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CONTEXTE
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« 22 h 15 !… Un cri énorme, suivi d’un énorme silence ! On entend, tombant de très haut, un bruit de moteur. Et on écoute, angoissé… La spirale est large, la descente est lente. – C’est lui ! crie-t-on de toutes parts. À la lueur du projecteur on peut lire maintenant sur le fuselage : Spirit-of-Saint-Louis ».
En triomphant de l’océan le 21 mai 1927, Charles Lindbergh réalisait la première traversée en solitaire sans escale de l’Atlantique en aéroplane, reliant, en 33 heures et trente minutes, New York à Paris. Il battait également au passage le record du monde de distance sans escale détenu par les aviateurs Costes et Rignot, avec 5 393 kilomètres sur le parcours de Paris-Djask.
Au Bourget,le terrain fut aussitôt envahi par une foule délirantese ruant vers l’endroit où l’appareil s’était posé. « La police et la troupe ne peuvent rien contre l’élan d’enthousiasme de ces milliers et milliers de spectateurs déchaînés et les barrières de fer sont renversées sous une poussée irrésistible », rapportait la Croix dans son édition du 24 mai 1927. « Des douzaines de bras s’emparèrent de moi, de mes jambes, de mes bras, de mon corps (…), c’était comme si j’allais me noyer dans une marée humaine », écrira plus tard le pilote.
Et pourtant, peu de gens croyaient aux chances de ce jeune homme de 25 ans, originaire du Michigan. L’aviation en était à ses débuts et les hommes d’affaires de Saint-Louis avaient réfléchi plusieurs mois avant de financer le projet fou du jeune transporteur de la poste aérienne.
L’avion, baptisé « Spirit of Saint Louis », avait été construit en deux mois par la société Ryan Airlines de San Diego. Il s’agissait d’aller vite car le prix de 25 000 dollars, proposé par un riche hôtelier, attirait les candidats à l’exploit. D’ailleurs, 12 jours avant le départ de Lindbergh, deux aviateurs français, Charles Nungesser et François Coli, avaient disparu en tentant la traversée…
« Je viens d’entrer dans ma cellule de condamné à mort. Si j’arrive à Paris, c’est qu’on m’aura gracié », avait déclaré Charles Lindbergh le 20 mai, juste avant de prendre l’air sur l’aérodrome de Roosevelt Field à New York.
Extrait de l’émission « Mystères d’archives : 1927, Lindbergh traverse l’Atlantique »
À plusieurs reprises, « l’aigle solitaire » avait pensé faire demi-tour en raison de conditions météorologiques exécrables. – La Croix fera d’ailleurs un récit détaillé de cette traversée difficile au lendemain de son exploit. – Mais outre sa ténacité, c’est grâce à sa maîtrise de la toute nouvelle navigation aux instruments que l’aviateur devait son exploit. Sur son tableau de vol, figuraient l’un des premiers contrôleurs de vol et un compas à induction terrestre qui lui donnaient une incontestable supériorité sur ses malheureux prédécesseurs.
Le pionnier de l’aviation moderne, décédé le 26 août 1974 d’un cancer, a cependant toujours exercé un regard critique sur cet essor. Il est même allé jusqu’à s’opposer, en 1971, au projet de construction de l’avion supersonique Concorde qu’il jugeait trop bruyant et polluant.
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ARCHIVES
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De New York au Bourget. Lindbergh a réussi ce merveilleux exploit en trente-trois heures
(La Croix du 24 mai 1927)
Dès la fin de l’après-midi de samedi, maints curieux, escomptant l’arrivée de Lindbergh, se rendent à l’aéroport, cependant que, à la fenêtre centrale du bâtiment de la direction, drapeaux américains et français flottent au vent d’Ouest : le vent qu’il faut au courageux aviateur, parti tout seul voici trente heures, pour un vol de 6 000 kilomètres.
Des brigades d’agents arrivent en autocars et se placent en équipes renforcées pour organiser un service d’ordre qui, si serré soit-il, ne manquera pas tout à l’heure d’être tout à fait insuffisant.
Quelle barrière opposer à des dizaines de milliers de gens, dont l’enthousiasme s’accroît à mesure que l’heure approche, l’heure où l’on verra dans le ciel parisien les ailes argentées du Spirit-of-Saint-Louis.
