• 28/02/2023
  • Par binternet
  • 570 Vues

Ça date pas d'hier avec Catherine Lachaussée 100 ans de la SAQ : des débuts pétillants en plusieurs anecdotes!<

Février 1921. Coup de tonnerre dans le ciel québécois. Le gouvernement crée la Commission des liqueurs de Québec, l’ancêtre de la Société des alcools du Québec (SAQ), et prend le contrôle de l’ensemble de la vente et du transport d’alcool sur tout le territoire. Un pari unique en Amérique du Nord, qui s'avère rapidement très payant pour l’État.

Un texte de Catherine Lachaussée

La Commission des liqueurs fait son apparition dans un climat de grandes tensions sociales, où dominent plusieurs enjeux de morale et de santé publique. L’alcoolisme est alors un vrai fléau, dont personne ne semble capable de venir à bout. Les gouvernements ont beau sévir depuis la fin du 19e siècle, plus les mesures se resserrent, plus les problèmes d’ivrognerie et de contrebande prennent de l’ampleur.

C’est alors la prohibition qui a la cote. En 1919, 92 % des municipalités du Québec limitent ou interdisent la consommation d’alcool, précise l’historien Yannick Cormier, spécialiste de l’histoire policière.

Manifestant participant à une démonstration en faveur de la prohibition en Ontario, en 1915 Photo : BAC

Un référendum voté cette année-là permettait tout de même de consommer du vin, du cidre et de la bière, mais aucun alcool fort. On ne pouvait s’en procurer qu’à des fins médicales, ou encore pour faire des produits ménagers. Dans ce contexte, la contrebande est plus populaire que jamais. Et comme personne ne supervise la production, la qualité du produit est souvent douteuse. Il arrive même qu’elle tue le client.

Matériel pédagogique de la Maison Mère-Mallet pour lutter contre l'alcoolisme ( 1900-1925) Photo : Collection du Musée de la civilisation/ Don des Soeurs de la Charité

De nombreux passeurs arrivaient de l’étranger, notamment par les îles Saint-Pierre-et-Miquelon ou par la frontière américaine. Mais la production maison n’était pas en reste. Depuis des siècles, beaucoup de gens étaient capables de fabriquer leur propre alcool à partir de fruits ou de pommes de terre, explique Cormier. Nos ancêtres, qui avaient rarement la chance de vivre près d’une épicerie, avaient fini par développer une certaine autosuffisance en la matière.

C’est dans ce contexte que Louis-Alexandre Taschereau, premier ministre libéral, décide de privilégier une voie audacieuse. Plutôt que de restreindre davantage l’accès à l’alcool, il veut permettre aux Québécois de boire, mais de façon responsable. Bref, il veut faire confiance à leur jugement. L’idée est à contre-courant de tout ce qui se fait alors en Amérique du Nord. Elle suscite aussitôt son lot d’inquiétudes.

D’un côté, des gens sont furieux de voir le gouvernement se mêler de commerce et prendre le monopole de la vente d’alcool. Les partisans de la morale y voient aussi une dangereuse porte ouverte à la débauche.

Le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau, à droite, avec son cabinet, au tournant des années 1929-1930. Photo : Courtoisie / Assemblée nationale du Québec/Tous droits réservés

Une entreprise bâtie à une vitesse phénoménale

Le chantier créé par le gouvernement est gigantesque, ce qui n’empêche pas l’entreprise d’être opérationnelle en deux mois à peine!

Une équipe réduite de 15 personnes n’a que quelques semaines pour racheter tous les stocks d’alcool du territoire, les classer, trouver d’énormes entrepôts et signer les baux des futurs magasins. On doit embaucher des centaines de personnes, dans des secteurs aussi variés que l’embouteillage, le transport, la vente et l’analyse en laboratoire. Il faut aussi accorder les permis de vente, un processus laborieux. Chaque demande doit être assortie de la recommandation d’un curé, du conseil municipal, d’un médecin ou d’un notaire.

Le 1er mai 1921, la Commission des liqueurs de Québec a recruté ses 415 premiers employés. En un an, 64 magasins sont ouverts.

Les employés de la Commission des liqueurs prennent la pose pour un portrait officiel, dans les années 1920. Photo : Courtoisie /SAQ

Du vin à Québec… mais pas à Lévis

Ça date pas d'hier avec Catherine Lachaussée 100 ans de la SAQ : des débuts pétillants en plusieurs anecdotes!

L’offre d’alcool est d’abord très inégale d’une région à l’autre. La vente a beau être autorisée à l’échelle provinciale, beaucoup de municipalités s’y opposent, quitte à empêcher l’ouverture de magasins de la Commission des liqueurs sur leur territoire.

