• 18/02/2022
  • Par binternet
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Nicolas Cage: « Si être acteur c’est jouer comme Sean Penn, je ne suis pas un acteur »<

Du film d’auteur haut de gamme (Woo, Lynch Scorsese, De Palma, Coppola) à la série B produite à la chaîne, l’étonnant parcours d’un histrion démesuré et fiévreux.

Dans son dernier film, Hell Driver, Nicolas Cage joue un homme revenu de tout (même des enfers) pour venger sa fille, sauvagement assassinée par le gourou d’une secte millénariste. Pure série B de très bon niveau, telle qu’il en enchaîne à un rythme frénétique depuis une demi-douzaine d’années, c’est aussi son premier film en 3D. Et soudain, une évidence : cette technologie, dont on connait désormais la capacité à abstraire le réel, à rendre les chairs humaines plastiques et ramener les corps à l’état de jouets, semble avoir été inventée pour lui.

Jamais l’acteur n’a semblé si là et ailleurs, humain et monstrueux, invincible et torturé – une énigme. Oscarisé en 1995 pour Leaving Las Vegas, Nicolas Cage semblait, vers la fin des années 90, trouver sans peine son chemin vers le firmament hollywoodien, alternant films d’auteur prestigieux (De Palma, Scorsese, Woo, Jonze) et films plus commerciaux. Or depuis quelques années, la proportion a largement basculé à l’avantage des seconds, et d’aucuns s’inquiètent pour sa crédibilité, voire sa santé mentale. Qu’ils soient rassurés – ou continuent de s’inquiéter –, Nicolas Cage est en pleine forme, assume pleinement ses choix, et ne compte visiblement pas changer de sitôt.

N.B. Il est très chic : costume noir, chemise blanche et cravate fine. Cheveux mi-longs, rasé de près. Son débit est relativement lent, très articulé. Avant que l’interview ne commence, et bien qu’il ne soit pas filmé, il va ouvrir la fenêtre et me demande de changer de place avec lui, pour que la lumière soit plus à son avantage.

Hell Driver est votre premier film en 3D. Est-ce que ça change quelque chose pour vous, en tant qu’acteur ? Est-ce ça peut changer le langage cinématographique ?

Nicolas Cage – Du point de vue du business, dans la mesure où la 3D incite les spectateurs à aller en salle plutôt que rester chez eux, oui c’est une bonne chose. Est-ce que ça va changer radicalement l’expérience du cinéma ? Non, je ne pense pas. Les gens continuent à aimer le cinéma en 2D, et je pense que les deux vont coexister un moment, avant qu’une technologie vraiment innovante, comme peut-être les hologrammes ou la réalité virtuelle, ne changent complètement la donne. Est-ce que ça change ma façon de jouer ? Pas vraiment. Au début, je voulais m’amuser avec la caméra, projeter mon bras ou ma langue vers le public… Et au bout d’une semaine de tournage, je me suis rendu compte qu’il suffisait de me laisser diriger. Patrick savait parfaitement où mettre la caméra et c’est lui qui s’adaptait à mes mouvements, pas l’inverse. Je ne me suis jamais senti contraint.

La plupart de vos films récents se situent dans des univers fantastiques ou inspirés de comic books. Qu’est-ce qui vous plaît autant dans ces univers-là ?

Je suis dévoué corps et âme à l’imagination. Ca m’a pris dès l’enfance, en lisant des comic books, des livres de Jules Verne, en regardant des films d’horreur ou La quatrième dimension. Je fais les films que j’aime voir. J’ai une passion pour l’avant-garde et l’abstraction, voyez-vous, et le cinéma de genre, qu’il soit fantasy, SF ou horreur, reste à mes yeux le meilleur moyen pour l’atteindre sans perdre l’attention du public.

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Par ailleurs, je n’aime pas la violence gratuite… Eh oui, cela peut vous surprendre, mais je n’aime pas que la violence soit dirigée contre des gens que je pourrais croiser dans la rue. Or dans les films fantastiques, la violence me semble plus acceptable d’un point de vue éthique : je n’ai aucun problème à massacrer des moines zombis.

Votre pseudonyme, « Cage », fait référence à Luke Cage, un personnage de comic book, c’est bien cela ?

