la maltraitance du corps ayant comme conséquence l’élévation de l’esprit et ainsi, fait de Steve Mcqueen, le réalisateur le plus fascinant découvert en ce début de 21ème siècle.
Spring breakers et sa petite armada de « filles » déboulent comme une tempête avec ses codes cinématographiques plein la tête : mise en scène « clippesque », univers grotesque appuyé sur les années 2000 version MTV, musique hype avec le dubstep de Skrillex. Mais le film ne le cache pas, le contexte se délite de lui-même, le Spring Break n’est qu’un simple subterfuge pour faire place à un film qui prend le visage d’une véritable ode à l’expression de soi-même. Harmony Korine balance un film fourmillant d’idées de cinéma et de mise en scène tout en désacralisant dans sa mise en abîme, les icônes puritaines fabriquées par les industries du cinéma américain que sont Selena Gomez ou Vanessa Hudgens. Alors que le film aurait pu suivre presque pas à pas les dérives d’une Miley Cyrus et sa culture de la superficialité, c’est le fantôme de Britney Spears qui ère tout au long du film, tel un ange déchu, représentant la dérive d’une Amérique qui ne sait plus sur quel pied danser. Comme Drive de Nicolas Winding Refn, Spring Breakers est une œuvre pop assumée, complètement barrée et jouissive.
Le ballet est un art brut, qui laisse des balafres comme un sport de contact. Black Swan joue avec cette idée et se déplace dans le domaine de l’horreur du corps. Darren Aronofsky se réapproprie La Mouche de David Cronenberg, et lentement Nina commence à se transformer en quelque chose d’autre, le craquement de ses ongles, ses saignements, sa chair se détachant en lambeaux. Black Swan est une œuvre charnelle, sensorielle, physique, filmant toutes les écorchures, la moindre petite entorse, mettant en valeur les moindres ecchymoses physiques de sa danseuse. De ce cauchemar névrotique d’une grande puissance doloriste, Aronofsky détraque constamment son film par l’exorcisation du mental de Nina, comblé de scènes fortes entre satire et horreur (la scène de masturbation) et voit la décadence et la destruction de Nina, qui s’enfonce jusqu’à boire le calice jusqu’à la lie. D’où la parfaite symétrie mortifère entre le destin d’une femme et le rôle d’une artiste.
The Assassin est une création magnifique, un film d’arts martiaux qui refuse volontairement le spectaculaire et se dépêtre des plaisirs primaires du genre pour obtenir quelque chose de plus beau, mystérieux et diffuse avec lenteur son emprise méditative. La violence n’est pas le point culminant de The Assassin : cette impression est renforcée par la manière dont Hsiao Hsien tire la poésie de ses scènes de combat. Mais ce qui est le plus extraordinaire est la façon dont Hsiao Hsien incorpore brillamment la libération cathartique qui émane de ces séquences. Et c’est donc par cette finesse du trait, cette intrusion monolithique dans le cinéma de genre que l’auteur invective cette lenteur, cette agonie chancelante, cette hypnose qui suit la même ligne directrice tout au long de son métrage et qui dépouille toute notion d’évasion: The Assassin retient ses coups, jusqu’au bout, au travers de séquences splendides et devient un cinéma où il est difficile de pénétrer, d’éclaircir cette surface opaque. Mais de cette opacité, de ces lieux communs où le monde est figé, de cette caméra qui nous dit ce qu’il faut voir mais qui nous laisse le choix de scruter le moindre objet, Hsiao Hsien garde ses mystères tout en les partageant de façon intime. D’où une liberté et une dignité cinématographique hors du commun qui laissent pantois.
David Lynch s’est mis au teenage movie ? Non, mais c’est tout comme. Avec Donnie Darko, Richard Kelly fait suinter le puritanisme de l’Amérique dans une œuvre aux confinsdes genres. Poussant loin les réflexions et le trouble sur le voyage temporel, Donnie Darko égratigne sa jeunesse et sa forme de schizophrénie la plus primaire. Aussi envoûtant qu’hypnotisant par sa faculté à faire naître la peur et extraire les émotions, Donnie Darko défriche avec aridité le rêve adolescent sous les joutes musicales d’une BO somptueuse. Invitant le spectateur à l’interprétation et à l’imagination, Richard Kelly décoche une odyssée cinématographique captivante de folie.
