La porte s'ouvre avec un tintement de grelot, façon The Shop Around the Corner. Murs ocres, canapé en cuir olive, feu dans la cheminée à gaz et Financial Times du jour : un univers d'hommes, jusqu'à la petite table où sont disposées les bouteilles de sherry et de Macallan 10 ans d'âge. Au 32, Old Burlington Street, à Londres, est installé le tailleur Anderson & Sheppard, qui confectionne, entre autre pour le prince Charles, des costumes bespoke, cette variante anglaise et hyper exigeante du vêtement sur-mesure. Et le sur-mesure, particulièrement sa déclinaison masculine, est le nouvel eldorado du grand marché du luxe (voir Next n° 49).
Pour le dandy contemporain, Anderson & Sheppard fait donc figure de totem, type morceau de la vraie croix pour les croisés du XIe siècle. Chaque année, on y confectionne environ 1 500 costumes, pour lesquels ont été prises des mesures (27 au bas mot), des commandes (faites parmi plus de 10 000 étoffes) et des informations diverses sur les clients (venu comment, recommandé par qui). Au rez-de-chaussée, une fois passé le salon d'accueil très gentlemen's club, on trouve des cabines d'essayage au plafond classé, puis la salle des cutters (littéralement, ceux qui coupent), ces hommes chics et cravatés qui dessinent à la craie sur de larges étoffes puis les découpent, armés de ciseaux immenses.
Au sous-sol, chez les tailors (ceux qui cousent) on rassemble les étoffes en un premier jet de costume dont dépasse un fouilli de fils blancs. Y règne une odeur de teinturerie, le sol jonché de chutes de tweed, les tables recouvertes de fers à repasser, bouilloires électriques et autres instruments divers. Rosemary, cheveux blancs tassés sous un casque anti-bruit, s'affaire sur des gilets, Myron sur des réparations et retouches qui suivent la courbe du poids des clients («il y en a qui veulent des miracles») tandis que Derek, tailleur depuis plus de trente ans, qui a connu Alexander McQueen lors de son passage chez A&S, enseigne à une apprentie l'art de bien coudre un revers. Visite d'un univers très codé, qui repose sur quelques piliers bien identifiés.
Autrefois, le client A&S venait surtout sur recommandation: de son père, d'un ami, d'un collègue. Dans les grands registres en cuir rouge où sont consignées toutes les commandes, on lit encore et de manière immuable les catégories suivantes: name and town, address and club, reference, la dernière mention établissant une filiation entre clients (en face de Marlene Dietrich, l'une des rares femmes, on lit Douglas Fairbanks). Ouvert sur la table de commandes, le registre en cours fait état, aux cinq dernières entrées, d'un client suédois, d'un Anglais, d'un Argentin et de deux Américains. Parmi eux, un seul est recommandé, en l'occurrence par son père; pour les autres, à la case reference, on lit chance. Un peu comme s'ils étaient entrés là parce qu'ils avaient vu de la lumière, alors qu'Internet, et un livre édité sous la direction de Graydon Carter, le rédacteur en chef de Vanity Fair, ont propagé la légende d'A&S bien au-delà de la Manche.
What we also find in the register is a sequence of numbers, which corresponds to measurements detailing length of the arms, back width, etc. There are 27 digits in all, 7 for the pants and 20 for theJacket, the very first of which says the inclination of the right shoulder (4: almost right, 2: rather drooping).Coat is called the jacket, when it is not a coat, which is called Overcoat, the tail of Pius called, she, Morning Coat, even if we wear it at any time.
Qui a les moyens de se payer un costume A&S, au prix plancher d'environ 4 000 livres (4 600 euros)? Pas uniquement des financiers: on compte parmi la clientèle des photographes, des écrivains, des réalisateurs. Plus de la moitié sont américains, un tiers anglais, ensuite viennent ceux d'Europe continentale, d'Asie, et du Moyen-Orient. Dans le beau livre chargé d'installer durablement la mythologie maison, le parfumeur Frédéric Malle, le chausseur Manolo Blahnik et l'écrivain Jay McInerney ont pris la pose. Y a-t-il des femmes, parmi eux? «Ha, ha, s'amuse Colin Haywood, le gérant de la boutique. No.» Hormis une ou deux, qui recherchent un style résolument masculin, comme l'écrivain américaine Fran Lebowitz.
