"Vous n'avez pas peur ?", demande Jean-Luc Mélenchon, en s'installant sur son siège. A côté de lui, la chroniqueuse Valérie Bénaïm lui répond que non. Tous les deux affichent un franc sourire. La scène a lieu le 30 mai 2013, sur le plateau de l'émission "Touche pas à mon poste", présentée par Cyril Hanouna. Ce soir-là, l'animateur signe un gros coup : "c'est la première fois", s'exclame-t-il, qu'une personnalité politique accepte de venir sur son plateau. Et loin d'être la dernière pour "TPMP", qui reprend lundi 30 août à 19h10 sur C8.
Moins de nouilles dans le slip, davantage de politique. Friand de déguisements et de canulars téléphoniques, Cyril Hanouna a peu à peu laissé les débats de société s'inviter dans son émission, où il se vante de "recevoir tout le monde" : des syndicalistes de tous bords, des "gilets jaunes", des figures de l'extrême droite... Malgré plusieurs mises en garde et sanctions du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), le programme à l'humour controversé attire de plus en plus d'élus et responsables politiques.
"C'est ici, sur ce plateau, que se jouera l'élection présidentielle", a même déclaré l'écrivain Yann Moix, en février dernier. Le pronostic, un brin provoc, peut surprendre. Mais à huit mois du grand rendez-vous de 2022, "TPMP" fait bien office d'arène politique. Loin, bien loin, de l'ambition initiale de l'émission 100% médias, lancée il y a onze ans.
A l'époque, en avril 2010, "TPMP" est diffusée sur France 4 et repose sur un principe simple : avec une bande de chroniqueurs, Cyril Hanouna regarde la télévision à la télévision et réagit aux extraits chaque jeudi soir. Après trois saisons aux audiences honorables, le programme migre sur D8 (devenue C8 en 2012), devient quotidien et atteint rapidement les sommets de l'access prime-time, cette plage horaire d'avant-soirée convoitée par les annonceurs.
Au sein du groupe Canal+, qui détient C8, Cyril Hanouna se taille une émission sur-mesure, dans son costume d'animateur-producteur. Il se tourne rapidement vers l'une de ses passions : la politique. "Pas étonnant", selon son entourage. "C'est quelqu'un qui lit tout, qui regarde tout, qui écoute tout, énumère Redwane Telha, rédacteur en chef de l'émission "L'Instant M" sur France Inter, qui a travaillé pour lui aux débuts de "TPMP". Hanouna, c'est un mec qui aime la bagarre, le bruit, les gens qui ont du caractère. Avec la présidentielle de 2017, l'actualité est entrée par la grande porte [dans l'émission]".
C'est l'époque des premiers sondages électoraux au sein du public, et même des coups de fil en direct à certaines personnalités politiques. Le 27 avril 2017, au cœur de l'entre-deux-tours, Emmanuel Macron, pas encore élu, souhaite un bon anniversaire à "TPMP" pour sa 1 000e émission. Des vœux retournés quelques mois plus tard par Cyril Hanouna au nouveau président de la République, lors d'un autre appel en direct.
La mutation est enclenchée pour le talk-show, dont le ton se veut plus grave. Peu à peu, les "fanzouzes" d'Hanouna ont droit à des débats de société, sur les violences policières, le racisme, le port du voile ou la crise sanitaire. Le tout dans "la bonne ambiance" et la "darka" – comprendre la "grosse rigolade" – dont l'animateur a fait sa marque de fabrique.
"Le fil rouge, c'est tout ce qui fait réagir", confie à franceinfo Théo Macel, rédacteur en chef de l'émission depuis janvier 2020. A 25 ans, celui qui raconte être arrivé comme stagiaire puis chroniqueur dans la maison a changé ses habitudes : "On a les chaînes d'info toute la journée en arrière-plan, j'ai 1 000 notifications sur mon portable. C'est comme ça qu'on fabrique les émissions, on recommence chaque jour de zéro."