Dans un Los Angeles transfiguré par son immensité désertée, Collateral est une œuvre d’une virtuosité magistrale à l’aura mystique. Le personnage principal du nouveau film de Michael Mann n’est ni Vincent, un tueur à gages grisonnant et énigmatique ni Max, un chauffeur de taxi pris en otage dans cette expédition nocturne. La star du film, c’est cette ville, filmée comme un lieu dense, atmosphérique, dansant dans des soirées sobres et cuivrées à l’ambiance jazzy ou dans des Night-Club à la musique vrombissante. Los Angeles est enfouie dans la nuit éternelle, la ville est jonchée de lampadaires suivant la traînée lumineuse des voitures sur ces routes interminables, engloutie par la grandiloquence de buildings. C’est fascinant comme Michael Mann arrive à nous faire ressentir la vie qui jaillit dans cette ville, cette ambiance si brumeuse où les pensées des uns et des autres s’évanouissent dans une solitude épuisante et où chacun suit son propre chemin dans l’indifférence la plus totale. Michael Mann s’accapare l’essence même de cette cité, pour en faire un être vivant au cœur battant de mille feux. Collateral, est un projet simple mais pas simpliste, humble mais non dénué de complexité, qui laisse le spectateur s’imprégner de cette ambiance crépusculaire dans ce polar d’une efficacité redoutable.
La douceur du souvenir est une graine qui se plante dans l’esprit et qui ne disparait jamais. Dans ce film, qui assimile les codes de l’anticipation et de la romance, Michel Gondry construit et déconstruit une œuvre qui mêle tous les sentiments amoureux : ceux qui se voient et ceux qui sont enfouis dans les méandres du subconscient. Goguenard et romantique, Eternal Sunshine est une planète naturelle et d’une sincérité débordante où l’amour devient une denrée rare qu’il ne faut pas galvauder par les cauchemars de la séparation. Entre quête initiatique et course poursuite face à l’oubli, Michel Gondry utilise alors un esthétisme inventif et une mosaïque captivante sur le labyrinthe qu’est le cerveau humain.
Irréversible est un film organique, charnel, profitant à la fois d’un montage à reculons parfait où les scènes se répondent les unes aux autres et d’un travail sonore sidérant démultipliant cette plongée cauchemardesque dans un chaos infini, et mettant en exergue une réalisation brillante. L’utilisation de la caméra est impressionnante de maîtrise, avec cette accumulation de plan séquences fixes ou complétement volatiles qui partent dans les tous sens. Gaspar Noé se réapproprie les codes du genre « rape and revenge » pour en extraire une sensation turbulente difficilement plaisante mais terriblement magnétique. Au lieu de porter un regard sur une déchéance de violence prenant le pas sur une certaine luminosité humaine, Gaspar Noé prend un chemin de traverse , grâce à une narration à la chronologie inverse particulièrement bien écrite, ayant pour but de relâcher le monstre existant en chacun de nous pour finalement faire naître une pureté émotionnelle bouleversante.
Il ne faut pas se fourvoyer : Take Shelter n’est pas un film sur la fin du monde mais sur la peur de la fin du monde qui anime l’être humain. Ce qui est intéressant de noter, c’est la création pyramidale de la narration. Petit à petit, cette peur personnelle va engranger des conséquences plus globales. Elle va gangrener le personnage principal, puis sa cellule familiale notamment son couple, puis la cellule professionnelle puis la société. Ce film est ancré dans une réalité économique et sociale permanente, qui est présentée par une mise en scène humble et sans esbroufes. La fin du film, quant à elle, nous laisse seul face à notre propre questionnement : est-ce que cette peur a de véritables raisons d’être fondée ou n’est-ce que l’objet de notre propre imagination ? D’une justesse touchante, d’une beauté palpable, Take Shelter est un coup de maître dans le paysage du cinéma indépendant américain.
Paprika, c’est une « rêve » party grandeur nature, un labyrinthe de rêveries foutraques et de cauchemars grandiloquents, aux couleurs chatoyantes qui débordent d’inventivité visuelle et qui derrière cette fantaisie constante, cache ce qu’il y a de plus humain en nous. Dans un Japon contemporain, un groupe de chercheurs a inventé une technologie permettant de rentrer dans les rêves pour comprendre l’inconscient humain. D’emblée, le film nous insère dans l’esprit psychique de ce flic un peu perdu, s’accrochant de branches en branches, allant de strates en strates, où chaque pièce dévoile une symbolique bien précise. Satoshi Kon voit dans l’illusion et la perte de degré de réalité une thématique principale, pour mieux apprivoiser son art et refléter la véritable réalité de ce qui fait la nature propre de ses personnages à l’image de ce duo schizophrénique Atsuko Chiba vs Paprika.