Alors qu’on peut tranquillement acheter ses bouteilles à Québec, on ne peut le faire ni à Lévis ni à Beauport ou Limoilou. Pendant longtemps, Saguenay, Charlevoix et Rimouski ne comptent aucun point de vente. Dans les années 1920, la succursale la plus à l’est de la province se trouve à Rivière-du-Loup.

Camions en cours de chargement à l'entrepôt de Montréal. Les véhicules de la société d'État sont ce qui se fait de plus moderne à l'époque. Photo : Courtoisie / SAQ/Tous droits réservés

Le manque de points de vente suscite d’ailleurs beaucoup de plaintes à l’époque.

Pour pallier les faiblesses du réseau, deux succursales sont spécialisées dans les commandes à distance, l’une à Montréal et l’autre à Québec. Celle de la capitale est située sur la rue Saint-Joseph. Elle loge dans le prestigieux siège social de la Quebec Railway, la compagnie de tramway de Québec, devenu depuis l'édifice Joseph-Ernest Grégoire.

L'édifice de la Quebec Railway, situé dans un secteur stratégique, coin de la Couronne et Saint-Joseph, logeait l'une des succursales les plus rentables de la capitale. Photo : Archives Ville de Québec/Tous droits réservés

Un petit vin de messe avec ça?

La Commission des liqueurs a aussi, à Québec et Montréal, deux succursales entièrement dédiées… au vin de messe! Leur approvisionnement est placé sous la supervision du révérend père Morin, doyen de la Faculté des sciences de l’Université de Montréal. L’Église a donc à sa disposition un réseau distinct, qu’elle peut gérer selon ses goûts et son bon vouloir.

La Commission des liqueurs, en plus de son entrepôt de Montréal, en avait un gros sur la rue Saint-André, à Québec. On y trouve aujourd'hui le restaurant Laurie Raphaël. Photo : BAnQ

Le révérend père s’occupait des inspections du vin et pouvait faire enlever du stock toutes les pièces qui ne lui paraissent pas de la qualité requise pour le service divin, précise un rapport annuel de la Commission. Amadouer le clergé, joueur influent du temps, était une priorité pour tout gouvernement avisé.

Des succursales aux airs de confessionnal

Le concept original de la Commission des liqueurs est clairement dicté par la morale. Les premières succursales ont un vrai petit air de confessionnal. Une grille sépare les clients des employés. La marchandise est vendue enveloppée, ficelée et cachetée. Et on ne peut acheter qu’une bouteille de spiritueux à la fois.

Les premières succursales de la Commission des liqueurs sont plutôt austères. Les bouteilles étaient cachées derrière des grilles. Le client devait remettre sa liste pour être servi. Photo : Courtoisie / SAQ

Ce qui n’empêche pas de petites entorses aux règles.

Les journaux rapportent le cas de clients revenus plusieurs fois au guichet pour acheter plus d’une bouteille. Rien n’empêchait non plus de s’offrir une tournée des succursales. La règle de la bouteille unique ne s’appliquait cependant qu’aux spiritueux, considérés comme plus dangereux que le vin à cause de leur forte teneur en alcool.

Un employé dans le sarrau blanc de la Commission des liqueurs de Québec, dans les années 1940. Photo : BAnQ / Courtoisie SAQ

Des vins en vrac embouteillés au Québec… dès 1921

L’amateur contemporain aurait trouvé l’offre de vin de la Commission des liqueurs plutôt modeste. Il faudra attendre avant de mettre la main sur des produits du Nouveau Monde. L'offre se limite d'abord à quelques vins européens, dont les plus exotiques viennent de Suisse ou de Hollande. Le volet international était confié à un bureau parisien.

On réalisait déjà des économies substantielles en achetant certains produits en vrac pour les embouteiller ici, dont quelques whiskies, et plusieurs vins, à partir desquels les experts du laboratoire créaient des mélanges maison.

Visiblement, on n'entendait pas à rire dans la salle d'habillage des bouteilles. Sur le panneau, on peut lire qu'il est «strictement interdit de parler durant les heures de travail». Photo : Courtoisie / SAQ

Les activités d’embouteillage et d’étiquetage, situées à Montréal, permettaient de faire tourner l’industrie locale du papier, du carton et du verre. Dans l’espoir de limiter la contrebande, la Commission a même fait fabriquer son propre papier. L’usine d’embouteillage affiliée à la société d’État ne sera vendue au secteur privé qu’au tournant des années 2000.

Le touriste : un client recherché

La nouvelle offre d’alcool de la province joue un rôle important dans le développement du tourisme, surtout à Montréal, où plusieurs succursales font des affaires d’or.

C’est aussi le cas pour celles situées le long des frontières ontariennes et américaines.

