• 17/12/2022
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L’habit fait-il le puissant ?<

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L’habit fait-il le puissant ?

Le choix d’un vêtement, la manière de le porter racontent une histoire. Si l’habit fait le moine, fait-il le puissant?L’habit fait-il le puissant ? L’habit fait-il le puissant ?

Sarah Jollien-Fardel
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La mode existe parce que la société nous met tous en scène, et que sur cette scène sociale nous devons composer avec notre propre image et venir à la rencontre des autres regards. Voilà pourquoi la mode est chose si grave… », dit la philosophe Marie-José Mondzain dans son livre « La mode ».

Aujourd’hui, la puissance a pris une place capitale dans notre société. Les vêtements ont un langage codé qui en dit plus long qu’on ne l’imagine. Comme le formulait Honoré de Balzac : « La puissance ne consiste pas à frapper fort ou souvent, mais à frapper juste. »

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Il faudrait se mettre d’accord sur ce qu’est la puissance. Nous n’y parviendrons pas en trois lignes. Spontanément, on l’imagine financière. Elle est aussi décisionnelle, sportive, anarchiste, politique ou religieuse. Elle est une forme de prise de pouvoir. Elle est liberté, luxe. Dans chaque milieu, elle a ses codes intrinsèques. Les habits, l’attitude et foule de détails infimes permettent de la deviner et de la démontrer.

Alexandre Fiette, conservateur du Musée d’art et d’histoire de Genève, spécialiste des questions de mode, explique l’importance des détails: « La puissance se lit dans les détails. Grâce à eux on obtient la reconnaissance d’un groupe. Ces mêmes détails sont incompris par les non-initiés ou même ridicules pour un autre groupe. »

Le sémioticien, Luca Marchetti, professeur à la Head, à l’IFM de Paris entre autres écoles, enchérit : « Ces règles sont négociées, en temps réel, dans un groupe. Dans ce contexte ces signes ont un sens. » M. Fiette donne alors un exemple pratique et éloquent de ces codes muets : « Dans les cités, une certaine catégorie de jeunes aime les vêtements d’un blanc immaculé. Dans une autre Cour, celle de Louis XIV, le blanc immaculé signifiait qu’on ne travaillait pas, donc qu’on avait du pouvoir sur le peuple. Ces codes ont traversé les siècles et, aujourd’hui, sont apparentés au trafic de drogue. Mais ils symbolisent la même chose: le pouvoir. »

Le costume, emblème du pouvoir

« Un vêtement, quasi inchangé depuis la fin de la Révolution française, est un emblème de la puissance: le costume pour homme. Il personnifie la puissance sur la place publique, dans le monde financier, juridique et politique », explique Elizabeth Fischer, professeur et responsable de la filière mode et accessoires de la Head à Genève. il donne plus que le change, il s’impose comme marque autoritaire.

L’habit fait-il le puissant ?

« Souvenez-vous de la tenue d’Eveline Widmer-Schlumpf le jour de son élection au Conseil fédéral. » Immédiatement, l’image se rappelle à nos souvenirs, la silhouette frêle de M me Widmer-Schlumpf, le salut à trois doigts, son costume gris anthracite et une chemise blanche. Neutre et masculine. Comme si l’accession au pouvoir n’était consentie qu’avec ces attributs virils là.

« Les femmes qui accèdent au pouvoir portent le costume et même s’il est taillé pour leur morphologie, il fait toujours référence au costume masculin tant dans les teintes (sombres), la matière (le lainage souvent) et même dans le positionnement des poches », souligne Elizabeth Fischer.

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De fait, toujours, la respectabilité politique et dirigeante ne sait que faire du vestiaire féminin. Parce qu’une image vaut mille mots, M me Fischer donne encore à voir avec une apparition de la ministre française Cécile Duflot à l’Assemblée nationale – une robe à fleurs bleue et blanche. Elle fut sifflée. Une manigance de M me Duflot, peut-être, une démonstration que l’ascétisme vestimentaire demeure la norme dans les sphères dirigeantes.

