• 20/08/2022
  • Par binternet
  • 679 Vues

A Paris, avec les services de propreté<

6 heures. Un café et quelques blagues

Les rires résonnent déjà dans l’atelier de la rue de Ridder, dans le 14e arrondissement. Paris dort encore mais les agents de propreté commencent leur journée autour d’un café et de quelques blagues. Vêtu d’un gilet jaune fluorescent et d’un bonnet, Anthony s’agrippe au camion de ramassage des ordures ménagères et se laisse glisser dans le vrombissement de l’engin. Ce jeune homme à la silhouette élancée et aux cheveux mi-longs est en poste depuis deux ans. Avec son collègue, il vide les premières poubelles dans la pénombre. Les mâchoires d’acier de l’engin avalent près de dix tonnes de déchets par jour.

Les poubelles pèsent en moyenne 80 kg chacune. « À la fin de la journée, ça tire sur les bras », dit Anthony. Il a beau avoir appris les bons gestes, les muscles font mal, « surtout en fin de semaine ». Mais le plus dur, c’est la météo. « On se prend le froid, la pluie, le vent, la chaleur l’été. »

Il ramasse aussi les sacs des poubelles publiques, d’où dégouline un mélange marronnasse de pluie et d’ordures. Pas de quoi effrayer Anthony, qui sourit à une passante. Et les rats ? Une vidéo publiée par sur leparisien.fr montrant des centaines de rongeurs grouillant dans une poubelle a fait le tour des réseaux sociaux, faisant craindre une prolifération de l’animal dans Paris. « Il y a toujours eu des rats », temporise une responsable de la DPE (Direction de la propreté et de l’eau). « Dans le 14e, ce n’est pas un problème majeur, du moins chez les éboueurs. »

7 h 08. Sans eux, Paris nagerait dans un océan d’ordures

Une voiture attend tranquillement derrière le camion. Accoudé à sa fenêtre, le conducteur fume sa cigarette. L’air blasé, il patiente. Ce n’est pas toujours le cas. « On se prend souvent des coups de klaxon », raconte Thierry, 54 ans, chauffeur grisonnant et discret. « La semaine dernière, je m’étais mis devant un parking et un excité est venu me dire de me garer dans un trou de souris. Puis il m’a insulté. » Cela n’arrive pas tous les jours, heureusement. En revanche, très peu de passants se montrent reconnaissants envers les éboueurs, qui ramassent pourtant chaque année environ 1,1 million de tonnes de déchets rien que dans la capitale. Sans eux, Paris nagerait dans un océan d’ordures. « Faut faire avec », juge Thierry. Derrière le détachement affiché, une pointe d’amertume.

Il fixe une poubelle qui déborde devant lui. « Ça, c’est pénible. Certains en profitent pour fouiller et en mettre partout. On se retrouve avec des sacs éventrés. » Thierry conduit le camion avec un calme imperturbable. Circuler avec ce mastodonte dans le dédale des rues du 14e arrondissement n’a rien d’évident. Debout depuis 4 heures du matin, il aime son métier. Et il philosophe : « Au moins, en cabine, on n’a pas les odeurs. »

9 heures. « Il faut savoir prendre sur soi »

C’est la mi-journée pour les agents de propreté. Anthony repart nettoyer les trottoirs sous la pluie. Il asperge le bitume avec la lance à haute pression, tandis que Hamadi avance le véhicule, un pot de yaourt vert si étroit qu’il se faufile entre les potelets installés sur les trottoirs pour empêcher les véhicules d’y passer. Le truculent conducteur, qui habite dans le Loiret, est levé depuis 3 h 20 du matin. Consciencieux, il veille à ne pas mouiller les passants. « Un jour, j’ai trempé les chaussures d’un homme en costume, se souvient Hamadi. Il a hurlé “ça coûte 250 €, ces pompes ! T’essuies maintenant !” Et je l’ai fait !, s’amuse-t-il.Je lui ai même souhaité une bonne journée. » Il conclut l’anecdote par un adage que tous répètent à l’envi : « Il faut savoir prendre sur soi. » Anthony ne comprend pas toujours la réaction des gens. « Certes, ils paient leurs impôts. Mais des fois, ils abusent, et je m’emporte. On est là pour les aider, quand même ! »

De l’autre côté de la rue, Christian, 40 ans, crâne dégarni, petits yeux et barbichette saillante, passe le balai. Il chasse soigneusement les sacs en plastique, mouchoirs et autres emballages qui constellent le trottoir. ­Aujourd’hui, il a pris son pantalon K-Way pour se protéger de la pluie. « Lundi, j’étais trempé. J’avais les mains congelées. Mais bon, il y a des douches chaudes à l’atelier. »