Aujourd'hui, la firme compte à peu près trois nouveaux clients par semaine, qui achètent en moyenne deux à trois costumes par an (la dernière commande vraiment ahurissante datant de 2004: en une visite, un client se choisit 80 costumes, 5 destinés à son yacht, 5 autres à son avion, et ainsi de suite pour ses maisons…). Que choisit le client? Dans l'idée, tout: modèle de veste croisée ou simple, étoffe, poches avec ou sans revers, fentes dans le dos (une ou deux). En vrai, c'est un peu plus subtil. «Certains clients veulent une seule fente dans le dos. Nous tentons alors généralement de les en dissuader, se permet d'expliquer Colin Haywood. Une fente centrale a tendance à s'ouvrir de manière disgracieuse, alors qu'avec deux fentes, la ligne du dos n'est pas interrompue.» Il avance un raisonnement imparable: «Nous avons conscience de ce qui fait la spécificité d'une veste Anderson & Sheppard. Si l'on s'écarte trop de notre modèle de référence, l'on n'obtient plus une vraie veste Anderson & Sheppard.»
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— Diane vietnam era veteran🌊 Wed Apr 12 06:51:56 +0000 2017
Nevertheless, if the customer wishes, he can allow himself the madness of an additional small pocket, called Pocket Ticket (although it doubts that it serves for metro tickets).Regarding the use of pockets, it still seems fairly regulated: “In an ideal world, customers would not put anything in it.No laptops or keys, which deform the fabric.But, well, they need these little things. ”
He takes the client's measures and then draws the boss, as quickly as possible after his departure, because he must have his well -headed figure.On a sheet of brown paper, he draws the lines by hand.Once the fabric is ordered and arrived, the cutter extends it to a large wooden table, seizes a triangular chalk, white and flat like a pebble, and makes its sketch on the fabric.Always by hand.It is he who then decides to which tailor to give his order, according to the specialty of each - coat, evening holding, etc ...
Le tailleur a un spécialité: soit la veste, soit le pantalon. Chez A&S, il travaille dans le lumineux sous-sol. (Certains travaillent même depuis chez eux, ils ont parfois 80 ans). Le tailleur est payé à la pièce, avec un statut de freelance, alors que le cutter est salarié; un bon tailleur de vestes en confectionne deux par semaine. La tâche la plus difficile du tailleur? Coudre la manche au costume, car il faut trouver l'angle parfait, et le coup de main prend quelques années.
Mister Hitchcock, 66 ans, costume marine trois pièces, mètre de couturière autour du cou, yeux bleu pétillant de malice. Chef des cutters, il est aussi manager et actionnaire minoritaire d'A&S. «Quand j'ai commencé ici, dans les années 60, aucun de nos clients n'allait travailler, mais tout le monde avait une affaire, enfin en possédait une. Aujourd'hui tout le monde travaille, ça change! (petit rire). C'était des gens qui déjeunaient au club, prenaient un verre ou deux, puis venaient en reprendre un chez nous. Ils se connaissaient tous, s'appelaient par leur surnom, avaient tous un surnom. (Tout en parlant, il laisse glisser sa craie d'un geste souple sur un tissu beige.) Avant, on apprenait le métier à l'école, le dessin, la coupe. On commençait à travailler à 16 ans, aujourd'hui nos recrues ont 20 ans et ne connaissent rien au métier. (Il dégaine de grands ciseaux aux anneaux couverts de morceaux de velours, pour éviter les ampoules).
At the time, Mr. Sheppard, the owner, did not want us to speak with the other tailors of Savile Row, he was afraid that we give them our little secrets. Today, everyone sees themselves, we work together to train new recruits, we need each other. (Pfffuit, the scissors cut in the fabric). Five years ago, everyone gave us for dead, there was no employee below 60 years. And today ... (he straightens up, puts his glasses back on his nose). Wait, I will get you the meeting book of our next trip to New York, at the Carlyle hotel. (L'Agenda is a who's who from the New York who counts - Martin Scorsese, the financier Peter Brant, the TV host Morley Safer). CA is linked every half hour! (He takes up the cut). And then as the world changes, around the corner, on Clifford Street, we now have an accessories and ready-to-wear pants store. Let's say you are invited on weekends: you can jump to Clifford Street, the retouches will quickly make a little hem and hop, you are ready. (Enthusiastic Air) It's still practical, right? »»
In thick and brown paper, he hangs, among a few thousand similars, in the Cutters room.It is actually a set of panels that correspond to the pieces of fabric to assemble, linked together with white string.Take that of Mr. C., whom Colin Heywood takes down random.American of Park Avenue, Mr. C. has been a client since October 4, 1988, it is written by hand on the boss.Also on the boss: the 18 commands he has placed since (the last dates back to September 2011), the figures sequence found in the registers, small notes of the "downward right shoulder" type, the name of theCutter and the tailor (customers tend to keep the same, from one order to another).
After seven or eight years without news from Mr. C, we will get rid of his boss, believing that his morphology will have changed anyway.And if it is gaining momentum, we add strips of darker paper.What to do with costumes that have become too narrow?A simple touch -up will be enough, there is too much everywhere, with purpose (cost for pants, 20 pounds).