Le Loup de Wall Street n’est pas un portrait quadrillé de Wall Street ou du monde de la finance, nous ne sommes pas dans Margin Call. La nouvelle œuvre réunissant Scorsese et Di Caprio se fout totalement de moraliser les répercussions des actes de ces courtiers sur l’économie mondiale. Le Loup de Wall Street nous montre le quotidien affolant et gargantuesque de Jordan Belfort, courtier à Wall Street, à l’image de l’une des premières scènes du film, où Belfort se sniffe une ligne de cocaïne dans l’anus d’une prostituée, avec claquage de fessier en prime. Ici on n’est pas là pour plaindre les riches qui se font baiser à coup de millions de dollars de commissions ou pour s’apitoyer sur le sort de la pauvre populace qui s’est engouffrée dans ce marasme monétaire hallucinogène. Le Loup de Wall Street est un film sur notre époque, où le cynisme est le point d’orgue de tout, où tout a un prix, où la vie ne mérite de se vivre que dans l’excès, que dans la déchéance.
Sujet ô combien délicat que celui de la pédophilie. Avec Mysterious Skin, Gregg Araki s’écarte de son côté farceur, oublie les irrévérences de sa Teenage Apocalypse pour se muer en réalisateur doux, amer, peignant son art d’une tragédie, d’une agonie inexpliquée voire inexplicable. Par ce biais-là, Mysterious Skin ne deviendra non pas une analyse d’un fait, ni une rétrospective d’un pourquoi mais sera la dissection d’un trauma sur le temps, durant l’adolescence de nombreuses années après le drame. Mysterious Skin est un récit initiatique biaisée d’avance, déchiré par un passé qui ne pourra jamais s’oublier. Il n’en reste pas moins un brûlot émotionnel incomparable, à la réalité foudroyante, au graphisme sexuel tétanisant, au questionnement amoureux détraqué mais qui construit ses trames par petites touches, transfigure son empathie à fleur de peau pour pointer du doigt avec finesse et rage les retors d’une Amérique aux contours cadavériques, thématiques omniprésentes dans la filmographies de l’auteur américain : la dislocation de la cellule familiale, le mensonge et la malhonnêteté de la connexion télévisuelle, les maladies, le visage de l’amour.
Même si Gravity sera un succès critique et public impressionnant, c’est surtout le fils de l’Homme qui anoblit Cuaron comme étant un réalisateur hors du commun. Proche de l’exercice de style avec la vigueur de ses longs plans séquence, le fils de l’Homme est une œuvre d’anticipation envoûtante saupoudrée de la noirceur de l’âme humaine et de son espoir utopique fragmentaire. Dans un monde décimé et presque post-apocalyptique, où la destruction et la guerre ne font qu’une cette course poursuite pour la vie et la continuité de l’espèce humaine étincelle par son osmose entre le symbolisme et l’énergie de la synergie visuelle.
Sous cette forme de film d’anticipation, Her prend le chemin d’un récit initiatique amoureux, où la technologie prendra des allures de catalyseur vital pour Theodore, pour apprendre sur lui-même. Loin d’être une chronique sur la déshumanisation de l’homme, Her crée sa propre réalité irréelle pour épouser avec délicatesse, toutes les possibilités que la technologie proposeà l’homme. La technologie est au final, la propre métaphore de ce qu’est l’amour : une expérience qui nous permet de voir le monde différemment, un espace-temps délectable qui nous ouvre des portes inattendues. Jonze écrit alors un film terrible de sensibilité, intelligent, une histoire d’amour inédite mais universelle, qui passe du chaud au froid avec facilité, jamais moralisatrice sur la condition humaine, filmant avec drôlerie et tristesse la solitude affective d’un homme qui ne demande qu’à s’affranchir des sentiments qui l’empêchent d’avancer. C’est juste l’histoire d’un homme qui veut enfin, commencer à écrire ses propres lettres.