11 heures. L’heure des encombrants

A Paris, avec les services de propreté

C’est l’heure des encombrants, ces gros objets qui obstruent parfois les trottoirs. Olivier, 54 ans lui aussi, le verbe haut et le rire puissant, part en mission. Avec ses longs cheveux noirs tressés, on dirait un chanteur de reggae. Il regarde son plan de route, fait en fonction des rendez-vous pris avec les habitants souhaitant se débarrasser d’un meuble. Par exemple, une armoire au 5, rue Pierre-Larousse. « Les gens disent souvent qu’ils ont trois planches quand ils en ont 30. » Olivier marque un premier arrêt. Des cartons mouillés, des sacs-poubelles et une chaise pour enfant pourrissent au pied d’un sens interdit. Avec cette seule étape, le petit véhicule est déjà à moitié plein.

11 h 45. Étagères et roues de vélo…

À mesure que la collecte avance, des objets de plus en plus improbables s’entassent dans le camion : étagères, couvertures, roues de vélo, plaques de polystyrène, miroirs… La camionnette s’arrête de nouveau, Olivier attrape un matelas qui traînait par terre. Cette fois, ce n’était pas prévu. « C’est insupportable, s’énerve-t-il. Les gens déposent leurs vieux meubles sans prendre rendez-vous. On perd du temps. » Peu après, nouvelle halte. Pour rien. Parfois, des gens ont pris rendez-vous, et les agents de propreté ne trouvent rien à l’adresse… Arrivé au « caisson », un centre de tri fermé au public, près de la porte d’Orléans, Olivier vide son chargement dans une grande benne. Aujourd’hui, la collecte a été maigre. « Il y a des périodes lave-vaisselle, des périodes canapés, étagères, etc. C’est marrant », énumère Olivier.

12 h 30. Une déchetterie bien cachée

La matinée a été tranquille à la déchetterie Porte de Pantin, dans le 19e arrondissement. Elle est cachée derrière des murs de brique blancs sous le boulevard périphérique qui entoure Paris, perdue dans la cacophonie de klaxons : aucun panneau n’indique son emplacement. « Ici, c’est vraiment bruyant », soupire Moussa, 50 ans, agent de propreté. Avec son visage rond et ses lunettes carrées, il en fait 40. Lui préfère être ici que sous la pluie à ramasser les ordures, comme il l’a fait avant, pendant quinze ans. « Au moins, on est abrité. » Une camionnette arrive, il se dirige vers elle d’un pas lent. « Il faut constamment surveiller les gens, explique-t-il. Pour éviter qu’ils se blessent ou vérifier qu’ils trient correctement. » Porter de gros réfrigérateurs ou des meubles hauts de deux mètres demande de la force. « Heureusement qu’on finit à 13 heures », sourit-il.

La déchetterie est très fréquentée. En 2017, 10 300 particuliers et 6 400 véhicules de la mairie y sont venus. Pourtant, seuls les habitants de Paris peuvent y déposer 3 m3 maximum par voyage. Les entreprises n’y ont pas accès. Bien sûr, il y a des tricheurs. « Un jour, un homme a bloqué l’entrée et menacé de tout vider dehors, se souvient Moussa. C’est rare, mais ça arrive. » Derrière le local des employés, une porte ouvre sur un espace dédié au réemploi. Y sont entassés pêle-mêle livres, vêtements, outils de jardinage, masques et autres objets réutilisables qui seront donnés à l’association La petite rockette, puis distribués aux nécessiteux. « C’est le seul centre de tri de Paris qui fait ça », se félicite Moussa.

14 h 30. Fin de marché, début de corvée

Le marché du boulevard Brune se termine, exhibant ses montagnes de cagettes. Des sacs en plastique errent parmi les feuilles de salades, les oignons écrasés et le pain en miette, dont se délectent des hordes de pigeons. « C’est plus propre que d’habitude », affirme pourtant Katia, balai et sac-poubelle à la main. « Quand c’est le marché de vêtements, on passe notre temps à courir après les papiers qui s’envolent. » Les commerçants doivent déposer les déchets verts dans les bacs marron réservés à cet effet. S’ils y jettent d’autres déchets, ils doivent payer une amende. En revanche, jeter des légumes par terre ne les expose pas à cette sanction. Une dizaine d’employés s’activent pour nettoyer le boulevard. L’organisation est bien huilée. « Il faut faire ça au plus vite, sinon ça fait dégoûtant, ajoute Katia. On en a pour une heure et demie. »

