• 18/07/2022
  • Par binternet
  • 681 Vues

"Business is business": comment le président d'une association a exploité des centaines de migrants<

Trois membres de l'association Vies de Paris, qui vient en aide aux migrants, étaient jugés pour "traite humaine" ce vendredi. Des victimes ont rapporté des conditions indignes de travail.

"Tu n'as jamais rencontré dieu, dis bonjour, il est là devant toi." De Ronald Désir, le fondateur et président de l'association francilienne d'aide aux migrants Vies de Paris, Isabelle conserve l'image d'un "gourou". "Il avait une attitude de dictateur", s'exclame cette ancienne bénévole, mère de famille de quatre enfants, pour évoquer celui qui est jugé ce vendredi par le tribunal correctionnel de Paris pour "traite humaine", "travail dissimulé" et "emploi d'un étranger sans titre de travail".

Isabelle a été bénévole quelques mois au sein de cette association qui propose une domiciliation pour les sans-papiers et des formations. "Pour moi, on aidait les personnes sans papier, à but caritatif", témoigne-t-elle devant une salle pleine à craquer. Pourtant, c'est elle, avec Stéphanie, une autre bénévole, qui a dénoncé la première les pratiques douteuses mises en place au sein de l'association. Des pratiques, sur fond de précarité administrative, économique mais aussi d'insultes et d'humiliations, révélées dans les 383 pages du rapport de l'Inspection du travail qui a déclenché l'origine d'une enquête du parquet de Paris.

"Pour moi, c'était mon patron"

L'affaire de Vies de Paris, c'est une affaire d'emprise. Des sans-papiers en recherche d'aide pour obtenir un visa, des sans-papiers dans le besoin qui étaient prêts à travailler plus de 10 heures par jour, six voire sept jours par semaine, sans congé, sans absence, le tout dans un contexte d'humiliation, pour quelques centaines d'euros. "La gratification créée une dépendance, c'est le moyen permettant la dépendance, fait valoir le Comité central de lutte contre l'esclavage. Ils n'auraient pas été payés, ils n'auraient pas travaillé comme ça." Très souvent les bénévoles travaillaient pour rembourser la dette souscrite auprès de l'association en assistant à ses formations.

Abdel a une formation d'informaticien. Quand il passe la porte de l'association, recommandée par une connaissance, il cherche de l'aide pour une domiciliation, c'est-à-dire une adresse où recevoir son courrier dans le cadre de ses démarches administratives. Ronald Désir le repère et lui propose de devenir bénévole. Il signe un contrat d'engagement.

Ce sans-papier, aujourd'hui régularisé, va travailler pendant six mois six jours sur sept, "parfois le dimanche aussi". En six mois, il n'a eu aucun jour de congé, aucun arrêt, même malade il venait travailler. "Il m'envoyait un message, je devais y aller", résume-t-il. Abdel se déplaçait sur plusieurs sites de l'association, à Aubervilliers, Plaisance et Malakoff. Des cris, ils en entendaient souvent de la part de Ronald Désir. Des brimades aussi quand, dans un échange par SMS lu par le tribunal, on lit que le président de l'association lui demandait de "ramener son cul".

Plus de 12 heures de travail par jour

Les gratifications allaient de 200 à 1O00 euros par mois. Elles étaient variables selon que vous soyez un homme ou une femme. Abdel était payé 500 euros par mois. Comme Samira, une autre des 52 victimes constituées parties civiles, qui a souhaité témoigner devant la justice. "C'était monté à 600 mais pendant le confinement, il m'a retiré de l'argent", explique la jeune femme d'origine marocaine, qui s'exprime dans un bon français. Elle aussi décrit des horaires à rallonge, où elle commençait à 8h45 pour finir à "21h-22h, et des fois même à 3 heures du matin".

Ronald Désir avait fait de son association une véritable entreprise. "Business is business", lance-t-il dans l'un de ses messages lu par la cour. Une entreprise qui fonctionnait grâce aux montants des adhésions (45 euros) puis par les formations (jusqu'à 1800 euros). Une entreprise dans laquelle il fallait respecter les horaires, justifier de ses retards. Une entreprise dans laquelle le patron modifie les horaires de ses employés à sa convenance. Une entreprise dans laquelle il faut aussi demander "48 heures à l'avance" pour s'absenter, sous réserve d'acceptation.

Dans ce système, Ronald Désir a, selon les témoignages, profité de la vulnérabilité des personnes venant lui demander de l'aide. "Il disait que ce sont des singes, qu'ils puent, qu'ils sentent le curry, qu'ils sont venus à la nage, qu'ils devraient être contents", se souvient Stéphanie, l'autre bénévole de nationalité française qui a alerté l'Inspection du travail. A Abdel, il lui avait trouvé un logement et lui a promis de l'aider pour sa régularisation.

Situation de chantage

A Samira, il a évoqué ses "relations" au sein de la préfecture qui pourraient faire avancer sa demande de visa. Des relations qui pouvaient aussi, dit-il, lui permettre d'envoyer "des camions de police" devant chez elle quand elle s'opposait à lui.

Une situation de chantage pour obtenir une attestation de bénévolat qui, selon lui, permettrait l'obtention de papiers, avait ainsi été mise en place au sein de l'association. Deux autres membres de la structure, considérés comme les bras droits de Ronald Désir, comparaissent eux-aussi pour "traite humaine".

L'audience, qui devait se terminer ce vendredi, a été interrompue. Faute de temps pour terminer les débats dans "des délais raisonnables", le tribunal correctionnel a décidé de les prolonger le 11 février.

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV