• 14/10/2022
  • Par binternet
  • 572 Vues

«Droite ou gauche : même costume, même cravate…»<

Un, deux trois, costume bleu de France ou Gordini. Merci Barack ! On lui doit la possibilité de porter un costume bleu au plus haut sommet de l’Etat. Au premier débat de la présidentielle, lundi, ils étaient trois à le porter : Benoît Hamon, Emmanuel Macron et François Fillon. Ça n’a l’air de rien mais il nous a sauvés du gris anthracite, du bleu foncé et du noir. Jean-Luc Mélenchon s’en est tenu au noir avec une veste cubaine à quatre poches et quatre boutons, adaptée aux contraintes hivernales. Alter-tenue clin d’œil à l’altermondialisme qui a l’avantage de tenter quelque chose. Laissons Marine Le Pen, la seule candidate invitée. On dira qu’elle reprend l’absence de signes distinctifs revendiqués par ses voisins : veste et pantalon noirs.

D'ailleurs, toute la planète se met au noir à l'exception des dirigeants pakistanais, indiens, iraniens ou les monarchies de la péninsule arabique. Javier Pérez de Cuéllar, qui a fait toute sa carrière à l'ONU avant d'en devenir le secrétaire général, raconte à Dominique et François Gaulme, les auteurs des Habits du pouvoir - une histoire politique du vêtement masculin (Flammarion, 2012) qu'il a vu les taches de couleur disparaître au fil des ans. Quand le pouvoir a-t-il perdu ses couleurs ? Existe-t-il un espoir infime de les voir revenir ? Nous avons posé la question aux auteurs. Elle est journaliste, il est ethnologue, et ils observent, depuis des années, la tribu des chefs d'Etat et de gouvernement.

Que disent les tenues des hommes politiques en France ?

Dominique Gaulme : Tous pareils. Il n’y a qu’à les voir pendant les débats télévisés, au cours des primaires de droite et du centre ou socialiste, ou au dernier débat des candidats à la présidentielle, lundi sur TF1. Il faut rentrer dans les détails pour trouver des différences. Aucune fantaisie, prise de risque, rien qui distingue Benoît Hamon, Emmanuel Macron et François Fillon.

François Gaulme : François Fillon est l’archétype du conservateur. Son costume Arnys est la marque d’une intemporalité qui trouve sa source en Angleterre. De l’autre côté de la Manche, c’est accepté, ça fait partie du décor, et toute la classe politique, mais aussi les banquiers, les hommes d’affaires acceptent cette règle du jeu. On s’habille selon un code social très précis.

D.G. : On a l’impression qu’il faut éviter la moindre note d’originalité. Les hommes politiques pourraient chercher à attirer le regard. Ils se fondent dans le moule.

F.G. : Autant à Londres on n’a pas le choix de la coupe, la veste est une armure qui doit corseter le corps, à Paris, on peut avoir des coupes plus souples, à l’italienne. Fillon, qui a épousé une Anglo-Galloise - son père est gallois, sa mère anglaise - en rajoute sur le côté gentleman-farmer avec sa veste forestière, les photos dans la campagne avec les chevaux et la famille se promenant dans le parc du château. Pour le coup, lui, c’est vraiment son style.

François Fillon représente le conservatisme. Mais les autres doivent essayer de se distinguer ?

«Droite ou gauche : même costume, même cravate…»

D.G. : Jean-Luc Mélenchon essaye. Les autres doivent avoir des conseillers qui les dissuadent de faire le moindre écart. La différence va se faire sur le prix des costumes. Avant de devenir un homme public, Emmanuel Macron portait des costumes beaucoup plus chers, puis il a renoncé au sur-mesure. Maintenant, il met des costumes de jeune qui ont l’air de valoir moins de 400 euros. La coupe est plus souple, plus près du corps, cela suppose d’avoir un corps qui va avec. Après, quand le costume est neuf, ça ne fait pas une grande différence avec un costume à 6 000 euros. Après, on se retrouve toujours avec une chemise unie, une cravate unie, bleue la plupart du temps, rouge parfois. Au premier débat, sans doute pour faire moderne, Bruno Le Maire n’avait pas de cravate, il s’est dépêché d’en remettre une au deuxième. Mélenchon joue la carte du guérillero urbain avec des vestes cubaines, à quatre poches. On a parfois l’impression qu’il sort d’un rendez-vous avec le sous-commandant Marcos. Pour le débat, il arborait la tenue classique du prof Union de la gauche des années 70 avec une cravate rouge, mais au moins il essaye d’inventer quelque chose.

Quand le pouvoir a-t-il perdu ses couleurs ?

F.G. : C'est venu d'Angleterre, à la fin du XVIIIe siècle avec Brummell. Le dandysme britannique impose de s'habiller très simplement en bleu et beige. Bleu marine pour la veste, beige pour le pantalon, et ça tous les jours. Il y a un appauvrissement brutal du vêtement masculin à partir de 1780. Avant, on n'avait pas peur des couleurs vives. Le roi de Suède, en 1771, et Louis XV, en 1774, sont portraiturés avec des vestes d'un rouge pétard. Dix ans plus tard, tout le monde passe au bleu et beige comme les libéraux anglais qui vont faire la révolution aux Etats-Unis.