16 h 30. La police de la propreté

La brigade anti-incivilité part en patrouille. Cette section de la DPSP (Direction de la prévention, de la sécurité et de la proximité) mise en place à l’automne 2016 veille à la salubrité de la ville de Paris. Ses 1 900 agents peuvent verbaliser les passants pour jet de mégot, épanchement d’urine, déjection canine, affichage et dépôt sauvages. Serge Vitulano, seize ans de carrière, et Angélique Ferez, novice, sillonnent cet après-midi les 6e et 14e arrondissements. Ils sont en civil. Cette trentenaire blonde à l’air sportif et ce brun trapu entre deux âges ont l’allure d’un couple en train de se promener.

16 h 31. 68 € le mégot

À peine ont-ils commencé leur ronde qu’un homme au manteau gris jette sa cigarette sur le trottoir, tout en discutant avec un ami. « Papiers, s’il vous plaît », l’interrompt Serge, en enfilant le brassard jaune fluo « sécurité mairie de Paris » obligatoire pour verbaliser. L’intéressé marque un mouvement de surprise. Il ne comprend pas le français, il est indien. Angélique s’adresse à son ami : « Faut lui dire qu’il devra payer 68 € ». Elle lui montre l’endroit où écraser sa cigarette, sur le bord de la poubelle, et mime le geste d’éteindre une cigarette. L’homme ne discute pas. Serge formalise le PV sur son smartphone, mais la géolocalisation marche mal et l’appareil mouline. Pour ne pas énerver l’auteur de l’infraction, il lui donne un récépissé en papier.

16 h 52. « Je suis hypercivique, en vrai »

De nouveau, un homme en costume lâche son mégot sur le trottoir. Pris en flagrant délit, il reconnaît les faits : « Je sais bien, je sais bien… » Ses collègues le chambrent. « Moi je t’aurais mis 200 € », pouffe l’un d’eux en filmant la scène. « Et hop ! Sur Instagram. » Angélique et Serge rient aussi, la carte d’identité du jeune homme à la main. « Il n’est déjà pas beau, vous ne l’aidez pas là », plaisante un autre. Le verbalisé feint de se défendre : « Je suis hypercivique en vrai ! Bon, pas là, j’avoue. » Pas de quoi émouvoir les agents. « En plus, je défends tout le temps les flics », sourit-il. Magnanime, il juge la verbalisation « nécessaire » pour rendre la ville plus propre. « Mais il faudrait que ce soit pour tout le monde. Moi, je ne vous vois jamais à Paris. » « Normal, on est en civil », réplique Serge en lui tendant le PV. La brigade en a distribué près de 110 000 en 2017. L’échange se conclut par une poignée de main. « Les gens commencent à utiliser les poubelles », se réjouit Serge. Les mégots continuent pourtant à joncher le sol et à encombrer les caniveaux.

17 h 20. « Notre mission, ce n’est pas les amendes »

Angélique interpelle un vendeur à la sauvette à la station de métro Edgar-Quinet. « Vous remballez tout, et on se quitte là », ordonne-t-elle avec assurance. Un carton plein de sacs en plastique usagés posé par terre la fait changer d’avis. Comme elle n’est pas encore assermentée, c’est Serge qui dresse le procès-verbal pour souillure.

Emmitouflé dans une parka bleue, l’intéressé reste muet et tend ses papiers. Dans le 6e arrondissement, près d’une supérette, une poubelle ouverte attire l’attention des agents. Un filet de jus d’orange et des peaux de fruits vermeilles moisissent à l’intérieur. Serge tance le propriétaire de la supérette : « Ça n’a rien à faire sur le trottoir.En plus, la poubelle est très sale, ça gêne le travail des éboueurs. » Pour aujourd’hui, ce sera juste un avertissement. « Parfois, on tolère, commente Serge, l’air satisfait. Les gens comprennent leur faute et ne la refont pas. C’est ça, notre mission, pas de distribuer des amendes.»

17 h 50. « La limite de notre métier »

En repassant devant la station Edgar-Quinet, les agents constatent que le vendeur à la sauvette qu’ils avaient délogé un peu plus tôt s’est réinstallé. « C’est la limite de notre métier », avoue Serge, mi-résigné, mi-amusé. Angélique et lui continuent leur ronde dans le froid et le jour qui décline.