Comme souvent chez Haneke, le réalisateur va poser son regard clinique sur cette bourgeoisie mondaine et patriarcale qui sclérose les pulsions humaines, qui tait ses propres fantasmes pour en faire des démons inavouables. Subir sa vie comme un fardeau, une pénitence perverse, où sa mélodie le fait maître de son corps et de ses propres désirs. Derrière la caméra, une distance s’immisce finement et va donner droit à l’éclosion d’une folie moribonde, désinhibée. Cette réalisation froide, faite de longs plans séquence qui allonge la dureté des scènes, instaure une austérité s’engouffrant dans l’absurdité la plus dérangeante, tout en accentuant le fossé existant entre la sécheresse de la vie de tous les jours d’Erika et l’âpreté de sa vie privée. La pianiste s’avérera être une œuvre dure, d’une puissance déshumanisante tonitruante, une descente dans les abysses de la souffrance solitaire. Haneke réussit son coup, car malgré la dureté du film et sa violence tant physique que psychologique, la dernière séquence du film est un torrent terrassant de solitude.
Le conte de la princesse Kaguya est un conte triste sur la recherche du bonheur, une fable sur la pureté du souvenir, sur la fragilité de notre existence, une œuvre d’une liberté assez réjouissante, changeant d’allures à sa guise entre recueillement contemplatif et explosion volcanique. Tout cela accordé par un dessin en perpétuel mouvement, à la fois simpliste et détaillé, clair et sombre. Graphiquement, c’est un plaisir immédiat pour les yeux, c’est d’une grâce insoupçonnée. Toutes les parcelles de doute tombent devant nos yeux, où la tristesse d’une fille qui ne discernait plus sa place a trouvé écho dans les oreilles de contrées stellaires face à une douloureuse acceptation d’une mort prochaine sans souvenir.
Malick signe un long métrage qui n’a qu’une seule et petite ambition : voir la beauté et la transformation du monde dans le regard d’une jeune femme qui va voir son cœur battre pour deux hommes différents, son innocence et son enfance s’effacer pour mieux s’affranchir, s’éparpiller pour mieux se reconstruire. Le Nouveau Monde est mis à nu par sa mise en scène exceptionnelle, cette vision du monde par l’entrebâillement du cadre, ce montage volontairement libre presque omniscient, cette sensibilité dans l’agissement, ce mouvement omniprésent. Ici le récit avance par la démonstration du mouvement, du retranchement intérieur de ces âmes en peine, en proie au doute, de ces voix off en perpétuel questionnement sur la nature de leur enracinement, des velléités de ces âmes transcendantales, de ces hommes et femmes qui ne font qu’un avec l’environnement. Puis à de nombreux instants, le génie opère et l’émotion ne peut se contenir devant une œuvre magique, d’une pureté éclairante.
Abandonnant ses longues plages de dialogues et son intérêt particulier pour le polar tout en polarisant son affect pour l’Entertainment, Quentin Tarantino met de côté sa clique de losers. Fini les anti-héros, les mafieux de pacotille, les boxers sur la corde raide, ou les toxicos pavillonnaires, c’est une toute autre mécanique, le chanbara et le cinéma japonais, qui giclent sur l’écran. Formant un diptyque, une mosaïque de références secouées dans un shaker, Kill Bill est dilué entre un Volume 1 et un Volume 2, mais le premier du nom parle pour lui, et gagne en galon pour accentuer sa valeur, son identité carnassière et jubilatoire où Tarantino ne perd pas son talent pour sécréter des moments de cinéma marquants, notamment cette fulgurante séquence avec les Crazy 88. Un combat d’une rare générosité, à la fois en couleur et en noir et blanc, opposant son héroïne face à une centaine de yakuza. Rien que ça.
Cronenberg nous enfonce dans une noirceur la plus totale, à l’image de son personnage principal où Viggo Mortensen semble complètement habité d’une violence intérieure chaotique. Avant de s’apparenter à une simple parabole d’une société consolidée par une certaine vision de la justice et la défense, A History of violence est avant tout un objet cinématographique saisissant par son ambiance quasi primitive entre joutes sexuelles maritales torrides et fulgurances sanglantes à l’esthétique tranchante. Film de commande sur la nature humaine, A History of violence nous montre que le naturel revient vite au galop malgré les non-dits et les mensonges. Ce qui fait la force de ce long métrage, c’est de ne rien laisser au hasard, de n’avoir aucun déchet tant dans ses personnages que dans ses plans, A History of Violence est un bloc de marbre à l’efficacité redoutable et d’une élégance stylistique magnifique.
