• 06/10/2022
  • Par binternet
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Jean-Laurent Félizia, incarnation d’une gauche absente du paysage<

“Mon parcours est politique, où qu’il soit, professionnellement comme dans l’engagement associatif et citoyen.” Ce samedi 22 mai, lorsque Jean-Laurent Félizia lance officiellement sa campagne pour la présidence de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, il cherche à se donner la stature du rôle. À endosser le costume, comme on dit. Ce jeune quinquagénaire varois est la tête de liste du Rassemblement écologique et social, qui agrège dans les six départements à conquérir, les 20 et 27 juin prochains, Europe-Écologie Les Verts, le Parti socialiste, le Parti communiste, Génération.s, la Gauche républicaine et socialiste, entre autres.Jean-Laurent Félizia, incarnation d’une gauche absente du paysage Jean-Laurent Félizia, incarnation d’une gauche absente du paysage

Charge à ce natif du centre Var qui a grandi au Lavandou de porter cette union qu’il décrit à chaque entretien comme “inédite” – même si Michel Vauzelle, élu trois fois président de la région, scellait dès 1998 de vastes accords de premier tour. Cet entrepreneur local, quasi-inconnu au-delà des frontières de son département tente d’incarner, comme il le répète à l’envi, “la seule alternative crédible”, à Renaud Muselier, le sortant Les Républicains et à Thierry Mariani, son principal challengeur, transfuge de la droite passé au Rassemblement national.

“Un écolo pas sectaire”

Avec ses lunettes rondes et son accent bonhomme, Jean-Laurent Félizia a un air doux. Il parle avec tendresse de son enfance provençale, entre des grands-parents paysans à Trets, et la famille paternelle plus aisée débarquée du Piémont à Brignoles. Conseiller d’opposition au Lavandou et paysagiste à la ville, formé par Gilles Clément, référence internationale du domaine, il pilote une entreprise de 30 personnes, œuvre au domaine du Rayol comme aux jardins du Mucem. En homme qui sème, il veut croire que de la terre, pour l’heure sans fruit de la gauche régionale, il peut faire un verger fécond. Quand bien même les sondages le cantonnent sempiternellement à l’inconfortable rôle du troisième homme. L’élection est traumatique pour son camp, contraint de se désister pour faire barrage à Marion Maréchal-Le Pen en 2015. Cela fait six ans, qu’elle n’a plus d’élu dans l’hémicycle.

“Lui, c’est un écolo de cœur et de métier. Le lien direct au vivant, il connaît !”, pose Sébastien Barles, cadre d’Europe-Écologie-Les Verts et adjoint au maire de Marseille. Ils sont nombreux à dessiner, comme Sophie Camard maire Printemps marseillais des 1er et 7e arrondissements qui l’a côtoyé lors de la campagne de 2015, le portrait d’un “écolo pas sectaire”, pragmatique et en prise avec le réel. Lui creuse ce sillon et entend faire d’une “écologie qui vous ressemble” le fil rouge de son action.

“Jean-Laurent qui ?”

“Il est un peu atypique dans le champ politique : empathique, méridional, bon vivant”, le décrit encore Sébastien Barles. Félizia est discret, aussi. Méconnu du grand public. À droite, un vice-président sortant de la région balance, avec ce qu’il faut de dédain : “Jean-Laurent qui ? Je ne veux pas lui faire offense, mais je ne comprends pas ce qui est passé par la tête de Muselier quand il a cru qu’il pouvait arriver derrière Félizia…” Comprendre que c’est cette crainte qui aurait poussé le sortant à sceller un accord avec la République en Marche et précipité Les Républicains dans la tourmente.

L’intéressé lui-même le reconnaît, il doit composer avec un manque de notoriété évident. Lors de son discours de lancement de campagne, le Varois a salué quelques figures tutélaires : Michel Vauzelle ou encore Robert Alfonsi, premier fédéral PS du Var de 1997 à 2008 et ancien vice-président de la région de 1998 à 2015. “C’est un type honnête, gentil, tout ce que vous voulez. Mais c’est un inconnu au bataillon, cadre sèchement ce dernier. Robert Alfonsi prolonge :“Il ne faut pas mettre un gars d’un village perdu du Var en tête de liste ! L’élection, tout le monde le sait, se gagne dans les Bouches-du-Rhône et à Marseille. Or, Félizia, excusez-moi d’être cash, mais il imprime pas !”

Jean-Laurent Félizia, incarnation d’une gauche absente du paysage

Mais le candidat ne se démonte pas et parle nouveauté, fraîcheur, renouvellement… quand le landernau politique voit en lui un soldat qui part au front armé d’une fourchette en bambou. Dans le local proche de la place Castellane qu’il investit pour la campagne – celui de Michèle Rubirola pendant la municipale marseillaise – il veut évidemment dresser un parallèle avec la trajectoire victorieuse du Printemps marseillais. “Je suis comme les gens, moi, je ne suis pas issu du sérail”, lance-t-il.

