• 08/05/2022
  • Par binternet
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Le mythe de l’obsolescence programmée<

Chaque fois qu’il est question de limiter volontairement la croissance économique à des fins environnementales ou sociales, un thème est immanquablement soulevé. Il s’agit de l’obsolescence programmée, une manière compliquée de dire que les biens manufacturés ne seraient plus ce qu’ils étaient, et qu’ils seraient même conçus et fabriqués pour avoir une durée de vie limitée pour nous pousser à consommer davantage.

Ce concept fait le bonheur des mouvements écologistes, qui sont en faveur de la décroissance économique et d’une certaine gauche, car on fait ici le procès d’un système économique et des entreprises qui agiraient délibérément pour nous vendre de mauvais produits à durée limitée à l’unique fin de se remplir les poches.

Cette dénonciation fait aussi le bonheur de tous les amateurs de théories du complot, toujours persuadés que des forces occultes nous manipulent contre notre gré.

Hélène Baril, dans La Presse, décrit ainsi l’obsolescence programmée : «Nous sommes tous à même de constater que la durée de vie utile des biens est de plus en plus courte. Les effets de la mode et du marketing, les coûts élevés de réparation ou l’impossibilité de réparer, dans le cas de certains produits électroniques, encouragent la consommation.»

Dans Le Devoir, Alexandre Shields est, à son habitude, encore plus catégorique : «Les exemples d’appareils électroniques ou électroménagers dont la durée de vie nous semble trop brève sont légion. Cette obsolescence, programmée dans certains cas, provoquée par des effets de mode ou la piètre qualité des matériaux dans d’autres, est une réalité pour ainsi dire indéniable.»

Cette réalité «indéniable» — que nous serions «tous à même de constater» — n’est jamais documentée au-delà de l’anecdote et encore moins prouvée. Et il y a une bonne raison pourquoi personne n’en a fait une démonstration scientifique : c’est que ce phénomène n’existe pas.

Rappelons trois principes de base du capitalisme, soit la segmentation des marchés, la concurrence et l’innovation.

Commençons par la segmentation des marchés.

Je ne connais pas de manufacturier qui se targue de mettre en vente un mauvais produit. Tous les produits ne sont pas égaux pour autant, car ils s’adressent à différents marchés et à différentes attentes de la part des consommateurs.

Quand il s’agit d’acheter un bien, certains d’entre nous privilégient le faible coût, la variété ou la nouveauté, et d’autres la qualité ou la durabilité. En temps normal, un bien acheté chez Dollarama ne sera pas de la même qualité qu’un autre vendu chez Linen Chest.

Certaines montres seront produites à la main, avec les meilleures composantes et en nombre très limité par des artisans talentueux (et très bien payés), dans un pays où les salaires sont très élevés. Une montre suisse produite de façon artisanale est un produit de grand luxe qui coûtera très cher et qui aura une durabilité exceptionnelle.

À l’opposé, on peut trouver des montres à très petit prix, fabriquées en usine dans un pays asiatique. Je ne gagerais pas sur leur fiabilité à long terme, mais elles indiquent tout aussi bien l’heure, et ce, à une fraction du prix.

Vous pouvez acheter un pull en coton chez Gap qui va se défraîchir beaucoup plus rapidement qu’un autre en cachemire acheté chez Simons. Dans un cas, on privilégie le prix et la nouveauté et dans l’autre, le confort et la durabilité.

Le mythe de l’obsolescence programmée

Le pull en coton n’est pas «programmé» pour se défraîchir : c’est juste que le tissu réagit naturellement à des contraintes physiques et chimiques au moment de la lessive. Compte tenu du prix d’acquisition, vous ferez aussi bien plus attention à votre chandail en cachemire.

Passons à la concurrence.

Pendant des décennies, la Toyota Corolla avait la réputation d’être la voiture la plus fiable et la plus endurante dans sa catégorie. Toyota soutient même que 80 % des Corolla achetées au Canada entre 1993 et 2013 étaient encore sur la route l’an dernier.

La robustesse et les prix raisonnables des véhicules japonais ont obligé leurs concurrents à améliorer leur fiabilité et leur accessibilité. Les manufacturiers nord-américains ont dû s’ajuster, car les consommateurs les abandonnaient.

La qualité des véhicules s’est tellement améliorée qu’on pourrait les garder en notre possession pendant des décennies, parce qu’ils sont littéralement indestructibles. Quand votre voiture est en panne ou en réparation, vous remarquerez aussi que ce n’est pas le moteur qui est généralement en cause, mais l’électronique ou les composantes qui s’usent immanquablement à l’usage (comme les plaquettes de frein).

Pourquoi change-t-on alors de voitures si elles peuvent rouler encore pendant des années ? Pour toutes sortes de raisons très valables qui touchent à la fois à la sécurité, au confort, aux performances, à l’économie d’essence ou aux respects des normes gouvernementales en matière d’émissions toxiques ; pour avoir accès à de nouvelles technologies (comme la voiture électrique ou hybride) ; ou alors, tout simplement parce que nos besoins changent. Les voitures s’améliorent et elles sont bien meilleures que celles de ces temps anciens qu’on idéalise.

Oui, il y a des consommateurs qui sont plus sensibles au design, à la nouveauté ou au symbole attaché à la possession d’un véhicule, mais ils ne changent pas d’automobile parce que leur ancienne voiture a été programmée pour s’arrêter subitement à une date de péremption.

N’oublions pas non plus que des magazines comme Consumer Reports (aux États-Unis), Protégez-Vous (au Québec) ou 60 millions de consommateurs (en France) décortiquent des centaines de produits à chaque année et les comparent les uns aux autres. Un mauvais aspirateur, une cafetière incompétente, un frigo inepte ou un citron sur quatre roues se font immanquablement démasquer.