Avec un ce polar urbain moderne, Nicolas Winding Refn goûte enfin au succès qu’il attendait tant. Drive est une œuvre moulée dans le béton tant Nicolas Winding Refn parait méticuleux avec sa mise en scène écrasante et matérialisant à elle seule la puissance de son Driver. L’esthétisme étouffant de Drive et celui de Ryan Gosling ne font qu’un : la lenteur, le mutisme, catapultés vers des irruptions de violence intraitables. La griffe du réalisateur de la trilogie Pusher est bien là. Drive est une leçon de mise en scène, un bloc de glace peu loquace, où tout semble calculé au moindre centimètre, où rien ne dépasse, tous les cadres sont orchestrés avec précision, chaque plan est composé avec maestria. Les premières minutes du film, une évasion nocturne suite à un casse sur les bitumes, sont impressionnantes de minutie, dont le montage ciselé incorpore une tension implacable. Drive est un film de genre à la fois simple et singulier, préférant installer son atmosphère onirique au lieu de faire chauffer le moteur, un véritable film de formaliste et presque fétichiste, où les sentiments se dégagent plus par l’image que par le dialogue. Un pur film hollywoodien détaché de toute chaine, un coup de maître.
There will be blood, est le destin d’un homme, d’un pays, qui va alors comprendre les ficelles du métier pour s’adjuger une réussite viscérale, mettant de côté des valeurs morales qui semblent terriblement abstraites dans cette course forcenée vers le pouvoir. There will be blood est le film d’un réalisateur, d’un artiste captant l’essence de son art comme jamais. Paul Thomas Anderson maîtrise son film de la première à la dernière seconde. Visuellement, l’environnement de ces grandes plaines desséchées semble infini tant la photographie est somptueuse avec ces plans séquences pénétrant au plus profond des abysses pétroliers. Le réalisateur filme les prémices de la soumission de l’homme face à l’argent et à sa condition de vie sans jamais tomber dans un discours moralisateur de pacotilles. There wille be blood est aussi rêche que le regard de Daniel Plainview, une œuvre magistrale et incandescente, au souffle brûlant, commençant silencieusement mais finissant par la folie et la force macabre des mots.
Peut-être que seul un regard innocent sur la brutalité de notre monde est apte à pouvoir franchir les barrières qui entourent nos pires angoisses. A travers cette communauté reculée et recluse sur elle-même, Shyamalan dépeint avec virtuosité l’amertume de la culpabilité et les fêlures de la peur qui habitent en chacun de nous. Par le prisme du fantastique et avec des créatures rouges venues des bois ténébreux et hantés, Le Village se raconte telle une fable minimaliste mais presque romanesque à la délicatesse raffinée. Malgré sa douceur et son vague à l’âme contagieux, on y découvre un long métrage d’une extrême richesse. Derrière son aspect cotonneux de parabole politique, Le Village est avant tout un film qui transpire le cinéma où le fantastique permet de mélanger fiction et réalité et surtout de manipuler les esprits, tant celui du spectateur que celui de cette communauté. Fabuleusement romantique, Le Village est une ode au courage et à l’amour peignant non sans amertume les méandres utilitaristes du mensonge.
Dans le désordre de l’humanité et le désenchantement de ses conditions de vie matérialistes allant à l’encontre de la nature et de ses valeurs, Le Voyage de Chihiro est un récit initiatique pour la liberté de la forme et de l’identité. Dans ce monde urbain qui se meurt par ses pratiques, la nature doit reprendre ses droits. Entre tradition japonaise, message écologique et mythe spirituel, Miyazaki crée un monde protéiforme dont la vitalité éclabousse chaque plan du récit et dont la poésie ramifie tous les spectres.