Jack Lang, en 1985, fut lui aussi chahuté lorsqu’il apparut dans la tribune de l’assemblée, un blazer à col mao, donc sans cravate. La cravate ! Incarnation du pouvoir ou pas ? Elle est courtoise, la cravate, mais aussi passe-partout, dénote un certain sérieux, une rigueur obligée dans certains milieux professionnels, mais est-elle statutaire du pouvoir ?

La cravate, le nœud de l’affaire -

« Isolée, elle ne signifie rien. Elle témoigne une distinction puissante lorsqu’elle est en harmonie avec le reste de la tenue: la qualité de la veste, du pantalon, la chemise et son col, les chaussettes et chaussures. Chaque détail compte. Tout est dans la forme du nœud, de préférence le « four in hand », la longueur (à la limite du haut de la ceinture), la largeur (9 cm) », commente un financier italien qui souhaite rester anonyme.

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Il glisse, en passant, que le nœud de cravate le plus parfait du monde est celui de Barack Obama. « Trop parfait. Je rêve de voir un pli. » Adrian Reber, styliste de sa marque éponyme, professeur et responsable du secteur mode des arts appliqués à La Chaux-de-Fonds, observe : « La cravate est le seul accessoire masculin avec lequel l’homme peut jouer. Avant il y avait la montre, maintenant c’est moins caractéristique. » La montre, objet relevé également par Alexandre Fiette et notre intervenant financier italien domicilié à Genève qui attestent en chœur que la montre n’a plus autorité dans les codes typiques de la puissance « sauf si le modèle est rare ou dégage une aura de valeurs humaines et de savoir-faire précieux ».

Le sportswear, l’insoumission au travail

Et le sport ? C’est l’incarnation incontestable de la puissance physique. Les spécialistes remarquent qu’il est de plus en plus présent dans la vie quotidienne mais aussi sur les podiums des défilés de mode. « Le sport est un des domaines où on observe le mieux la puissance. Il est, aujourd’hui, une métaphore de l’individu dans notre société ultraperformante », commente le sémiologue italien Luca Marchetti.

Il analyse pour nous ces détails que nous ne percevons pas vraiment – les sinusoïdes sur les baskets, les renforts sur les épaules, les muscles mis en évidence, la technicité des fibres. « Un matériel de sport aussi performant n’a pas de réelle valeur pour un non-professionnel. C’est une analogie entre le sport et la vie quotidienne. Cela démontre qu’on peut recevoir des coups, qu’on doit se protéger de l’autre. Mais, cela dit aussi que l’individu, malgré la pluie, le vent, la douleur, les affres et les confits, résiste et persiste. L’homme est résilient. »

Il souligne également que ces tenues décontractées qu’on enfilait uniquement chez soi font passer un message. « Ces tenues disent que l’aisance, le confort et le temps libre ont une place importante dans nos vies. C’est une forme de puissance, car par ce choix on refuse de se soumettre et de se consacrer uniquement au travail, comme les générations passées. »

Le « genderless  », la prisede pouvoir sur soi -

Et la nouvelle génération ? « Elle efface, gomme l’évidence jusqu’à son appartenance genrée. Dans la musique pop, Christine and the Queen est un exemple de ce mouvement. Elle décide de ne pas porter de signes d’appartenance sexuelle. C’est encore une forme de prise de pouvoir sur soi et sa nature anatomique », ajoute Luca Marchetti.

Alessandro Michele, messie à l’allure christique, directeur artistique de Gucci depuis 2015, révolutionne, lui aussi, complètement les genres. Sa mode est « genderless », dit-on. Les hommes, graciles, arborent des chemises en dentelles transparentes, des costumes à fleurs et défilent avec les femmes. Alessandro Michele, malin commercial ou devin sociétal ?

On a très envie de penser que son génie vient de sa capacité à observer le monde, à le mâcher, le digérer, puis le restituer, par le vêtement, dans une vision prophétique d’une certaine société. Cela n’a rien à voir avec la puissance virile, pensez-vous. C’est vrai, mais n’est-ce pas aussi un pouvoir que la remise en question des codes établis ?

« Vous savez, la puissance, c’est aussi avoir de la considération pour l’autre, c’est une forme d’élégance rare dans notre société. Et une forme de puissance », conclut Alexandre Fiette. Vous ne choisirez plus jamais votre tenue par hasard. Surtout si vous avez un message à faire passer.

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