Pierre Notte nous a habitués à un théâtre musical et poétique, fait de petites fables acides et horrifiques, souvent sur le fil. L'artiste funambule prend tous les risques avec son nouveau spectacle, « Je te pardonne (Harvey Weinstein) », cabaret post #MeToo. Rien que par son titre provocateur et son argument pour le moins osé - un procès fantasmé du producteur-prédateur qui se transforme peu à peu en femme -, ce projet s'annonçait périlleux… Malgré ses bonnes intentions et quelques fulgurances, le résultat est décevant, comme on le redoutait.
Voulant éviter à tout prix d'être équivoque et de montrer une quelconque empathie pour son « anti-héros », Pierre Notte/Harvey fait « corriger » chacune de ses interventions par les deux personnages féminins (incarnant tour à tour avocates célèbres, victimes, etc.). Les réactions indignées et les quolibets après chaque réplique de « l'accusé » finissent par être redondants, entravent l'action et brouillent le portrait acide de l'ogre transformiste.
Plus généralement, le grand défaut du spectacle est son côté fourre-tout militant. Pour dénoncer le mâle alpha toxique, l'auteur-comédien-metteur en scène multiplie les angles d'attaque : non content de convoquer toutes les figures négatives contemporaines (Polanski, Matzneff…), il fait un sort à la mythologie (Hélène de Troie) et aux contes (Harvey est grimé en roi de « Peau d'Âne »), décrypte les aléas du plaisir masculin et féminin, évoque la question du genre, fustige les violences faites aux femmes… Au risque de nous servir une « bouillabaisse », comme dit un des personnages…
Pierre Notte tente bien d'instiller des digressions humoristiques, des décalages, mais à force de coller à l'actualité, de trop vouloir asséner des messages, la fable devient un patchwork de slogans. Seules les chansons, plus énigmatiques, instillent drôlerie et mystère, notamment cette ballade troublante posant la question : « m'aimerais-tu si j'étais une femme? ».
On est d'autant plus déçu par cet « Harvey» que la forme du spectacle est irréprochable : l'artiste démontre une nouvelle fois sa capacité à occuper l'espace (la grande scène de la salle Renaud-Barrault) avec presque rien - quelques accessoires et costumes chatoyants ; à créer une comédie musicale avec un simple quatuor d'acteurs-musiciens doués (lui-même, Pauline Chagne, Marie Notte et « L'ange du piano » Clément Walker-Viry.). Pierre Notte a voulu trop en dire, trop en faire, pour défendre son engagement...Allez, on lui pardonne.
de Pierre Notte
Théâtre du Rond-Point.
Jusqu'au 17 juin, 19 h 00. Du 18 au 26 juin, 21 h 00.