Enthousiasme ? Oui, certes ! Mais il est tempéré, alourdi même par d’angoissants souvenirs. Car c’est de là qu’il est parti l’Oiseau-Blanc. Et plus d’un doigt désigne dans le ciel clair du joli crépuscule, le point de l’espace où, l’autre dimanche, Nungesser et Coli ont disparu pour ne plus jamais revenir peut-être…
9 heures ! Il y a plus de 50 000 personnes stationnant sur l’aérodrome. Sur cette foule, impatiente et sans cesse grandissante, le protecteur du Bourget promène un rayon pâle encore, mais que la nuit qui tombe va foncer peu à peu.
Taxis, autocars, voitures particulières amènent, dans un bruit assourdissant de trompes et de klaxons, de nouveaux curieux. De grands remous agitent la foule et la rumeur se répand, s’amplifie : On l’a signalé au-dessus de Cherbourg… On l’a vu passer à Louviers. Dans quelques minutes il sera là…
En attendant, des aviateurs français multiplient les acrobaties au-dessus de la foule intéressée.
Les phares maintenant fouillent le ciel, où toutes les deux minutes, le panache rouge d’une fusée va s’épanouir dans les étoiles.
22 h 15 !… Un cri énorme, suivi d’un énorme silence ! On entend, tombant de très haut, un bruit de moteur. Et on écoute, angoissé.
Le phare du Bourget cherche dans l’air et, tout à coup, son faisceau lumineux ralentit pour accompagner maintenant l’avion qu’il a pris dans sa zone d’éclairage.
La spirale est large, la descente est lente. – C’est lui ! crie-t-on de toutes parts.
Quelques secondes encore et, magistralement, face au vent, l’avion qui vient de franchir en trombe Terre-neuve, l’Atlantique, l’Irlande et l’Angleterre, se pose impeccablement à la fois sur les roues et la béquille.
C’est bien lui, car à la lueur du projecteur on peut lire maintenant sur le fuselage : Spirit-of-Saint-Louis.
Le terrain est aussitôt envahi par une foule délirante qui se rue vers l’endroit où l’appareil s’est posé. La police et la troupe ne peuvent rien contre l’élan d’enthousiasme de ces milliers et milliers de spectateurs déchaînés et les barrières de fer sont renversées sous une poussée irrésistible.
Au spectacle de cette vague humaine déferlant au-devant de lui, sans conscience du danger qu’elle court, l’aviateur n’a que le temps de couper les gaz.
Mais déjà, aux cris enthousiasme se mêlent des cris de douleur. Des gens ont été renversés et piétinés dans cette folle ruée. Les ambulances emporteront tout à l’heure une dizaine de blessés dans les hôpitaux parisiens.
Des hommes et des femmes s’accrochent aux ailes de l’avion qui vient à peine de s’arrêter, et Lindbergh, inquiété par tant d’enthousiasme, hésite à sortir de sa carlingue.
Heureusement, le commandant Weiss du 34e régiment renouvelle le coup classique de la substitution. Pour épargner à Lindbergh les fatigues, et même le réel danger d’une ovation trop mal contenue, il désigne brusquement aux acclamations de la foule un mécano anonyme. :
¿Qué hora es?8th grade is learning how to tell time in Spanish. I’m so happy with the outcome. Hands-on activity!… https://t.co/umbBCG64Ky
— Señora Coku-Rakaj Tue Oct 08 21:13:54 +0000 2019
– Bravo ! bravo ! fait-il en lui faisant d’ostensibles amitiés.
Aussitôt, le faux Lindbergh est empoigné, hissé sur des épaules et porté en triomphe. Ce qui permet au vrai Lindbergh de sortir enfin de son avion.
Monsieur Jean Claude d’Ahetze, ancien mécanicien d’aviation, se souvient avec émotion de l’arrivée de Charles Linbergh au Bourget le 21 mai 1927.
Il a levé sa trappe sous laquelle il est resté courbé sur ses commandes et sur ses cartes pendant trente-trois heures trente. Et il tend les bras pour qu’on l’aide à sauter à terre.
Il est coiffé, humour américain ! non plus de son casque fourré, mais bien d’un chapeau de paille.
Blond, mince et grand, type de suédois américanisé. Il porte sur son visage la double marque de l’extrême joie et de l’extrême fatigue.
Les joues sont rouges, les yeux un peu injectés de sang. Pas de lunettes ni de gants. Pas de combinaison d’aviateur non plus ! Mais seulement, sous un léger imperméable, un complet de ville.
Tandis qu’on l’entraîne dans une petite pièce du bâtiment de l’Air-Union, Charles Lindbergh regarde un instant son avion dont l’entôlage est criblé déjà de déchirures. Il faudra tout à l’heure renforcer autour du Spirit of Saint-Louis le carré des soldats et des gardes. Trop de vandales voulaient emporter un souvenir de cette formidable traversée.
