« I hate myself for lovin' you… » Je me hais de t'avoir aimé… et la faiblesse que ça montre… Pour une fois, la traduction littérale fera l'affaire. Bancale, inélégante. Parce qu'il n'est pas du tout question d'élégance ici. On n'est pas chez Leonard Cohen et sa géniale épître au rival, à son fameux imper bleu. C'est l'heure du règlement de compte. On dirait que Dylan a toujours un compte à régler. Avec d'autres ou lui-même, au fond quelle importance. Des colloques entiers de dylanologues ont glosé tout leur soûl sur les destinataires de telle ou telle diatribe. Quand il est vraiment méchant et mord jusqu'au sang, soyez sûrs qu'il a tourné sept fois sa plume dans l'encre de sa plaie avant de cracher le venin. Sa blessure est narcissique, et alors ? L'autre en prendra pour son amour-propre et la vie continuera. Tu n'étais qu'un visage peint dans un trip sur la route du suicide… On est en 1973. Dylan n'est pas au mieux de sa forme. Sous un auto-portrait peint de la main gauche, il vient de publier quatre faces témoignant d'une grande confusion. Columbia s'y est mis en réchauffant des rogatons (l'album Dylan). Planet Waves étrenne son contrat avec Asylum. La mention « cast-iron songs and torch ballads » est ajoutée au pinceau. Dirge, ode funèbre, peut émarger aux deux catégories. Juste notre Bob au piano, dans la veine New Orleans de Blind Willie McTell, et Robbie Robertson à la guitare sèche. Le titre de travail était Dirge for Martha. Qui est cette Martha, un nom de code ? Les songs of freedom et praise of progress feraient plutôt penser à certaine Joan B. Mais quelle raison d'être aussi vache avec elle, qui s'apprête justement à la leçon d'élégance de Diamonds & rust… Sait-on jamais de quoi, de qui parle une chanson ? Et qui croire si les avis divergent ? Amour et haine, même combat. Dirge est du cafard en boîte, sublimé par un Dylan en mode down. A la fin, il nous assure qu'il va s'en remettre. On n'en doute pas une seconde.
Dylan Dirge (1974)