Oui. Luke Cage a été le premier super héros afro-américain à avoir son propre comic book chez Marvel (en 1972, en pleine vague blaxplotation, ndlr). Je ne le lisais pas à l’époque, mais quand je l’ai découvert la sonorité du nom m’a plu. Ce pseudonyme, Cage, m’est donc apparu comme ça, un peu par hasard. Plus tard, j’ai découvert John Cage, le compositeur d’avant-garde. Avec le recul, je me dis que ma vie a toujours été un mélange de Marvel Comics et d’avant-garde (rires).

Quand vous avez choisi ce pseudo au tout début de votre carrière, vous ne pouviez pas imaginer qu’il vous collerait aussi bien à la peau : le corps comme cage, la scission entre le corps et l’esprit, est une thématique présente dans la plupart de vos films, exemplairement dans Volte/Face. C’est tout de même une sacré coïncidence, non ?

Il y a un autre mot pour « coïncidence », n’est-ce pas ? (il s’arrête quelques secondes, regard fixe) « Destiny »… Selon moi, nous sommes tous des vaisseaux, porteurs de différents esprits. Et c’est là que je vais puiser mes personnages. Je me laisse submerger d’émotion, comme jadis on pouvait être possédé par un ange ou un démon. En tant qu’acteur, je me considère comme un chaman des temps modernes. Dans les sociétés primitives, il était tout à fait courant qu’un chaman entre en transe et laisse parler un esprit dans son propre corps, pour donner un message aux villageois. Aujourd’hui, on a remplacé ces croyances par une science, la psychologie, mais c’est à peu de choses près la même chose.

Un groupe canadien, nommé Arcade Fire, a écrit une chanson qu’on croirait écrite pour vous : « My body is a Cage ». Vous la connaissez ?

Je ne connais pas cette chanson, non, mais Arcade Fire est un chouette nom pour un groupe… Arcade fire… (il le répète pour lui-même, en articulant à l’extrême, ndlr).

Vous êtes célèbre pour votre jeu excessif, hyper expressif. Or depuis quelques temps, vous usez davantage de l’underplay. Vos personnages semblent plus fatigués, moins bavards. Comment expliquez-vous ce changement de style ?

Toute chose aspire à devenir de la musique, et jouer, c’est d’une certaine façon faire de la musique. Si le rôle s’apparente à un son sauvage, électronique, strident, je le jouerai ainsi, comme dans Bad Lieutenant ou dans Ghost Rider 2, que je viens à peine de tourner avec deux jeunes types géniaux, Mark Neveldine et Brian Taylor – croyez-le ou non, mais je crois que ça va être un de mes meilleurs films. Si je dois interpréter un chevalier teuton ou un fantôme qui revient des enfers, il serait inopportun de jouer cette musique stridente. J’essaierai au contraire d’être plus mystérieux, plus silencieux.

Dans Bad Lieutenant, vous avez collaboré avec un auteur européen, Werner Herzog, qui a un univers et une vision forte, connu pour aimer – comme vous – les extrêmes. N’était-ce pas trop contraignant ?

Werner est un maître. J’avais envie de travailler avec lui parce que je savais qu’il était capable de tirer des choses extraordinaires de ses acteurs ; et je suis bien sûr fan de Klaus Kinski. Ma collaboration avec lui a été (silence)… tout a été assez vite. Le personnage était un toxico constamment perché, un rôle assez « impressionniste », pour lequel j’ai dû puiser dans mon passé, me reconnecter à des sensations vieilles de 20 ans. Les premiers jours, Werner était un peu décontenancé, il ne savait pas dans quelle mesure j’étais réellement sous drogues. J’ai l’ai rassuré en lui expliquant que je devais laisser parler mes propres fantômes pour trouver le personnage. Il a tout de suite compris. Je sais qu’il a eu une relation très conflictuelle avec Klaus Kinski, mais entre nous ça s’est passé à merveille. Il est très ouvert à l’expérimentation, et en même temps il sait précisément ce qu’il veut. Il faisait jamais plus de deux prises. J’ai rarement vu ça.

Avez-vous vu Tetro (Francis Ford Coppola est son oncle) ?

Non.

Et Somewhere ?

Non.

J’imagine que ça ne vous intéresse pas de… (m’interrompant)

Non.

Vous êtes l’un des acteurs les plus actifs à Hollywood. Vous faites deux, trois, parfois quatre films par an, quand la plupart des acteurs n’en font qu’un ou deux, maximum. Pourquoi travaillez-vous autant ?