La concurrence oblige enfin à l’excellence et à l’innovation.

Nous bénéficions tous des gains réalisés en performance et en efficience, et cela nous conduit à acheter de nouveaux produits qui intègrent ces améliorations.

Mon téléphone mobile est un vieux iPhone 4 qui aura cinq ans cette année — aussi bien dire un dinosaure. Je suis en retard de quatre générations de modèles et de microprocesseurs. Je n’ai pas accès aux versions récentes du système d’exploitation et il y a plein de choses que je ne peux pas faire avec mon téléphone.

Mon téléphone est peut-être obsolète selon les critères du moment, mais il reste un très bon téléphone mobile qui m’offre un accès convenable à Internet. Ce serait toutefois une bêtise de proclamer qu’il a été programmé pour être obsolète. Depuis cinq ans, la technologie et les besoins ont évolué. Ce qui est l’ordinaire des nouveaux téléphones intelligents n’était tout simplement pas offert il y a cinq ans.

Si j’utilisais davantage mon téléphone intelligent pour des applications professionnelles plus lourdes, ou si j’étais un mordu de jeux vidéo, il me faudrait un téléphone comme le iPhone 6, avec ses deux milliards de transistors qui lui procurent 50 % plus de puissance et d’efficacité que la puce précédente.

Ce n’est pas une machination, mais une évolution des besoins qui pourrait exiger que votre appareil soit plus rapide, plus performant et que cela ne se fasse pas aux dépends de la durée d’utilisation permise par la pile.

Dans la même veine, on peut dire que les ordinateurs sont obsolètes dès leur conception, compte tenu des progrès technologiques et de la lourdeur des nouveaux logiciels. Faut-il stopper le progrès pour autant ?

Ceux qui croient à l’obsolescence programmée vont souvent donner l’exemple de l’appareil qu’il vaut mieux remplacer que réparer. Ce serait là l’ultime preuve que les méchants capitalistes veulent nous faire dépenser pour rien.

Je ne crois pas que cela tienne la route. Je fais réparer ce qui vaut la peine d’être réparé. La question ne se pose pas pour une voiture relativement neuve, mais est-ce que je voudrais remplacer la moitié des pièces d’une bagnole qui a plus de 20 ans si je ne suis pas un collectionneur ?

Le cas des ordinateurs est intéressant. Certaines pièces pourraient ne pas être offertes chez mon vendeur ; elles peuvent être chères parce que rares. Il y a des frais de transport si mon ordinateur doit être acheminé à un atelier spécialisé sur le continent ou ailleurs, sans compter les frais de main-d’œuvre.

Il se peut aussi que les nouveaux microprocesseurs ou les nouvelles piles vendues aujourd’hui ne fonctionnent tout simplement pas dans mon vieil équipement. Ces pièces sont généralement plus petites, car les consommateurs préfèrent de nos jours des ordinateurs plus légers et qui consomment moins d’énergie. Ce n’est pas un complot, c’est la demande !

La meilleure proposition économique pourrait être d’acheter un nouvel ordinateur, surtout que les prix, à puissance égale, n’arrêtent pas de baisser.

En dernier recours, les «complotistes» vont invariablement nous parler des ampoules électriques et des cartouches d’encre des imprimantes.

Les ampoules incandescentes étaient le fruit d’un fâcheux compromis physique entre leur luminosité et leur durabilité. Pour les faire brûler plus longtemps, il aurait fallu diminuer leur performance. En ce sens, les ampoules DEL, quasi inusables parce qu’elles produisent moins de chaleur, marquent un grand progrès.

Ah, les imprimantes ! J’ai remplacé la mienne il y a un mois et je suis pris avec des cartouches inutilisables sur le nouveau modèle. Pourquoi ai-je remplacé une imprimante qui fonctionnait bien ? Parce qu’elle ne pouvait pas imprimer à partir d’un appareil mobile, ce qui devenait de plus en plus fâcheux dans l’exercice de mon travail. Toujours le progrès…

Quant à l’encre, sachez qu’il y a dans chaque cartouche assez de technologies pour que le manufacturier prenne la peine d’enregistrer des centaines de brevets. Par exemple, l’encre ne doit pas sécher instantanément sans jamais faire de bavures, et la cartouche doit être simple d’utilisation et se remplacer facilement — sans compter qu’elle doit être parfaitement adaptée au modèle vendu.

De plus, les fabricants ont instauré un modèle économique par lequel ils cèdent à leurs imprimantes à faible prix dans l’espoir de vendre plusieurs cartouches d’encre. Une cartouche moins chère se traduirait par des imprimantes à prix plus élevé.

Malgré tout, certains voient dans ce concept de l’obsolescence programmée le piège ultime du capitalisme. Je me demande pourtant si nous serions plus «verts» et mieux portants si nous roulions tous dans de vieilles bagnoles polluantes et gardions pour l’éternité nos appareils ménagers énergivores.

Je pense au contraire que les innovations nous facilitent la vie et contribuent à notre bien-être.

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À propos de Pierre Duhamel

Journaliste depuis plus de 30 ans, Pierre Duhamel observe de près et commente l’actualité économique depuis 1986. Il a été rédacteur en chef ou éditeur de plusieurs publications, dont des magazines (Commerce, Affaires Plus, Montréal Centre-Ville) et des journaux spécialisés (Finance & Investissement, Investment Executive). Conférencier recherché, Pierre Duhamel a aussi commenté l’actualité économique sur les ondes de la chaîne Argent, de LCN et de TVA. On peut le trouver sur Facebook et Twitter : @duhamelp.

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