Cette carte postale des années 1920 ne laisse aucun doute sur la popularité des succursales de la Commission des liqueurs auprès des touristes. Photo : BAnQ, Collection Pierre Monette

Taschereau s’en vante d’ailleurs dans un article paru dans le New York Times, en 1922. Il se disait fier de voir de nombreux hôtels apparaître et se développer grâce à l’afflux de clients américains et canadiens venus profiter de la Commission des liqueurs, rappelle l’historien Yannick Cormier.

Très à ses affaires, la Commission imposera d’ailleurs une carte d’alcool standard à tous les hôtels et gîtes détenteurs de permis, et s’assurera aussi d’offrir de l’alcool à bord des trains et des bateaux.

La poule aux oeufs d’or

Quand il crée la Commission des liqueurs, Taschereau ne s’intéresse pas qu’à la vente d’alcool. Son approche était très interventionniste. Elle couvrait plusieurs domaines, comme l’assistance publique, certains soins de santé, le financement des universités et la construction de chemins de fer, énumère l’historien. Autant de secteurs gérés jusque-là par l’entreprise privée et l’Église.

Pour financer un programme aussi ambitieux, le gouvernement n’avait pas le choix : il devait trouver de nouveaux revenus.

Or, dès sa création, la Commission des liqueurs semble être devenue la poule aux d’or qu’il cherchait.

De 4 millions de dollars dès la première année, les profits grimpent à 20 millions en 1929-1930, au plus fort de la prohibition américaine.

Des employés au travail sur un segment de la chaîne d'embouteillage. Photo : Courtoisie / SAQ

La Commission des liqueurs est aussi la première société d’État du Québec, rappelle Christian Blais, historien à l’Assemblée nationale. La Compagnie des chemins de fer nationaux est plus ancienne, mais c’est une société fédérale précise-t-il.

Une expérience remarquée

La nouvelle Commission des liqueurs suscite l’intérêt de nombreux observateurs dans le monde, au Canada et aux États-Unis, mais aussi en Hollande et en Nouvelle-Zélande.

Une délégation américaine opposée à la prohibition salue même le système québécois comme le meilleur au monde, et dépose un rapport qui le propose comme une voie à suivre pour les États-Unis.

Le Québec a sûrement joué un rôle précurseur en montrant qu’il existait d’autres modèles que la prohibition pour lutter contre l’alcoolisme et la contrebande. Elle est d’ailleurs progressivement abandonnée aux États-Unis, à partir de 1933, ainsi que partout au pays.

Mais le modèle d’affaires de la Commission des liqueurs a beau être novateur, il semble qu’on se soit tout de même inspiré de quelques bonnes idées... scandinaves.

En 1913, trois juges avaient été mandatés par le gouvernement pour observer ce qui se faisait de mieux dans le monde en matière de lutte contre l’alcoolisme. Ils avaient été particulièrement impressionnés par ce qu’ils avaient découvert en Norvège et en Suède.

Là-bas, on avait confié la vente d’alcool à un réseau de coopératives supervisées par l’État. Mais le Québec, en se donnant le rôle d’entrepreneur, se dotait d’un modèle plus profitable encore.

La Commission des liqueurs rendait possibles les commandes d'alcool par la poste, bien pratiques pour la clientèle vivant loin des succursales. Photo : BAnQ, Fonds La Presse

À LIRE AUSSI:

100 ans de la SAQ, de la police des liqueurs au rêve du libre-service!

100 ans de la SAQ : la grande métamorphose, des années 1970 à aujourd'hui

Des produits imités par les contrebandiers

Sous prétexte de veiller à la santé publique, le gouvernement s’était engagé à ce que l’alcool légal se démarque de celui de la contrebande, sur le plan du goût comme de la salubrité. L’un des premiers employés par la Commission des liqueurs aurait donc été… un chimiste.

Deux chimistes de la Commission des liqueurs au travail dans leur laboratoire. Créé en 1921, il n'a jamais cessé ses activités depuis. Photo : Courtoisie / SAQ/Tous droits réservés

La Commission des liqueurs vantait son laboratoire comme l’un des plus performants au pays.

La réputation des produits de la société d’État est d’ailleurs telle que certains contrebandiers américains ont commencé à imiter le fameux cachet de la Commission des liqueurs pour écouler leur marchandise.

Les bouteilles d'alcool de la Commission des liqueurs dans leur emballage du temps. Les prix peuvent sembler bas, mais ils étaient assez élevés pour l'époque. Photo : Courtoisie / SAQ

Mais la contrebande ne demeure pas un fléau qu’aux États-Unis, à l’époque. Elle continue d’avoir cours au Québec tout au long des années 1920, malgré la légalisation de la vente d’alcool. Pour lutter contre elle, la Commission des liqueurs se dote d’ailleurs, dès sa création, de l’un de ses services les plus controversés : la police des liqueurs.

Sources :