Fury Road, c’est crade, c’est furieux, c’est un cinéma du mouvement, de la fuite en avant. Tout transpire le cinéma, le cinéma d’action dans Mad Max Fury Road. Derrière l’épure du scénario, qui se retranscrit parfaitement à l’écran, où l’univers se suffit à lui-même pour dévoiler un kaléidoscope de thématique riche, George Miller et toute son équipe mettent en place un véritable tour de force cinématographique avec un foisonnement absolu de détails à l’image. S’inscrit à l’écran un véritable opéra rock dévergondé, un concert de métal aux couleurs monochromes, où les plans se superposent dans une maestria hallucinogène improbable, une dissection chirurgicale du combat, une chorégraphie même de l’action qui enchante à de nombreuses reprises, sans lasser ni se répéter grâce à une ribambelle d’idées graphiques fulgurantes (l’accélération des images, le musicien à la guitare de feu). What a lovely day.
Brandon est Michael Fassbender, Michael Fassbender est Brandon. Qui mieux que lui pour jouer ce rôle au squelette dessiné et à la sécheresse sentimentale profonde. Son charisme, sa force centrifuge, sa fermeté, une sorte de virilité qui s’estompe par sa violence, qui retranscrit à merveille les fêlures aliénantes de cet homme. Enfermé dans un cercle vicieux qui robotise sa psyché, qui défriche sa pensée. Shame est une tragédie moderne, une enclave solitaire dans une quête non résolue. McQueen parle d’addiction, de cette accroche inconsciente à un mal claustrophobe, mais surtout, dépeint une société consumériste et faite d’identités solitaires, qui consomment à outrance sans départager l’humain des objets. Shame est spectateur d’une perte de repère émotionnel de la société moderne, qui cristallise les démons qui nous habitent, sans vouloir en être le procureur.
No country for old men est une grille excellemment bien écrite d’hommes et de femmes à l’innocence déchue et aux rapports plus ou moins différents à l’argent. Les frères Coen nous servent sur un plateau un récit d’une grande qualité qui mélange avec aisance, scènes de pure tension au suspense implacable et moments intimistes à l’ironie presque macabre. No country for old men est d’une telle qualité qu’un rien devient tendu et sec comme un coup de trique vous prenant aux tripes. La violence, l’argent, des valeurs qui prédominent et hiérarchisent notre civilisation moderne et qui corrompent les hommes jusqu’à les ramener à leur état primitif, feront de No country for old men un film noir sans concession avec ses faux airs de western. Avec cette adaptation du livre éponyme de Cormac McCarthy, les frères Coen nous offre là non pas qu’une simple course poursuite contre le temps mais est un véritable recueil à la fois ironique et mélancolique sur la place de l’argent dans une société laissant de côté ses principes pour assouvir ses ambitions.
Love Exposure raconte l’histoire infernale d’un amour véritable, rendu presque impossible par une société japonaise qui ne cesse de refréner ses ardeurs en se cachant derrière une religion écrasante, inhibant ses pulsions charnelles, avec comme moteur la peur de dévoiler ses sentiments et la dislocation de la sphère familiale, dans un modèle social gangrené par la manipulation malveillante d’une branche sectaire prête à tout pour utiliser l’esprit malmené d’une population sous le coup de la dissolution. Malgré sa longue durée, 4h de film qui filent à toute berzingue dans une cohérence cinématographique bluffante, on sort du film presque frustré de voir le générique prendre fin tant l’empathie est impressionnante de symbiose avec le récit de ces jeunes adolescents hauts en couleurs et qui découvrent le monde adulte en passant par les étapes de la vie dans l’affranchissement de soi-même et la découverte des péchés et de la sexualité, qui font l’homme ou la femme que nous sommes. Sion Sono embrasse avec magnificence la radicalité gore et la jovialité sexuelle de cette jeunesse un peu tarée.
Oslo, 31 aout n’est pas une œuvre sur la dépendance ou l’acte abrupt qu’est le suicide, mais détourne son récit sur des chemins de traverse plus délicats comme la peur du vide, la honte d’avoir perdu son temps et de voir qu’il n’est plus possible de tourner les pages de sa propre vie dans le bon sens. La culpabilité, cette chimère, cette araignée qui tapisse les méandres de sa psyché. De discussions en discussions, il paraît résigné, perdu dans une ébullition humaine ennuyante. La dernière partie du film, est plus abstraite, un dessin funeste, une virée joyeuse en enfer, une dernière trace de lui à la lueur du jour, un plaisir finalement rattrapé par la culpabilité et sa désocialisation définitive. Un petit bijou, à l’image d’Anders : ne faisant pas de bruit, qui marche au bord du précipice comme une étoile filante qui galoperait dans un ciel éphémère.