Premièrement, j’ai besoin de travailler. Nécessité est mère d’industrie (euphémisme pour dire qu’il a de sérieux démêlés avec le FISC, ndlr). Secundo, j’ai peur de me rouiller si je laisse passer trop de temps entre chaque film. Plus je joue, meilleur je suis. C’est une question d’entraînement. Ma vie n’est qu’un enchainement de personnages.

Cela vous rapproche davantage des acteurs de l’époque des grands studios, qui étaient sous contrat et devaient enchainer les rôles à toute vitesse, que de vos contemporains, davantage soucieux de gérer leur image…

Je me sens en effet proche de cette tradition des années 30-40, ces stars capables de faire 150 films dans une carrière. Mes héros s’appellent Humphrey Bogart et James Cagney. Plus tard, les acteurs sont devenus plus exclusifs, cherchant à générer de l’attente entre chaque film. Des gens comme Warren Beatty ou Dustin Hoffman, par exemple. Je les aime bien, ce sont de bons acteurs mais bon… Cagney et Bogart : ils sont vraiment, vraiment très bons. I mean : really good. Et ça, on ne l’obtient qu’en bossant. Tout le temps.

La méthode de l’Actor’s studio a-t-elle ou a-t-elle eu de l’influence sur vous ?

Je ne suis influencé par aucune méthode, d’aucune sorte. J’admire Nicholson, Brando, et Dean, mais je ne souscris pas à la « méthode ». Ma technique est totalement personnelle et je serais incapable de la décrire autrement que par ce que je vous disais tout à l’heure : du chamanisme primitif. Il y a quelques années, Sean Penn a déclaré : « Nicolas Cage n’est plus un acteur ». Sur le coup, je l’ai mal pris, puis j’ai réfléchi et je me suis dit « il a raison, si être un acteur c’est jouer comme Sean Penn, alors je ne suis pas un acteur » (rires).

Votre personnalité importe-t-elle plus que le rôle que vous devez jouer ?

(Il ferme les yeux, et met ses mains en l’air, comme s’il s’apprêtait à invoquer un démon, tout en parlant très calmement). Dans le théâtre kabuki, vous savez, les acteurs jouent le même personnage en permanence et ce personnage devient une sorte d’esprit qui vit dans leur corps, et qui les aide à naviguer dans les eaux tumultueuses de leur vie…

Vous avez réalisé un film resté inédit en France, Sonny. Vous avez apprécié cette expérience ? Vous le referiez ?

Oui, volontiers. Diriger des acteurs m’a moi-même redonné goût au jeu, à un moment où je commençais sérieusement à m’en lasser (Sonny a connu une petite sortie US en 2002, ndlr) J’ai surtout pu diriger James Franco, que je considère comme le meilleur acteur de sa génération.

De tous vos rôles, duquel êtes-vous le plus fier ?

Je dirais Le dernier des templiers. C’est un film que je voulais absolument faire, dans l’esprit de certains films de Roger Corman avec Vincent Price, comme The mask of the red death… (Il s’interrompt, tend l’oreille, ndlr) Champagne ! Vous entendez, quelqu’un tripote un seau à champagne dans la pièce d’à côté…

C’est une réponse surprenante ! Vous avez travaillé avec les plus grands, Coppola, Scorsese, De Palma, Lynch, Woo, et vous me citez un film, certes charmant, mais aussi éloigné que possible de l’idée de prestige…

Je suis un futuriste. Je regarde le futur. Tim Burton et James Cameron : des grands sorciers. Si vous avez la chance d’être invité chez eux, vous serez transporté dans un univers magique, et ils feront 90% du boulot pour vous y amener. Malheureusement, ils ne m’ont jamais invité. Donc c’est à moi de chercher les nouveaux talents qui auront le courage de m’emmener là où je veux aller. Je veux travailler avec des gens qui n’ont pas peur d’aller vers l’abstraction, vers l’avant-garde, sans pour autant renier la part de divertissement. Dominik Sena, Patrick Lussier, Mark Neveldine et Brian Taylor sont de cette trempe.

Votre meilleur souvenir sur un tournage ?

Quand je chante Love me tender dans Sailor et Lula.

Propos recueillis par Jacky Goldberg