• 10/08/2022
  • Par binternet
  • 747 Vues

Figures du féminisme: Le combat d'Astié pour autoriser les femmes à porter le pantalon au XIXe siècle<

Cet été, 20 Minutes, en partenariat avec Retronews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France, propose une série de portraits de figures féministes souvent oubliées. Aujourd’hui, rencontrez la militante féministe Marie-Rose Astié de Valsayre, apôtre du port du pantalon interdit aux femmes au XIXe siècle…

Les scandales vestimentaires à l’Assemblée ne datent pas d’hier. En 1887, les députés reçoivent une pétition réclamant le droit pour les femmes de porter à Paris les mêmes vêtements que les hommes, et en particulier le pantalon. Ce plaidoyer historique pour la « liberté de costume » est signé Marie-Rose Astié de Valsayre. Méconnue du grand public, elle mena une vie aussi mouvementée qu’en avance sur son temps et fut l’une des pionnières de l’émancipation féminine.

Ainsi s’adresse Marie-Rose Astié de Valsayre aux élus, en juillet 1887. Elle est la première à réclamer l’abrogation de « la loi routinière qui interdit aux femmes de porter le costume masculin, tout aussi décent, quoi qu’on en puisse dire, surtout incontestablement plus hygiénique ».

Contre une ordonnance de 1800… et des traditions millénaires

A l’époque, les femmes sont privées de porter le pantalon en vertu d'une ordonnance datant de la première République, prise le 16 brumaire an IX (le 7 novembre 1800), qui stipule que les femmes « travesties » [en hommes] doivent être arrêtées par la police, sauf en cas de dérogation exceptionnelle, souvent pour des raisons de santé. C’est donc à ce texte et à des traditions solidement ancrées que Marie-Rose Astié de Valsayre s’attaque dès 1887.

« A l’époque, il y avait un débat sur le port du corset, dont des médecins disaient qu’il était mauvais pour la santé », rappelle l’historienne Nicole Cadène. « Astié avait fait des études de médecine et cela explique que sa revendication pour la liberté de costume est avant tout hygiénique. Sa pétition intervient après l’incendie de l’Opéra comique, dans lequel des femmes, gênées par leurs vêtements, ont péri. Mais il y avait aussi une dimension économique, car les femmes étaient empêchées d’exercer certains métiers en raison de leur tenue, et une dimension féministe, la liberté de mouvement », poursuit la chercheure associée au Telemme.

La pétition d’Astié suscite alors les moqueries de la presse, notamment sous la plume – teintée de misogynie – d’un journaliste du Petit Parisien daté du 28 juillet 1887. « Il est bien certain que les délicieux costumes, les robes bouffantes, les falbalas flottants, les tournures rebondies dont se revêt pour nous mieux charmer le sexe féminin ne sont pas ce qu’il y a de plus commode pour se livrer aux exercices gymnastiques qu’exige, dans nombre de cas, un sauvetage », raille l’auteur. Mais il souligne aussi « les gros inconvénients qui résulteraient au point de vue du costume de la confusion des sexes » et s’inquiète de voir la militante mettre en cause « un usage immémorial consacré par le consentement ininterrompu d’innombrables générations », pointant le poids des conventions vestimentaires de l’époque.

« Dans les salons, les robes de bal, que l’on fait extrêmement longues, n’ont jamais empêché une dame de valser… j’allais dire de valsayre », se gausse Le Siècle du 26 août 1888.

Femme de lettres et d’épée

Figures du féminisme: Le combat d'Astié pour autoriser les femmes à porter le pantalon au XIXe siècle

Les railleries, parfois grossières, de ses contemporains masculins et les caricatures moqueuses sont autant suscitées par les revendications d’Astié (comme elle se fait appeler), jugées incongrues à l’époque, que par sa réputation. A 40 ans, elle est déjà connue à Paris et à l’étranger pour ses provocations en duel, dont l’une est relatée dans Le Figaro du 10 mai 1886. « A l’époque, les hommes manifestaient leur citoyenneté en recourant au duel. Astié voualit que les femmes puissent en faire autant, qu’elles soient capables de défendre leur honneur. Elle a fondé la Ligue des escrimeuses en 1893 », note l’historienne Nicole Cadène.

Mariée à un médecin, elle a fait des études de médecine et de pharmacie et a officié comme ambulancière pendant la guerre franco-prussienne de 1870, au cours de laquelle elle a été blessée. Elle a aussi composé de la musique et écrit plusieurs ouvrages, parfois sous un pseudonyme masculin.