D.G. : Il reste des excentriques comme Robespierre, le vertueux qui défendait une coquetterie à la française. Mais la neutralité, l’égalité démocratique, va s’imposer. Robespierre avait un côté Ancien Régime avec son accoutrement, ses poudres, ses cravates extraordinaires et ses perruques. Il a été guillotiné en 1794.

Napoléon rompt-il avec cette tendance ?

D.G. : Complètement. En France, la couleur revient avec des uniformes absolument hallucinants qui vont rendre jaloux l’Europe entière. Là, on y va carrément avec des dorures, des fourragères, les fanfreluches. C’est un feu d’artifice, et ça donnera des idées à tous les pays non démocratiques. Louis XVIII, qui avait du mal à tenir debout, se fera mettre des épaulettes pour ressembler à un soldat descendant de son cheval.

F.G. : C'est avec Louis-Philippe que l'on revient à un modèle bourgeois dans lequel le noir s'impose. Même si, comme pour Napoléon III, il met des pantalons rouges garance quand il est en uniforme. Avec Adolphe Thiers, le premier président de la IIIe République, le noir s'impose pour le haut et pour le bas. C'est le bourgeois dans toute sa splendeur discrète.

Depuis la IIIe République rien ne bouge en France ?

D.G. : Ou peu. Il y a, au milieu du XXe siècle, une américanisation de l'homme au pouvoir. A partir de 1945, avec le cinéma, avec Hollywood, les hommes politiques américains adoptent un style beaucoup plus décontracté. Tout le monde se souvient de John F. Kennedy séducteur, qui s'habille sport. On laisse tomber les cols durs, on enlève la veste et on retrousse les manches. Barack Obama est l'héritier de cette école.

En France, ça ne passe pas ?

F.G. : Pas vraiment. Georges Pompidou mettait des pulls à col roulé, des mocassins… mais pour la photo officielle, il portait l’habit de soirée. Avec Valéry Giscard d’Estaing, traditionaliste à l’anglaise, on a plutôt reculé mais il portait un costume de ville pour sa photo officielle. Ça n’allait pas très loin.

D.G. : Au début des années 80, Ronald Reagan portait un costume prince-de-galles bleu pour se rendre à un sommet du G7 à Versailles. Et, en face, vous avez un Mitterrand impeccable, armuré en bleu foncé ou gris anthracite, c’est tellement sombre qu’on n’en sait plus rien.

F.G. : On a suivi le code américain mais dans une version coincée.

D.G. : Ça dépend qui le porte aussi. Barack Obama peut tout faire : quand il retrousse ses manches, le geste le plus sexy pour un homme, c’est à tomber à la renverse. A l’opposé, tout le monde se souvient de François Hollande pour un G8 à Camp David où il garde sa veste quand tout le monde est en chemise ou en pull.

Il n’y a rien à inventer pour l’homme politique ? Rien de possible ?

D.G. : Ils ont peur que quelque chose dépasse. Quelque chose qui choque. Droite ou gauche, ils mettent le même costume, la même chemise et la même cravate. Même Marine Le Pen s’attache à donner une image d’elle rassurante, c’est la voisine de bureau, la DRH. Son père était un «voyou», il pouvait mettre des blazers aux couleurs invraisemblables, des pochettes incroyables, il s’en foutait complètement.

Du coup, il n’y a pas de différence entre la droite et la gauche ?

D.G. : En 2012, vous avez des photos très étonnantes. Quand David Cameron, Premier ministre conservateur, reçoit François Hollande qui vient d’être élu, ils ont le même costume, la même chemise avec le même col et la même cravate bleu foncé. Il n’y a que la Légion d’honneur du président français pour faire la différence.

F.G. : On peut observer des différences jusque dans les années 70, avec le costume de velours. Il y avait les vestes à grands carreaux de Georges Marchais. Il avait des vestes de prolo endimanché. Après, ça devient compliqué de voir une différence. Jack Lang a apporté une touche distinctive en profitant de la liberté que lui laissait son portefeuille de ministre de la Culture. Il pouvait porter des chemises vichy rose avec un col anglais, une incongruité, mais ça passait.

Le degré de liberté est égal à zéro ?

D.G. : Pour les hommes, oui. Maintenant, il ne faut pas oublier que pour les femmes, il y a aussi une impossibilité. Souvenez-vous de l’accueil de Cécile Duflot quand elle est venue à l’Assemblée avec une robe à fleurs. C’est «le toujours trop ou pas assez», dont me parlait Elisabeth Guigou. Ces messieurs ne l’ont pas loupé. C’était ahurissant. D’où, la confrérie des tailleurs pantalons qui a été une bénédiction pour les femmes de pouvoir.