• 16/06/2022
  • Par binternet
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Romain Duris : “J'ai un grand appétit de vivre”<

Qu'est-ce qui vous a attiré dans l'aventure Eiffel ?

L'idée de tourner dans un grand film sur la construction de la Tour, ce monument qui ne laisse personne indifférent. Nous connaissons tous le nom de Gustave Eiffel, mais peu de gens savent comment cet homme a pu mener à bien un projet aussi fou dès la fin du xixe siècle. Or retracer les étapes d'une telle entreprise en parallèle d'une histoire d'amour offrait une vision originale ; cela permettait de s'éloigner du biopic, de la fresque historique, et d'envisager un vrai film romantique. De comprendre aussi que les artistes sont toujours portés, ou ralentis, par ce qu'ils vivent dans l'intimité.

Est-ce votre cas ?

Je peux voir les incidences de mes émotions sur mes dessins et ressentir précisément l'état dans lequel je me trouvais au moment de créer. En tant qu'acteur, c'est différent, car je ne « réalise » pas moi-même les œuvres, je suis au service d'une pensée ou d'une idée extérieure. Par ailleurs, les tournages sont des bulles aspirantes qui vous happent et vous coupent davantage de la vie.

Comment vous êtes-vous emparé de Gustave Eiffel ?

Il y avait de nombreuses façons de m'en approcher, mais je me suis retrouvé dans sa ferveur et la manière qu'il avait d'exécuter son projet. Comme lui, j'ai le cœur à l'ouvrage. Ayant moi-même hérité de la fibre artistique, je me sers beaucoup de ce que je vois ou de ce que j'entends pour créer. Pour incarner Eiffel, l'artiste, j'ai pu m'appuyer sur de nombreux documents existants, mais pour comprendre quel type d'homme il était, il m'a fallu chercher un maximum de détails sur sa vie personnelle. Et comme toutes les biographies étaient assez pudiques, voire pauvres en confessions intimes, j'ai imaginé son caractère. Par exemple, après avoir lu qu'il était inquiet de ce que les journaux pouvaient écrire sur lui, je me suis dit qu'il devait avoir un ego assez important – ce qui me paraît nécessaire pour se lancer un tel défi et embarquer autant de gens derrière soi. Mais il ne s'agissait pas d'en faire un trait de caractère appuyé, mon but était de rester léger et malléable pour être cohérent avec l'histoire que nous voulions raconter.

Doit-on être prudent lorsque l'on incarne un personnage historique ?

Dans ce métier, tout est un nouveau défi ! Si l'idée avait été de bâtir une fresque historique, j'aurais été particulièrement scrupuleux, mais, comme dans Molière ou Arsène Lupin, l'ambition ici était de réaliser une œuvre contemporaine et, pour y parvenir, il ne fallait pas enfermer cet homme dans un état d'esprit figé, car ce film est mené par l'action et mon personnage est toujours en mouvement. Je l'ai joué en mettant en avant son côté ingénieur, artiste passionné, mais en même temps amoureux enflammé.

Comment parvenez-vous à porter des costumes d'époque sans perdre votre modernité ?

Romain Duris : “J'ai un grand appétit de vivre”

J'imagine que c'est une question de rythme, d'attitude. J'ai beau me transformer, travailler en amont des attitudes et tenter de comprendre ce que signifiait telle ou telle manière d'être à l'époque, je n'efface jamais complètement mon physique et mon énergie. Mais ce n'est pas contrôlé, c'est quelque chose qui s'échappe de moi.

A l'image d'Eiffel, vous est-il déjà arrivé d'accepter un projet pour éblouir quelqu'un ?

Cela a pu arriver, mais c'était sûrement un infime déclencheur car, en tant qu'acteur, je n'ai pas pour habitude de m'embarquer dans un projet en pensant à l'objet fini. Quand j'aborde un rôle, je suis porté par l'idée de le faire exister, excité par ce qu'il va m'amener à faire, mais en aucun cas soucieux de l'image qu'il renverra.

Que trouvez-vous dans le dessin que le métier d'acteur ne vous apporte pas ?

Cette passion qui n'impose, comme seuls outils, qu'un crayon et un papier me rassure, car c'est un plaisir simple à réaliser. Le dessin me paraît être plus concret que le cinéma et davantage à l'échelle de la vie : je peux d'ailleurs inscrire facilement cette activité dans mon quotidien. En outre, la solitude et l'état méditatif que cet art demande me calment et m'apaisent par rapport à l'agitation qui règne sur un pla-teau, où l'on est naturellement entouré et regardé. Et puis la liberté de faire évoluer seul son œuvre est très agréable. En tant qu'acteur, je peux proposer beaucoup de choses dans la journée, quitter le plateau heureux, mais je ne suis pas maître du montage, alors qu'en dessin, oui.

Etes-vous aussi romantique que la plupart de vos personnages ?

Je suis un homme très sensible, cela me paraît nécessaire quand on exerce ce métier, et les films évoquant les amours manquées, comme les Vestiges du jour, de James Ivory, ou Sur la route de Madison, de Clint Eastwood, que j'ai revus avant de jouer Eiffel, m'arrachent le cœur et me mettent dans tous mes états. Mais j'ignore si cela fait de moi un grand romantique. Ce dont je suis sûr, c'est que j'aime les gens, la nature, et que je suis amoureux de la vie.

