A chaque virage, la route devient plus difficile, et c’est en roulant au pas qu’on s’enfonce dans le massif de l’Aspromonte, avec la sensation de pénétrer une terre inviolée. Bientôt, à plus de 1 000 mètres d’altitude, s’étend un grand complexe désert, qui a brièvement abrité un sanatorium au début du XXe siècle. La présence de ces bâtiments accentue l’impression d’une étrangeté vaguement inquiétante, tout comme le crucifix de Zervo, non loin de là, autour duquel plane le sentiment que l’espace et même le temps se sont subtilement modifiés.
Si on adopte le point de vue du géologue, l’Aspromonte apparaît comme l’ultime résurgence des Alpes, à la pointe sud de l’Italie. Du point de vue administratif, cette microrégion est un parc naturel depuis 1989. Le promeneur, lui, se sent un peu perdu dans cette forêt saturée de légendes brumeuses et de drames bien réels.
C’est ici, dans cette nature en apparence sauvage et désertée, que la ’Ndrangheta, la mafia calabraise, considérée comme la plus dangereuse structure de crime organisé au monde, prend sa source. C’est vers le sanctuaire voisin de la Madonna de Polsi, sans doute construit sur le site d’un antique temple de Perséphone, déesse des enfers et du retour du printemps, qu’elle dirige ses prières. Et c’est à l’ombre du crucifix de Zervo que furent relâchés contre rançon des dizaines de captifs, dans les années 1970-1980.
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— David Mannock Tue Jan 05 21:15:28 +0000 2021
Il a fallu la tuerie de Duisburg, en Allemagne (six morts, le 15 août 2007), pour que le grand public prenne la mesure des ramifications internationales de l’organisation. Cette nuit-là, dans les poches d’une des victimes, Tommaso Venturi, qui venait de fêter ses 18 ans, les enquêteurs font une curieuse découverte : une image pieuse dont les bords ont été brûlés. Leurs collègues italiens leur permettront bientôt d’interpréter ce signe. Le jeune homme venait d’être initié au sein de la ’Ndrangheta, sans doute dans l’arrière-salle du restaurant. Cette affaire renvoyait aux pentes de l’Aspromonte…
Pour remonter aux origines de cette histoire criminelle, où les traditions ancestrales se sont mêlées aux rites maçonniques avant d’assimiler les mécanismes de la mondialisation, il fallait un guide. L’écrivain Mimmo Gangemi, enfant de Santa Cristina d’Aspromonte dont l’œuvre romanesque vaut tous les traités d’ethnologie locale (trois de ses romans policiers ont été traduits en français par les éditions du Seuil), s’est prêté à l’exercice. « Je comprends leur mentalité. J’ai grandi ici, j’ai respiré le même air qu’eux », explique doucement cet homme de 70 ans. C’est lui qui nous a conduits devant la croix de Zervo, pour nous ouvrir quelques pistes de compréhension.
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