• 30/05/2022
  • Par binternet
  • 729 Vues

Vladislav Sourkov, le nouveau Raspoutine du Kremlin<

Aussi vrai que le Kremlin possède plusieurs tours, Vladislav Sourkov en est la sentinelle. Au service de trois présidents successifs depuis 1998 - Boris Eltsine, Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev -, cet ex-publicitaire est devenu, à 47 ans, la vigie du pouvoir russe. Numéro deux de l'administration présidentielle, un vaisseau amiral de 2 000 employés, il tire les ficelles de la scène politique intérieure. Depuis son bureau de la Vieille-Place, au coeur de Moscou, ce fonctionnaire à l'allure de dandy contrôle les partis, parraine les nombreux mouvements de la jeunesse poutinienne, tout en gardant un oeil sur les ONG.

Ses talents de manipulateur furent révélés au grand jour en septembre, lorsqu'il déposséda le milliardaire Mikhaïl Prokhorov de la direction du parti Juste cause. Formation libérale mise sur pied à la demande du Kremlin, Juste cause était censé faire contrepoids au mastodonte Russie unie, le parti des bureaucrates au pouvoir, en vue des législatives du 4 décembre.

Or l'oligarque Prokhorov, propriétaire de mines d'or, grand amateur de basket et de jolies filles, se lança bille en tête dans la politique, au point de devenir incontrôlable. Pire, il manifesta une certaine indépendance, un travers inacceptable aux yeux du tandem au pouvoir - le premier ministre Poutine et le président Medvedev -, obsédé par la "verticale de l'obéissance". Une reprise en main s'imposait. Le jour du congrès de Juste cause, Vladislav Sourkov envoya ses adjoints pour y mener une OPA inamicale sur le parti. En quelques heures, l'oligarque et ses partisans furent évincés à jamais de la scène politique. Depuis, ils sentent le soufre. Après avoir critiqué haut et fort le nouveau Raspoutine, "ce montreur de marionnettes qui (...) intimide les médias et trompe la direction du pays", Mikhaïl Prokhorov a perdu l'oreille de Vladimir Poutine, qui s'est empressé de décorer Vladislav Sourkov.

Comment ce dernier s'est-il hissé au faîte du pouvoir ? Sans être du premier cercle, celui des hommes "à épaulettes" (ex-membres des services de sécurité) et natifs de Saint-Pétersbourg, comme M. Poutine, il a su se rendre indispensable. En bon apparatchik, il cultive le secret, accorde peu d'interviews, se montre rarement en public. Sa spécialité à lui, c'est l'intrigue, les conversations d'alcôves, le contrôle en sous-main des partis et des médias. "Il y a peu de temps encore, les rédacteurs en chef des grands médias rencontraient Vladislav Sourkov chaque jeudi. Désormais, ils n'ont plus besoin d'être guidés. Ils savent ce qu'ils doivent écrire, qui ils peuvent montrer à l'écran et combien de temps ; ils savent aussi qui ne doit pas être montré", explique la journaliste Zoïa Tsvetova.

Vladislav Sourkov, le nouveau Raspoutine du Kremlin

Né en 1964 d'une mère russe et d'un père tchétchène dont il ne porte ni le nom ni le patronyme, ce provincial discret a un parcours inhabituel, qui commence d'emblée par une zone d'ombre : son lieu de naissance. Sa biographie officielle donne le village de Tchaplyguine, dans la région agricole de Lipetsk, à 500 kilomètres au sud-est de Moscou, dont sa mère, Zoïa Sourkova, institutrice, était originaire. D'autres sources prétendent qu'il serait né à Douba-Iourt, à 30 kilomètres de Grozny (Tchétchénie), et qu'il se serait appelé Aslanbek Doudaev jusqu'à l'âge de 5 ans. Une chose est sûre : lorsque ses parents se séparent, il ne sera plus jamais question du père, Andarbek Doudaev.

Après une adolescence choyée dans la gloubinka (la "province profonde" en russe), à Lipetsk puis à Riazan, le jeune Sourkov monte à Moscou. Les études ne sont pas son fort et, en 1981, il arrête tout pour faire son service militaire en Hongrie. C'est là qu'il aurait été recruté par le renseignement militaire soviétique (GRU), tournant décisif dans sa carrière.

En 1989, le Rastignac de Riazan ronge son frein. Les temps sont incertains, le parti et l'armée ne sont plus ce qu'ils étaient, les perspectives de carrière sont floues. La même année, il s'inscrit à un cours de lutte. Son entraîneur a également pour élève Mikhaïl Khodorkovski, un jeune entrepreneur issu du Komsomol (jeunesses communistes), l'un des directeurs de la banque Menatep. Il tient le bon bout. En moins de dix ans, Vladislav Sourkov gravit un à un les échelons de l'institution.

De fil en aiguille, il devient directeur de la communication à l'ORT, la chaîne de télévision publique, en 1998. A ce poste, il a accès à tout le personnel politique en vue. Il ne tarde pas à être remarqué par Alexandre Volochine, le chef de l'administration présidentielle de l'époque, éminence grise de Boris Eltsine. La même année, ce dernier le recrute comme adjoint. Cinq ans plus tard, lorsque Mikhaïl Khodorkovski est arrêté, Alexandre Volochine démissionne, pas Vladislav Sourkov.

La presse russe le décrit parfois comme l'idéologue du pouvoir. C'est oublier que le régime qu'il sert est dépourvu d'idéologie. Avec son passé de publicitaire, Vladislav Sourkov est avant tout expert en agit-prop, la communication politique des bolcheviks, brutale et sans nuances.

L'homme, marié deux fois et père de quatre enfants, cultive son image de fonctionnaire atypique, écrivain dilettante et parolier occasionnel du groupe de rock Agatha Christie. Dans le roman noir "Proche de zéro", publié en juillet 2009 sous pseudonyme (non traduit) et dont il serait l'auteur, il fait dire au héros : "La criminalité et la corruption jouent le même rôle dans la construction sociale que l'école, la police et la morale. Vouloir les éliminer mène au chaos."

Habile, il sait changer de costume au gré du discours de ses différents patrons. Démocrate sous Boris Eltsine, absolutiste avec Vladimir Poutine, le Raspoutine du Kremlin s'est enthousiasmé pour la modernisation voulue par Dmitri Medvedev. Comme le faisait remarquer un jour un ex-cadre de Ioukos, la société pétrolière de Khodorkovski démantelée sur ordre de Vladimir Poutine, Vladislav Sourkov illustre à quel point, en Russie, "le gène du cynisme s'est développé plus vite que celui de la démocratie".

Marie Jégo

L’espace des contributions est réservé aux abonnés. Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion. S’abonner Déjà abonné ? Se connecter

Voir les contributions