Derniers des Mohicans

L’homme milite depuis belle lurette. Il a fait ses premières armes au Parti socialiste à Collobrières. Avant d’entrer chez EELV en 2009. En 2015, il est la tête de liste varoise du tandem EELV-Front de gauche emmené par Sophie Camard et Jean-Marc Coppola aux régionales. “Jean-Laurent vient d’un territoire où la gauche n’existe plus, d’un désert où les gens de gauche, comme lui, sont les derniers des Mohicans. Ça lui a donné le sens de la défense de son point de vue, mais aussi de l’écoute et de la tolérance“, note Sophie Camard.

Pas apparatchik, “la machine partidaire ne l’intéresse que peu”, résume de son côté le sénateur et co-secrétaire régional EELV Guy Benarroche. “Je le connais depuis 10 ans. J’apprécie son analyse et son discours depuis le début et je lui ai proposé dès 2013 de faire partie de nos cadres. Il ne l’a pas souhaité, ce n’est pas son tempérament.”

Se méfier de l’eau qui dort

Sur le marché de la Joliette, ce vendredi matin, un forain indifférent le regarde passer : “C’est la droite, ou la gauche ?” Personne ne le connaît, qu’importe. “Je ne suis pas dans le coup d’éclat, mais dans la patience. Je sais bien qu’en politique, il faut vociférer tout le temps et à hue et à dia…”, s’excuse-t-il presque, ses tracts en main. Jean-Laurent Félizia ne dort que cinq heures par nuit, pratique la médiation quotidiennement et rêve de “reconstruire le temps politique”.

Définitivement plus combat d’idées que combat de coqs, il sait qu’il devra se faire un peu violence pour trouver sa place dans le débat aux côtés de Muselier et Mariani. “Il n’a pas un égo surdimensionné, mais il a une volonté d’acier”, reprend Guy Benarroche qui en veut pour preuve la pétition sur la préservation du littoral, lancée par le conseiller municipal du Lavandou qui a recueilli 360 000 signatures en 2017. Un autre élu écolo rappelle, l’air de rien, qu’il faut se méfier de l’eau qui dort : “Il a l’air gentil, il l’est. Mais politiquement, ce n’est pas un tendre. Quand il s’est agi de dégager Dubuquoy et de s’imposer, il a su le faire.”

S’il n’a pas les dents qui rayent le parquet, Jean-Laurent Félizia a en effet été désigné au prix d’une fracture sur sa gauche et, à l’intérieur de son mouvement, avec celui qui incarnait une dynamique d’union moins écolo-centrée. Le non-rapprochement avec la France Insoumise ou l’éviction de collectifs citoyens qui avaient œuvré au sein de l’appel Il est temps laisse des traces. Et l’on doute même du positionnement de sa gauche. “La stratégie qu’il défend, c’est d’aller dans le ventre mou du centre. Ça va le perdre”, pronostique Robert Alfonsi. Même tonalité chez un membre du collectif Il est temps, écarté des listes qui s’étonne encore de ce choix : “C’est un combat difficile. Il va falloir y mettre beaucoup d’énergie et de force. Je ne vois pas cette capacité chez lui. Parce qu’au fond, politiquement, il a fait quoi à part perdre au Lavandou ?”

Il est des voix pour le défendre. “Moi, je l’aime bien parce qu’il ne joue pas les matadors !”, résume la sénatrice Marie-Arlette Carlotti qui l’a côtoyé lors des âpres négociations qui ont façonné le rassemblement. Elle a découvert, un peu surprise, “un homme qui bosse ses dossiers, ne parle pas à tort et à travers”. Seulement, Jean-Laurent Félizia semble isolé. Le 22 mai lorsqu’il inaugure son local de campagne et présente ses listes, nul Benoît Payan, Michèle Rubirola, Jean-Marc Coppola ou Sébastien Barles à l’horizon pour soutenir les troupes.

“Son équipe de campagne ne nous a pas prévenus”, souffle un élu de premier plan de la gauche marseillaise un brin étonné. Guy Benarroche – qui avait d’autres engagements pour le Sénat ce jour-là – plaide une forme d’inexpérience et d’éloignement : “Il ne connaît pas bien le microcosme puisqu’il n’en fait pas partie. La technocratie politique, ce n’est pas son écosystème.” Celui de l’ingénieur horticole de formation voit plutôt croitre le raisin étrusque et la vigne Isabelle, très résistante, paraît-il.

Maintien au second tour

Résistant, il assure qu’il l’est également. Résilient, même. Prêt pour la dureté de ce qui s’annonce ? Il l’affirme. Au fil des jours de cette campagne qu’il sait éclair, il tranche quelques nœuds qui paraissaient embrouillés, notamment sur la position de sa liste face au risque RN. Dans son propre camp, certains défendaient l’idée de s’accrocher au strapontin derrière Muselier pour continuer à exister. “Pas d’accord technique avec Muselier !”, clame-t-il désormais.

Plus ferme encore, il martèle qu’“à titre personnel”, il souhaite le maintien de ses listes au second tour quoi qu’il advienne. Pour ramener coûte que coûte la gauche dans un hémicycle où droite et extrême-droite sont dos à dos. A-t-il les épaules pour supporter la pression qui ne manquerait pas, alors, de s’abattre sur lui au soir du premier tour ? Il lève les sourcils, se donne l’air de l’homme qui n’a pas le choix : “On n’a pas le droit d’abandonner nos valeurs à la fatalité.”

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