Lindbergh est maintenant effondré sur une chaise. On lui apporte une tasse de café au lait et trois tartines de pain. C’est avec difficulté que Lindbergh boit, car il ne peut serrer l’anse de la tasse dans sa main ni desserrer les lèvres.
Puis, tandis que la foule réclame le héros à M. Myron T. Herrick, ambassadeur des États-Unis, qui s’est montré à la fenêtre du pavillon central, Charles Lindbergh est conduit dans une automobile qui, discrètement, rentre dans Paris et le mène à l’ambassade où il tombe littéralement, après un bain, sur le lit qu’on lui a préparé.
– Il y a une chose qu’il me faut dire avant tout. On parle un peu partout de ma chance. La chance ne suffit pas en pareille matière. En fait, je disposais de ce que je considérais et de ce que je considère encore comme le meilleur aéroplane possible pour faire la traversée aérienne de New York à Paris. J’avais ce que je considère comme le meilleur moteur et aussi les meilleurs instruments. Je crois m’en être bien servi.
Je n’ai pas à me plaindre du temps. Il n’a pas été naturellement celui que m’avaient prédit les météorologues. En certains endroits, il a été pire que qu’on ne me l’avait annoncé ; en d’autres, il a été meilleur. Pourquoi ne pas l’avouer ? À un moment donné, il a été si exécrable que j’ai eu envie de revenir en arrière. Mais je me suis dit : « Bah ! si je rebrousse chemin, je trouverai en arrière quelque chose d’aussi mauvais qu’en avant. Autant continuer ». Et je continuai vers Paris.
Le temps qui devait être beau sur presque tout le chemin, se gâta presque dès le départ. Et le long de la côte, je tombai dans le brouillard et la pluie. Après avoir passé Terre-Neuve, vers la fin de la journée de vendredi, ça alla de mal en pis. Et ça continua jusqu’après le lever du soleil.
Puis vint le verglas. Et le verglas est la pire chose qui puisse advenir à un aviateur. En quelques minutes, la couche de glace qui recouvre l’appareil peut vous obliger à descendre. En vain, j’essayai de faire un détour, de contourner la tempête de neige fondue. Je descendis jusqu’à 3 mètres de la surface des vagues, puis je remontai à 3 000 mètres. Ce n’est que dans la matinée que la tempête cessa et que je pus me maintenir à une hauteur moyenne.
J’avais vu juste un bateau en perdant de vue Terre-Neuve et j’en aperçus quelques autres au milieu de la tempête. Mais pendant le reste du voyage, jusqu’à ce que j’approche de l’Irlande, je n’en entrevis aucun.
Parlons, si vous le voulez bien, de mon périscope. Il ne m’a donné aucun ennui, mais ne m’a pas beaucoup servi. La vue que j’avais sur ma droite et sur ma gauche était largement suffisante pour naviguer sur l’Océan. Mon périscope avait simplement pour but de me permettre de voir un obstacle devant moi. Il m’a été très utile pour démarrer à New York et pour atterrir à Paris. En dehors de là, je le répète, j’y ai eu très peu recours.
Devant moi était ma carte. Devant moi aussi mes instruments, me montrant, pratiquement à chaque minute, où je me trouvais. Ces instruments étaient suffisants pour me permettre de ne pas être déporté à plus d’une centaine de milles. Et cela pouvait aisément se corriger. Mon vrai conducteur fut, non pas mon compas magnétique, mais un compas d’induction terrestre (dérivomètre). Il me guida si bien que j’atteignis la terre irlandaise à trois milles exactement du point théorique que je m’étais fixé.
C’est la nuit qui a été la plus dure. D’abord, le froid se fit sentir. Mais je m’étais préparé au froid. Je n’avais qu’un costume ordinaire d’aviateur, mais les vitres de la carlingue me protégeaient.
Ensuite, la tempête dont j’ai parlé plus haut, vint m’assaillir. J’essayai de m’élever au-dessus d’elle et grimpai jusqu’à plus de 3 000 mètres. Je croyais avoir réussi. Mais vers le lever du jour, les nuages s’élevèrent. Avec les nuages vint le verglas. Et ce verglas s’attacha à l’aéroplane. Cela me causa une réelle anxiété. Et je me demandai : « Faut-il retourner ? ».