The Dark Knight est un film d’une qualité cinématographique parfaite, dans le rythme de ses rebondissements et l’excellence de sa mise en image. Nolan tient en haleine sa dramaturgie fictionnelle grâce une écriture et un montage narratif parfaits, mélange rodé entre scène de récit et d’action, laissant place à l’iconisation de ses protagonistes. Le film porte bien son nom : The Dark Knight. Batman n’est pas là pour qu’on le sanctifie mais pour prôner la justice tout en sachant qu’il ne pourra jamais être le visage de l’Ordre. Il est comme le Joker : une création du désordre, qui le poussera à aller à l’encontre de la démocratie, de ses libertés fondamentales et des droits des citoyens. Et dans un final haletant, la question devient lourde et pesante : quel visage doit prendre la justice pour laisser l’Ordre rejaillir ? L’Ordre est-il une hypocrisie qui mérite de laisser vivre un mensonge d’État ? Mais le Mal est déjà là. Et par ce biais, The Dark Knight devient alors le reflet de toute la dualité morale de l’Amérique face à ses pires démons.
Jonathan Glazer écrit et réalise une œuvre de pure fascination plastique, parfois d’un réalisme qui frise la forme documentaire mais à l’esthétique qui ne laisse pas de marbre. Under the skin est à l’image de Scarlett Johansson, d’une cohérence sans borne : un film objet, simple comme bonjour mais terriblement fascinant qui sort des sentiers battus, une vraie proposition de cinoche d’une beauté omniprésente. On aurait pu s’attendre à une odyssée frénétique, sensorielle, il n’en est presque rien, juste une poésie fulminante et fantastique qui se dégage de presque chaque plan du film. Cette jeune mante religieuse mutique, est l’alter ego de Jean, personnage du fantastique Sombre de Philippe Grandrieux. Malgré son mutisme, Under The Skin est une œuvre riche s’intéressant autant au désir féminin qu’à la limite de notre humanité. Film hybride entre science-fiction et approche naturaliste, Under the Skin pousse très loin le curseur de l’hypnotisation cinématographique.
La vengeance est un plat qui se mange froid. La seule possibilité de faire cicatriser les plaies de l’âme est de faire passer le temps. Mais malgré ça, certaines choses ne s’oublient pas. Avec Old Boy, Park Chan Wook nous offre un dédale névrotique aussi romantique qu’immoral, aussi violent que lancinant. Une lutte pour faire cesser les souvenirs qui nous détruisent et qui hantent un homme jusqu’à la fin de sa vie. Une course contre le temps et l’amour monstrueux, qui malgré sa radicalité, fait naître une poésie incandescente.
Avec Memories of Murder, le réalisateur sud-coréen frappe un grand coup dans la sphère du polar. Muni d’un ton assez unique, où la rupture du genre fait rage entre l’hilarité burlesque et la dramaturgie turgescente, Bong Joon Ho crève l’écran avec cette intrigue policière dans le maigre milieu de la campagne coréenne. Cadenassé entre l’envie de décrire un environnement aussi riche que repoussant et de celle de coller au genre, Memories of Murder détient par la finesse de sa mise en scène, un suspense insoutenable qui établit son cheminement par le prisme de l’horreur et du ricanement mais finit par déverser un torrent d’émotion qui laisse le spectateur hagard pendant de nombreuses minutes. Ce dernier plan, laisse le personnage et le spectateur dans la même position : les larmes aux yeux.
Attendri par ces hauts buildings tokyoïtes, Lost in Translation se camoufle dans une couverture cotonneuse douce-amère. Lost in Translation parle de cette solitude, celle qui, parfois, nous oblige à faire des choix. Des choix instinctifs et à cœur perdu. Lost in translation, c’est avant tout Bob et Charlotte, deux êtres perdus au beau milieu de cette immensité, de toute cette foule singulière dans cette ville de Tokyo aux multiples facettes. Seuls les regards, les sourires, les petites discussions au coin d’un lit importent. Ce qui de manière immédiate, donne encore plus de substances à ce spleen ambiant et à ce détachement déshumanisé jamais montré de façon maniérée. Car elle est là, toute la beauté de Lost in Translation, interroger l’ennui et sa fadeur, mais Sofia Coppola n’a pas sa pareille pour filmer cet écran de fumée. Le film se finit de façon délicate et nous touche en plein cœur par son authenticité. Une parole dans le creux de l’oreille, comme la plus belle des déclarations.
