• 13/06/2022
  • Par binternet
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Le Bhoutan, funambule entre l’Inde et la Chine<

Tenzin est devenu, comme il le dit lui-même, « garagiste géographe », un peu par hasard. Ce fils d’éleveur de yacks a appris la mécanique il y a sept ans, lorsque les véhicules ont commencé à se multiplier à Haa, petite bourgade encerclée par les montagnes, à l’extrême ouest du royaume du Bhoutan. Le garagiste, arborant le portrait du roi, Jigme Khesar Namgyel Wangchuck, imprimé sur son tee-shirt, s’est ensuite pris de passion pour la géographie, et particulièrement pour l’itinéraire de livraison des pièces détachées automobiles qu’il a l’habitude de commander en Chine.

« La Chine n’existe pas »

Il extrait d’une pile d’amortisseurs quelques cartes et pointe de grands itinéraires tracés au crayon : « La frontière avec le Tibet se trouve juste de l’autre côté des montagnes, à seulement une vingtaine de kilomètres d’ici à vol d’oiseau. Or mes pièces détachées doivent emprunter un immense détour, par l’Asie du Sud-Est et l’Inde. » Tenzin vit et travaille comme si la Chine voisine se trouvait à des milliers de kilomètres de distance. Les deux pays n’entretiennent aucune relation diplomatique.

Lorsque Pékin a organisé en mai le sommet de l’OBOR (« One Belt, One Road ») consacré aux « nouvelles routes de la soie », le Bhoutan est le seul pays d’Asie du Sud, avec l’Inde, à n’y avoir envoyé aucun représentant. Les milliards de yuans chinois irriguent les projets de développement et d’infrastructures en Asie – et au-delà – sans passer par le petit royaume de 700 000 habitants, coincé entre Inde et Chine, dans les contreforts de l’Himalaya. Comment l’un des pays les moins développés de la planète peut-il ignorer la deuxième économie mondiale, avec laquelle il partage, accessoirement, une frontière de 240 kilomètres ? Tenzin élude la question par un sourire gêné : « Au Bhoutan, la Chine n’existe pas. C’est aussi simple que cela. » Le Bhoutan, de la taille d’un confetti, résiste à l’empire chinois comme le village d’Astérix face aux légions romaines. Contrairement aux irréductibles Gaulois, cependant, les Bhoutanais ne sont peut-être pas les seuls à décider de leur destin.

Le Bhoutan, funambule entre l’Inde et la Chine

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Aujourd’hui, Tenzin est très occupé. La bourgade de Haa prépare la fête de Vishwakarma, dieu des artisans, des ingénieurs et des architectes, devenu, au fil des ans et des avancées technologiques, celui des moteurs et des ordinateurs. C’est une fête très populaire, en Inde comme au Bhoutan. Pour l’occasion, les douze employés de Tenzin portent des combinaisons bleu pétrole minutieusement repassées. Les habitants amènent leurs véhicules au garage comme s’ils allaient au temple, pour les bénir. Des ballons sont accrochés aux essuie-glaces, les pare-chocs sont chamarrés de rubans, quelques prières sont récitées, puis les chauffeurs repartent gaiement, dans leurs habitacles envahis d’un nuage de fumée d’encens. Comment trouver la statue de cette divinité hindoue, indispensable aux cérémonies, dans un pays bouddhiste ? Tenzin a dû se rendre en Inde, à cinq heures de voitures d’ici, pour en acheter une. Un employé indien du garage s’est porté volontaire pour endosser le rôle de prêtre hindou. Il a troqué sa combinaison de garagiste pour un pagne blanc crème et pose du tilak – de la poudre rouge vermillon – sur le front de chaque conducteur.

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