Il prend vie en six à huit semaines, lors desquelles on aura vu le client trois fois: une pour les mesures et la commande, et deux pour les essayages. Un costume A&S est aisément reconnaissable, en tout cas pour les connaisseurs: épaule «naturelle» (le minimum d'épaulette), emmanchure très haute, car cela donne la taille fine, offre «une rotation complète du bras», et évite ce fâcheux faux-pas du col de veste qui remonte derrière le cou (horreur !). Le revers de la veste est proportionné au torse: ni trop large, ni trop fin. «La mode change souvent, concernant la largeur du revers, observe Colin Haywood. Nous tenons pour notre part à faire une veste hors du temps.»
Inside each suit, a sewn label where a number is printed: it indicates the fabric used, the cutter, the tailor. How many people work at a costume? Two cutters (one for the jacket, the other for the pants), two tailors (ditto), and a finisher, which makes the buttonholes, which makes five. The more the Trimmer, which chooses the lining and the buttons, and a seller who helps the choice of fabrics: therefore seven, in fact. Has style varied, over the years? "Quite little," admits Heywood. The pants may be a little more tapered. And the fabric is lighter: for a costume to wear all year round, customers rather choose a fabric of 310 grams. Fifteen years ago, it was 370 grams. ” The most common color is gray, from light to dark, but the first costume is generally navy blue, because you can wear it everywhere. "We sometimes have eccentric choices, like this customer who wanted an orange striped suit ..." recalls Haywood the pensive air. But it is very rare. »»
Anda Rowland, 42 ans, pantalon cigarette noir très court, veste de garçonnet A&S, chaussons de velours noir, air affairé mais chaleureux. Propriétaire, seule femme à la tête d'une maison de Savile Row. «La plupart des maisons familiales appartiennent à 100% aux familles, mais quand mon père [le financier Tiny Rowland, ndlr] a racheté A&S aux Rothschild, il s'est associé avec quelques employés, car il aimait vraiment beaucoup cette affaire. J'y suis très attachée moi aussi, à cause de lui. C'était un homme très élégant, ma mère avait une toute petite garde-robe mais lui un immense dressing plein de belles chaussures, de vestes, de manteaux, et un butler pour s'en occuper. Aujourd'hui il y a trois actionnaires : ma mère, Mr. Hitchcock, et un ancien directeur (sa mère détenant 80 pourcent, ndlr). Je n'aurais jamais pensé travailler ici, j'ai étudié à l'Insead, j'ai travaillé pour Dior Parfums. C'est lorsque A&S a été forcé de déménager, en 2005, que ma mère m'a demandé si cela m'intéresserait de m'occuper de la transition. Notre ancienne boutique, sur Savile Row même, était intimidante, un vrai musée. Je me suis dit qu'il faudrait un environnement plus accueillant, qui plaise aux clients plus jeunes. Nous ne sommes pas obsédés par la jeunesse, mais il faut assurer un avenir aux employés que l'on forme.
A cette époque, le secteur était très morose, et nous avions 500 000 livres (près de 600 000 euros) d'impayés. (Le souvenir déclenche un début de fou-rire). ça fonctionnait comme dans les années 20 : un client avait beau nous devoir 25 000 livres, ça ne l'empêchait de nous commander toujours plus de costumes, et personne ne disait rien. J'ai changé cela, maintenant on demande un dépôt de 50 pourcent. Trois ou quatre anciens clients se sont sentis insultés qu'on leur demande de payer leurs dettes, ça ne se faisait pas. J'ai pris d'autres décisions qui n'ont pas plu, au début, comme de remplacer les sacs en plastique noir moche avec lesquels les clients emportaient leur costume par des housses de tissu. Pour un nouveau client, partir avec son costume bespoke dans un sac qui faisait mal aux mains, ce n'était vraiment pas possible ! Mais à Savile Row, les gens ne regardent que ce que font les autres maisons de Savile Row. Ma force c'est d'aller regarder du côté de Bond Street, même d'Abercrombie & Fitch ! Car nos clients vont partout. Il m'a fallu un peu de temps pour me faire accepter, mais nos clients ont aimé les changements, et les affaires ont bien repris. Alors j'ai trouvé ma place (ce que l'on constate, elle parle chaleureusement à tout le monde, plaisante, connaît tous les prénoms). Avant que je n'arrive, notre chiffre d'affaires était de 2,3 millions de livres, aujourd'hui il est de 4 millions, ce qui n'est pas une mauvaise progression, dans une industrie comme la nôtre. Nous avons bien sûr profité du regain d'intérêt pour le sur-mesure, et pour l'homme. La mode féminine, les marques, les gens en ont un peu assez. On me demande souvent comment nous réagissons à l'arrivée des groupes de luxe, à Brioni et Berluti. Je réponds que l'expérience que nous avons ne s'invente pas du jour au lendemain. Embaucher de bons tailleurs n'est pas la garantie d'avoir un style à soi.»