Wong Kar Wai examine la naissance du désir avec une pudeur magnifique, faisant de In the Mood for love un film touchant et d’une classe pas toujours coutumière au cinéma. A défaut de prendre l’amour à bras le corps, In the Mood for love recueille les prémices des premiers désirs, de ses balbutiements qui happent notre cœur. Wong Kar Wai filme les petits gestes du quotidien, la routine solitaire, la monotonie des sentiments, l’impuissance intérieure face aux désarmements affectifs amenée par la solitude du sentiment amoureux. Cet univers, à Hong Kong, bourgeois faits de bonne manière, avec ses personnages propres sur eux, leurs coiffures parfaites, leurs robes et costumes cousus au millimètre près, font de In the mood for love un écrin visuel magnifique et à la finesse rare.
Toute l’idée du film est englobée dans cette première scène de rupture : Mark Zuckerberg se fait larguer par son ex, deux monologues s’éclaboussent l’un contre l’autre où incommunicabilité, égocentrisme, opportunisme, célébrité, compétition, et règle de la jungle humaine se font écho. Malgré sa construction plus ou moins classique et ses lignes de dialogues incessantes, The Social Network n’en reste pas moins un film profondément ludique par le talent indéniable à l’écriture d’Aaron Sorkin et une qualité de montage particulièrement intense entre la marche en avant antérieure de Mark Zuckerberg et ses tribulations judiciaires actuelles. The Social Network n’est pas qu’une simple description de la création du site Facebook, mais se révèle être beaucoup plus que cela, une quête d’identité virtuelle à la réalité acide. David Fincher nous parle d’un surdoué asocial pris de court par le monstre qu’il vient de créer. C’est littéralement une plongée dans l’envers du décor de la hiérarchie de notre univers qui prend conscience de son étrangeté. Une œuvre aussi intelligente qu’intelligible portée par l’élégance scénique de Fincher, la précision littéraire de Sorkin et la magie musicale de Reznor.
Loin du prosélytisme dénoncé par ses détracteurs, le réalisateur américain délivre là une œuvre d’une force poétique et métaphysique hors du commun, se rapprochant du Miroir d’Andrei Tarkovski et de 2001 l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Sans jamais tomber dans le piège de la propagande, The Tree of Life est une ode presque proustienne, un humble message d’un homme qui n’est pas forcément en paix avec lui-même mais qui filme, admire ces moments de communion avec la nature, avec le soleil qui caresse la peau, ces brindilles d’herbes comme lieu de jeu. The Tree of Life s’interroge finalement beaucoup plus sur l’existence de dieu qu’il ne valide sa présence. Il n’est juste question d’humanisme où le cinéma n’est utilisé que comme un simple moyen de communication avec les autres, dans un déluge visuel incroyable de beauté. La belle histoire d’un fils qui se remémore sa jeunesse, qui dissèque par les souvenirs les connivences avec son père, la majesté de sa mère ou l’union d’une fraternité balbutiante. Un acte cinématographique d’une rare sincérité.
Mulholland Drive chavire en eaux troubles dans une symphonie cynique qui s’articule entre le mirage du crime passionnel et la quête de rédemption rêveuse qui s’étiole pour peindre un monde hollywoodien aux multiples visages : presque monstrueux de cruauté où les sourires s’effacent dans l’ombre pour engendrer des larmes de désespoir. Rêve d’une actrice laissée pour compte par un Hollywood sans scrupule ou cauchemar d’une grande actrice paranoïaque, Mulholland drive est l’un des films d’amour les plus forts que l’histoire du cinéma ait pu délivrer. Impressionnant par la justesse de son histoire et par sa vision d’un Hollywood créateur de malheur et d’anges déchus, Mulholland Drive joue les équilibristes entre chaud et froid, ténèbres et éclaircie, contemplatif et horrifique. David Lynch bidouille son art pour offrir sa vision mortifère du 7ème art dans lequel il ne se reconnait plus. Sensible, incandescent, désespéré, Mulholland Drive est l’œuvre la plus maîtrisée de son réalisateur. Mulholland Drive comme la quintessence du cinéma.