Puis je me décidai, coûte que coûte, à continuer. C’était trop tard pour revenir en arrière. D’ailleurs, le moteur marchait à la perfection. Il faisait du 100 milles à l’heure. Cela me réjouit le cœur.
Tant que le moteur tournera, me dis-je, je ne risque rien. C’est devant soi qu’il faut aller.
Au début de l’après-midi, j’aperçus toute une flottille de bateaux de pêche. C’étaient les premiers que je voyais depuis Terre-Neuve. Sur certains d’entre eux, je ne pus distinguer aucun être humain. Mais sur d’autres je vis quelques marins. Je m’approchai d’eux en volant, jusqu’à presque toucher leur mâture. Et de leur crier : « Est-ce que c’est le bon chemin pour aller en Irlande ? »
Ils parurent me regarder avec stupéfaction. Peut-être ne m’entendirent-ils pas. Peut-être est-ce moi qui ne les entendis pas. Peut-être pensèrent-ils qu’ils avaient affaire à un fou ?
Une heure après avoir vu la flottille, j’aperçus pour la première fois la terre. Je ne me rappelle pas exactement quelle heure il était. Je crois qu’il devait être un peu moins de 4 heures de l’après-midi.
C’était une terre rocheuse. Mon examen me fit supposer que c’était l’Irlande. C’était, en effet, bien l’Irlande.
Je ralentis et volai très bas, afin de bien étudier le pays et m’assurer que je ne me trompais pas. Quel coup d’œil magnifique ! Quelle splendide nature ! Et quelle joie de n’avoir pas fait erreur !
Le reste n’était plus qu’un jeu d’enfant. Ma route était soigneusement marquée sur la carte, à partir du point où je devais atteindre la côte irlandaise.
Je volai très bas au-dessus de l’Irlande, quoique personne ne parût faire attention à moi. Je volai aussi bas au-dessus de l’Angleterre. Je franchis ensuite la Manche, jusqu’à ce que j’atteignisse une nouvelle terre. Cette fois, c’était bien le continent. Je passai un peu à l’ouest de Cherbourg. Je cherchai, en remontant un peu au Nord, la Seine et suivi son cours.
Quand je ne fus plus qu’à une demi-heure de Paris, je commençai à apercevoir les fusées et les phares du champ d’aviation. : « Tout va bien » me dis-je.
J’entrevis ensuite une immense enseigne lumineuse qui se dressait verticalement dans la nuit. Et je supposai que ce devait être la tour Eiffel. Je fis le tour de Paris et cherchai le Bourget. Je voyais bien un flot de lumières en un certain endroit, mais je ne distinguais pas de hangars. J’envoyai bien des signaux avec mon appareil Morse, mais je crois que personne ne les aperçut. Mon erreur – pourquoi ne pas l’avouer ? – est d’avoir calculé que Le Bourget était au nord-est de Paris, alors qu’il est franchement à l’est. Je craignais de me tromper de champ d’aviation.
« Il ne faudrait pourtant pas, pensais-je, arriver là où on ne t’attend pas ».
Je regardai s’il n’y avait pas d’autre champ d’aviation et remontai vers le nord-est. Je ne vis rien. Alors je décidai de descendre là où j’avais aperçu le premier flot de lumières et, volant très bas, je distinguai les lumières d’un nombre considérable d’autos. « Ça doit être ça » dis-je. Et je descendis tout à fait.
En triomphant de l’océan, Lindbergh a battu le record du monde de distance sans escale, détenu par les aviateurs Costes et Rignot avec 5 393 kilomètres sur le parcours de Paris-Djask.
La distance qui doit être inscrite à l’actif de l’aviateur américain sera comprise entre 5 800 et 6 000 kilomètres.
Le raid New York-Paris effectué par Lindbergh en 32 heures 23 m représente une vitesse moyenne de 175 à 179 kilomètres à l’heure suivant l’appréciation de la distance parcourue.
Un des premiers télégrammes que reçut Charles Lindbergh fut celui de sa mère.
Elle était chez elle, entourée de quelques amis quand elle apprit que son fils avait heureusement traversé l’Atlantique.
Elle reçut la nouvelle avec peu d’émotion et dit simplement : « Je suis bien contente que mon garçon soit sauf ; je suis heureuse aussi qu’il soit le premier à avoir réussi, mais c’est surtout de le savoir sauvé qui me fait plaisir ».
En hommage à la nation américaine, pour l’admirable exploit accompli par son vaillant fils, le drapeau des États-Unis a été hissé sur la présidence du Conseil, rue de Rivoli, et sur le palais des affaires étrangères, quai d’Orsay.
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