Alors que la Fête du cinéma bat son plein jusqu'au 3 juillet, on célèbre aussi cette année les 20 ans du film Matrix. L'occasion de se pencher sur la vision de la mode - du futur - que se fait le 7e art. Tenues extravagantes, coiffures déjantées et accessoires futuristes : les films de science-fiction ont souvent montré des looks hors du commun.
Pour Jean-Michel Bertrand, consultant à l’Institut français de la mode (IFM), ces longs-métrages ont même impacté les tendances d’aujourd’hui : «Les costumiers sont des créateurs de mode dans la mesure où ils sont cités par tous les grands couturiers. Que ce soit Mad Max qui inspire les blousons d’Hedi Slimane chez Saint Laurent ou Star Trek mis à l’honneur par Gucci, le cinéma est un vivier d’inspiration.»
Pourtant, quand on regarde les films de science-fiction les plus récents, le look du futur ressemble avant tout à un style de survie, quasiment unisexe. À l’image des costumes des héros de Hunger Games (2012), Divergente (2014) ou encore Le Labyrinthe (2014), des films post-apocalyptiques pour ados, les tenues reflètent avant tout la tendance normcore et gender fluid des années 2010. Ce plongeon dans les tendances actuelles pour imaginer le look du futur est-il spécifique à cette période des années 2000 ou a-t-elle toujours été présente chez les costumiers ? Décryptage.
Dans les années 1950, à l’heure des films de série B, un nouveau style émerge sur le petit et le grand écran. Des créations de science-fiction mettent en scène un monde futuriste riche en aliens, robots ultrakitsch, jeunes femmes en détresse et hommes aux cheveux laqués vêtus de costumes militaires. Des tenues de l’espace dont on se moque encore aujourd’hui dans des séries comme Black Mirror. Planète interdite de Fred McLeod Wilcox (1956) incarne à merveille cet univers rythmé par les «piou, piou» des pistolets laser. En 2013, ce film a d’ailleurs été sélectionné par la National Film Registry de la Bibliothèque du Congrès américain pour y être labellisé comme «culturellement, historiquement et esthétiquement important».
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— Grayson Charter Wed Oct 19 17:08:08 +0000 2011
Ce nouveau genre prend une autre dimension dans les années 1960 avec l’avènement de la minijupe. Ce vêtement iconique - popularisé par André Courrèges - s’immisce dans les costumes des héroïnes. Paco Rabanne lui-même a notamment travaillé sur la garde-robe sexy de Jane Fonda dans le film Barbarella signé Roger Vadim (1968). Des tenues souvent présentes à cette époque dans la rue, mais pas forcément nécessaires dans les mondes hostiles du futur… Joëlle Moulin, historienne de l’art et du cinéma, caractérise ce cinéma «d’esthétique Spoutnik». «À cette époque, il y avait un rêve de quitter la Terre, d’aller dans l’espace notamment chez les Russes - d’où le terme Spoutnik. Cette nouvelle vague de couturiers comme Paco Rabanne, André Courrèges et Pierre Cardin a utilisé des métaux dans ses vêtements, des couleurs blanches, ils se sont inspirés de la galaxie… Ce sont des inventeurs en accord avec l’air du temps.»
Dans les années 1970, halte au brillant. Finis les tenues sexy et les costumes kitsch : les films de science-fiction calment le jeu et entrent dans une nouvelle ère. Avec la saga Star Wars de George Lucas qui débute en 1977 ou encore L’Âge de Cristal (1976) de Michael Anderson, l'allure de demain est plus sobre. Les femmes portent des robes drapées et immaculées tandis que les hommes arborent des tenues unies. Des silhouettes évoquant la période hippie des années 1970 qui a dû inconsciemment s’immiscer dans l’esprit des réalisateurs et costumiers de l'époque.
Même constat dans les années 1980. Blade Runner (datant de 1982 mais censé se passer en 2019) et Retour vers le futur II sorti en 1989 (et se déroulant en 2015) sont bien loin de représenter la mode du futur. Larges épaulettes ou encore jupes serrées : dans les deux longs-métrages, le style se veut très eighties et proche de celui de Madonna ou de Grace Jones. Et même si Nike a voulu ressortir les baskets auto-laçantes de Marty McFly, ces dernières constituent davantage un objet de collection qu’une réelle tendance dans les années 2010.
Les années 1990, aussi, se sont adaptées à leurs dates de tournage. Les tenues emblématiques de Matrix (1999) et du Cinquième élément (1997) empruntent à l'esthétique nineties et grunge avant tout, de la combinaison ajourée de Milla Jovovich au total look noir de Keanu Reeves. Dans la même veine, Tank Girl (1995), avec Naomi Watts, ainsi que Kika (1993) de Pedro Almodóvar - qui n'est pas un film futuriste mais comporte des costumes voulus comme tels et conçus par Gaultier et Versace - mettent en scène des silhouettes cultes de la décennie.
De quoi se demander si on peut vraiment deviner ce qu’on portera dans des dizaines d’années à travers le cinéma d'anticipation. Les réalisateurs sont-ils capables de s’affranchir totalement des codes stylistiques de leur époque ?
Le professeur Jean-Michel Bertrand lie cette ressemblance systématique des looks du futur avec les tendances contemporaines à l’essence même de la mode : «Comme dans toute création, il n’y a pas forcément de rupture totale avec l’existant. On s’inspire forcément de ce qui a été. Dans les films comme les défilés, on radicalise le look pour lui donner du caractère.»
Le parallèle entre la mode d’aujourd’hui et celle des films futuristes est un débat qui va bien au-delà du talent des costumiers, mais remet en question le concept même du processus créatif. Depuis quelques décennies, la plupart des couturiers s’inspirent du passé afin de le réinscrire dans le présent, et seulement une poignée de créateurs (à l’image de la créatrice Iris Van Herpen) cassent totalement les codes du vêtement. Alors certes, si on s’amuse aujourd’hui des mauvaises prédictions de Retour vers le futur II, nos petits-enfants poufferont sûrement de rire quand ils regarderont les films de notre génération… sur leur iPhone 3000.