Quelle partenaire est Emma Mackey, qui joue la femme aimée ?

C'est une actrice très contemporaine dans sa manière de bouger. Elle a beaucoup de caractère, d'appétit, son investissement est total et elle se plonge dans les scènes corps et âme. Chez elle, tout est habité, ressenti, incarné. Il y a une forme d'« action-réaction » instantanée et très rapide. Emma est tellement généreuse que c'est très agréable de jouer à ses côtés, car on sent qu'elle vous écoute vraiment.

Comment gardez-vous votre fougue après vingt-six ans de carrière ?

Je crois que c'est l'une des raisons pour lesquelles je fais ce métier. Si je la perdais, j'arrêterais le cinéma. Et c'est une façon d'investir le moment. Au quotidien, j'ai un grand appétit de vivre, je suis physiquement très entreprenant. Parfois trop, même. C'est pour cela que le dessin me calme, car le corps, au moins, est au repos.

Etes-vous à l'aise sur les tournages de grosses productions ?

La diffculté, dans ce cas, est d'arriver à trouver sa place dans le petit endroit alloué à jouer la scène. Quand le plateau abrite une grosse artillerie technique et que le rythme des journées est soutenu, il faut protéger cet espace sacré pour préserver le plaisir du jeu et l'ambition de vérité. Ce sont les petits accidents qui créent de la spontanéité, de l'originalité, des détails truculents, et il est capital de les garder afin d'éviter que le film ne devienne académique et formaté. En fait, pour lui donner un caractère contemporain et une certaine fraîcheur, il faut sans cesse se demander ce que donnerait la scène, filmée caméra à l'épaule, dans un projet à petit budget.

Vous retrouverez bientôt Martin Bourboulon pour jouer Aramis dans les Trois Mousquetaires. Comment abordez-vous ce projet ?

Avec joie ! Cette nouvelle aventure est aussi enthousiasmante qu'Eiffel. L'ambition est d'en faire un vrai film de divertissement et j'ai une confiance totale en Martin, en son rythme, en son plaisir d'observer les comédiens. Je connais les acteurs de ce projet [François Civil, Vincent Cassel, Pio Marmaï…] – certains sont même des amis proches – et ça me plaît de tourner un film de bande avec eux, car je trouve le casting effcace et malin.

Avant, on vous retrouvera dans l'adaptation d'En attendant Bojangles…

N'ayant pas lu le roman d'Olivier Bourdeaut, j'ai découvert l'histoire à travers le scénario de Régis Roinsard et j'ai tout de suite aimé l'état d'esprit de ce couple qui, dans les années 60, veut vivre en marge de la société. J'ai été touché par la mère [incarnée par Virginie Efira], qui aime son enfant, mais va se perdre dans sa trop grande sensibilité, et j'ai adoré jouer le père, qui va protéger son fils de la fragilité de sa mère. C'est un film qui déborde d'amour et de tolérance.

Dans la vie, quel plaisir trouvez-vous à être père ?

Un plaisir immense. C'est un rapport magnifique et sans fin puisqu'il n'y a pas de mode d'emploi et que l'on peut toujours le réinventer…

Vous prenez soin de garder secrète votre vie privée. Est-ce un travail quotidien ?

Quotidien non, mais je reste sur mes gardes. Je ne suis pas de ces artistes qui aiment parler de leur vie privée. Je ne juge pas ceux qui le font mais, pour moi, c'est trop précieux. Avec les réseaux sociaux, c'est parfois diffcile, mais plutôt que de parler de moi, je préfère parler de ce que je crée.

Michel Hazanavicius vous a confié le rôle principal de son film Z (comme Z). De quoi parle-t-il ?

C'est une comédie dans laquelle je joue un réalisateur qui met en scène un film d'épouvante. Je viens de terminer le tournage et l'expérience a été géniale, car Michel est un chef d'orchestre passionné, sensible au rythme. Il est très humain, respectueux et c'est un génie de la direction d'acteur : il sait exactement où appuyer pour obtenir ce qu'il veut !

On vous voit peu au théâtre. Est-ce un choix ?

Non, j'adore jouer en live ! J'ai une vraie exigence au théâtre, il faut que le projet m'emporte et l'on doit intégrer le fait que notre vie autour va être transformée. Rejouer chaque soir une même pièce ne m'effraie pas, je dois cela à Patrice Chéreau, qui m'a fait débuter sur scène avec la Nuit juste avant les forêts, de Koltès, et m'a donné les clés pour rafraîchir chaque soir les sentiments et ne jamais m'ennuyer.

La rentrée approche. Quel souvenir évoque cette période ?

Si je me replace dans l'enfance, la rentrée correspond un peu à la fin du rêve car, en vacances, tout est possible : les parents vous embarquent dans d'autres univers où l'on peut tomber amoureux dix fois ! C'est aussi le début d'une aventure qui procure un mélange d'excitation et d'appréhension. Cela me plaît car, d'une manière générale, j'aime changer d'état. Mais faire sa rentrée en Aramis, sur un cheval, avec une épée et une moustache, j'avoue que cela s'annonce épique !

Eiffel, de Martin Bourboulon. Sortie prévue le 13 octobre.