C’est à contre-pied qu’elle commence à militer puisqu’elle publie en 1882, sous pseudo, un ouvrage dans lequel elle critique les féministes de l’époque. « Elle a évolué, d’un féminisme modéré, qui la poussait à rejeter les féministes de son époque, vers un féminisme bien plus radical », observe Nicole Cadène. « Cette rupture correspond sur le plan personnel avec la mort de son mari, en 1881, et son adhésion au socialisme, à partir de 1888. »

C’est un tournant pour Astié qui fonde un an plus tard la Ligue de l’affranchissement des femmes (aussi appelée Ligue des femmes). A sa tête, elle milite pour l’inscription des femmes sur les listes électorales et se porte même candidate aux élections de 1889 puis 1893, des candidatures de témoignage. « Elle a aussi créé des syndicats de couturières, lingères, mécaniciennes et de verseuses[serveuses dans des bars], elle s’est battue pour leurs salaires afin de leur éviter la prostitution », détaille l’historienne.

Un échec législatif

Un an après sa pétition, l’initiative législative d’Astié échoue : la Chambre des députés oppose une fin de non-recevoir à son plaidoyer. Le député de gauche Sigismond Lacroix lui répond qu’il « n’y a pas matière à œuvre législative : aucune loi n’interdit aux femmes le costume masculin », et renvoie la pétitionnaire vers la préfecture de police, relate Le Matin du 19 juillet 1888 – pour le plus grand bonheur du journaliste.

« Qu’importe ! » (telle était la devise d’Astié), la militante adresse une lettre ouverte au préfet de police de Paris, le 26 février 1889 :

Expliquant au fonctionnaire qu’elle a pris froid à cause de ses jupes qui traînaient dans la neige, elle choisit de porter le pantalon sans autorisation de la police. « Astié était une féministe très radicale et elle savait aussi donner un écho médiatique à ses combats. Les féministes n’étaient alors qu’une poignée, pour qu’elles se fassent entendre, il fallait comprendre les médias, ce qu’Astié, qui a écrit pour une trentaine de revues, faisait très bien », souligne Nicole Cadène.

Un « symbole du pouvoir et de la virilité »

Astié a-t-elle régulièrement porté le pantalon à ses risques et périls ? Les historiens manquent de preuves. Son cas n'est en tout cas pas isolé : plusieurs contemporaines bravent l’interdit, comme l’écrivaine George Sand, la sculptrice Gisèle d'Estoc, l’archéologue Jane Dieulafoy, la peintre Rosa Bonheur ou les militantesEugénie Potonié-Pierre et Madeleine Pelletier.

Ce faisant, ces pionnières s’emparent du « symbole du pouvoir et de la virilité, le pantalon, pour en faire un vêtement mixte », selon l’historienne Christine Bard**. Elle est « le type même de précurseure féministe, exigeant comme Madeleine Pelletier à la fois le droit pour les femmes de jouir des privilèges réservés aux hommes dans la société de son époque et le droit de participer elle-même en tant que camarade à toutes les luttes sociales. (…) Elle exige le droit de s’exprimer librement, en parole et par son costume », expliquent les auteurs du Dictionnaire des féministes***.

Si la pétition d’Astié ne révolutionna pas immédiatement les garde-robes des femmes en France, l’évolution des mœurs et la démocratisation de la bicyclette (inséparable de la jupe-culotte) s’en chargèrent peu à peu. Dès 1895, Astié mène à nouveau une fronde vestimentaire en combattant un projet d'interdiction aux « cyclowomen de porter le pantalon en dehors des exercices de pédale ». Mais il faudra attendre 2013 pour que l’ordonnance soit déclarée sans objet, plus d’un siècle après le plaidoyer de cette féministe tombée dans l’oubli.

« A la fin de sa vie, elle était complètement marginalisée. Lorsqu’elle meurt en 1915 dans un hôpital parisien, c’est le personnel qui déclare son décès, en ignorant tout de son combat », explique Nicole Cadène. « Elle meurt très isolée : deux de ses enfants étaient déjà morts, et l’un de ses fils avait coupé les ponts. Les féministes dont elle était proche étaient mortes avant elle. » Sa contribution au mouvement féministe sera aussi un peu oubliée. « Après une génération de féministes radicales, le début du XXe siècle est celui de celles que l’on appelle les féministes en jupons, bien plus modérées, pour qui Astié fait office d’épouvantail », rappelle l’historienne.

>> A lire aussi :Les femmes politiques critiquées pour leur tenue vestimentaire

* Auteure de Astié de Valsayre : le féminisme est un sport de combat, à paraître.

** « Le Droit au pantalon », La Vie des idées, 2013.

*** Dictionnaire des féministes. France - XVIIIe-XXIe siècle, dirigé par Christine Bard et Sylvie Chaperon, PUF, 2017.