La récente polémique sur le crop top paraît anecdotique dans un pays qui a popularisé la mini-jupe et où le bronzage top less est admis. D’autant plus que la France s’est illustrée ces dernières décennies par ses débats et ses lois sur le port du voile par des femmes musulmanes. Ces polémiques sont alimentées au nom de l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que le droit des femmes à disposer de leur corps librement. Or ce sont les tenants de ce même discours lorsqu'il s'agit du voile qui s’interrogent sur le droit des femmes à porter tout vêtement jugé trop provoquant. Les féministes contre le port du voile parlent d’hypocrisie. Pourtant tout indique qu’il y a un lien entre ces deux sujets. Dans quelle mesure les débats sur le voile ont conduit à ceux sur le crop top ?
En 2004, la première loi sur le voile islamique est votée en France. Cette interdiction du port du voile à l’école intervient après plus d’une décennie de polémiques. Directeurs d’établissements et enseignants, soutenus par un ensemble d’hommes politique, renvoient de l’école les jeunes filles qui refusent de retirer leur voile. Le principe invoqué est celui de la laïcité des établissements publics. Mais si le voilefait l’objet de toute l’attention parmi les différents signes religieux ostentatoires, c’est parce qu’il est interprété comme une soumission aux hommes musulmans. En ce sens le problème n’est pas que le supposé prosélytisme religieux, mais l’inadéquation aux valeurs d'égalité des sexes affichée par la République.
Peu de temps après, cette vision problématique du voile est confirmée par une nouvelle loi qui interditcette fois le port du voile intégral dans l’espace public. Les pouvoirs publics s’inquiètent de l'apparition en France de ce voile qui couvre quasi tout le visage. Au départ des questions de sécurité intérieure sont évoquées par le député qui propose l’interdiction de ce voile. Cependant, lorsque le sujet est repris par le président de l’époque Nicolas Sarkozy, il déclare que ce n’est “pas un problème religieux, [mais] de liberté et de dignité de la femme”. Son gouvernement a alors ouvert un débat sur l’identité nationale et le voile n’en fait justement pas partie. Ainsi, sans être nommée l’obligation d’avoir une certaine apparence dans l’espace public s'esquisse en opposition au voile.
Après ces affaires, le voile ne quitte plus jamais vraiment le débat. Chaque apparition publique d’une femme voilée que ça soit à la plage ou dans un jeu télévisé est associée à la menace terroriste. C’est la raison pour laquelle la lutte du gouvernement d’Emmanuel Macron contre le terrorisme se traduit par un ensemble de propositions pour restreindre l’accès des femmes voilées à certains lieux et activités. La France devient donc l’un des pays au monde qui légifère le plus sur les tenues vestimentaires des femmes. En dépit des critiques de différentes organisations comme l’ONU, le pays se défend de toute atteinte aux libertés au nom de l’émancipation féminine.
L’argument féministe mis en avant par les gouvernements successifs est soutenu par des groupes féministes. L’ancienne présidente de Ni Putes, ni soumises, Fadela Amara déclare notamment “Il faut que le débat actuel débouche sur une loi qui protège les femmes. Je suis favorable à l’interdiction totale de la burqa.” Toutefois, le principal effet de ces interdictions est d’alimenter un débat continu sur le voile, sans permettre aux principales concernées de s’exprimer. Ainsi que le note la sociologue Fatiha Ajbli dans une vidéo d'AJ+, c'est une forme d’objectification totale des femmes voilées. Elles sont réduites à un signe vestimentaire, lui-même réduit à un objet de débat public. Dès lors, la porte est ouverte pour parler du corps des femmes en général, puisque cette objectification du corps concerne toutes les femmes.
Depuis toujours, le corps des femmes fait débat. Pour la philosophe Françoise Héritier, à l'époque le grand enjeu pour les hommes était d’avoir le contrôle sur la reproduction sexuelle et donc la transmission du patrimoine. D’où l'appropriation du corps des femmes et l'intérêt pour ce qu'elles portent. Ainsi, tantôt on reproche aux femmes de trop en montrer et de provoquer le désir masculin, c’est ce qui crée la culture du viol. Tantôt on reproche aux femmes d’être trop couvertes par peur du désir masculin. Il s’agit finalement des deux pendants d’une même représentation de la femme uniquement comme objet sexuel de l’homme. Les hommes déterminent quelle tenue les femmes sont censées porter selon la disponibilité sexuelle attendue d'elles. Les tenues sexy sont les bienvenues à la télévision ou au bar, mais pas au bureau. Le voile est toléré pour les femmes âgées ou les femmes de ménage, mais pas si elles sont jeunes ou dans des postes de pouvoir.
En dépit du racisme et de l’islamophobie intrinsèques aux affaires sur le voile, derrière son interdiction se profile celle du crop top. Le crop top fait d’ailleurs déjàparler de lui en 2020 avec le ministre Jean-Michel Blanquer qui invitait les collégiennes à s’habiller de manière correcte et républicaine. Le voile comme le crop top sont exclus de cette “tenue républicaine” dessinée au fil des polémiques pour établir quelle doit être l’apparence d’une femme sur le territoire français. Lorsqu’Emmanuel Macron déclare que “tout ce qui renvoie à une identité, une volonté de choquer ou d’exister n’a pas sa place à l’école”, ces propos rappellent ceux tenus lors de l’interdiction du voile à l’école. Tout simplement parce que dans les deux cas, ce sont des corps féminins qui sont accusés de troubler l'ordre. Ce n'est pas une question de vêtements mais bien de domination masculine sur les femmes.
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