Entre les défis foutraques et une analyse de la vie des people, "TPMP" saupoudre son menu de sujets plus disparates. "Le mouvement des 'gilets jaunes' a été un tournant, Cyril a été le premier à recevoir des manifestants sur un plateau de télé", rappelle un ancien collaborateur de l'animateur. "Ils [les 'gilets jaunes'] m'ont dit : 'On n'arrive pas à parler aux puissants', racontait Cyril Hanouna en juin dernier sur le plateau de CNews, qui appartient également au groupe Canal+. Je me suis demandé si je ne pouvais pas me servir de mon émission (...) pour être le trait d'union entre les personnes en détresse et les décideurs." Un rôle de médiateur que "Baba" ("Papa" en arabe, le surnom de Cyril Hanouna) a toujours voulu jouer.
Côté conducteur, "TPMP" s'en tient désormais à deux lignes directrices : "Traiter la grosse actu du jour et avoir les premiers concernés sur le plateau", résume Théo Macel. Exemple après la mort du livreur Cédric Chouviat – dont la famille a été reçue par Cyril Hanouna –, lors de la dissolution du groupe d'extrême droite Génération identitaire, ou encore lors de l'interview du consultant sportif Pierre Ménès, venu "s'expliquer" après des accusations d'agressions sexuelles le visant. "S'ils n'ont pas les bonnes personnes, ils peuvent faire sauter le débat, parfois à la dernière minute", révèle à franceinfo l'avocate Raquel Garrido, ancienne porte-parole de La France insoumise et invitée régulière de "TPMP".
Sur la forme, l'émission se dote au fil des saisons de rubriques plus adaptées à ce type de sujets. Le "Témoin du jour", le "Gros doss'" ou encore le "Quart d'heure sans filtre". Des rendez-vous phares, où les chroniqueurs tranchent par "Oui" ou "Non" des débats a priori complexes.
Dans ce talk-show à la "sauce Hanouna", la joute verbale est ponctuée de blagues, de coups de buzzers et d'applaudissements. Parfois, par les huées du public, encadré par des chauffeurs de salle. "On y fait du divertissement à partir de l'actualité, observe Redwane Telha, avec des sujets sérieux, des parties prenantes qui le sont tout autant, mais sans prendre tout cela au sérieux finalement." Simple, voire simpliste, mais efficace, vu les courbes de l'audimat. Ainsi, "TPMP" frôle parfois la barre des deux millions de téléspectateurs, la dernière fois début mars.
"Quand on prépare l'émission, on a les champions des audiences du gouvernement, ceux qui marchent mieux que les autres. [Marlène] Schiappa, elle marche bien, détaillait l'animateur en juin dernier sur CNews à propos de la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté. On se dit qu'elle va sortir une punchline (...), elle va sortir du cadre." Voilà peut-être pourquoi l'ex-secrétaire d'Etat en charge de l'Egalité entre les femmes et les hommes avait été, en mars 2018, la première membre de l'exécutif à débarquer sur le plateau de "TPMP". La désormais ministre y a depuis son rond de serviette. "Si vous voulez faire parler d'un sujet politique, il faut mettre Cyril Hanouna dedans", s'était-elle justifiée en 2019 sur la chaîne Public Sénat.
Plusieurs autres ministres lui ont emboîté le pas, comme le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, ou le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie (alors ministre de la Ville et du Logement). La ministre du Travail, Elisabeth Borne, a même coprésenté avec Cyril Hanouna une édition spéciale dédiée aux jeunes, le 19 mai, lors de laquelle elle a notamment proposé en direct du travail à une étudiante.
D'autres poids lourds du gouvernement, en revanche, se pincent encore le nez à l'évocation du programme. C'est le cas du ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer. Ou de son homologue de l'Economie, Bruno Le Maire, qui s'en est expliqué à M, le magazine du Monde : "Je ne crois pas que l'on puisse y exposer sereinement ses positions. Je pense aussi que ce n'est pas la place d'un ministre de l'Economie et des Finances." C'est que l'émission conserve une image sulfureuse, alimentée par les dérapages verbaux, les mises en garde du CSA et les amendes à sept chiffres (trois millions d'euros pour un canular homophobe, notamment en 2019).
Car sur le plateau de "Baba", un bon client politique ne suffit pas. L'animateur préfère les opposer dans des face-à-face tendus. Un exercice "stimulant" mais piégeux, d'après ses invités. "Parfois, les débats partent dans tous les sens, concède le député Aurélien Taché, qui est intervenu plusieurs fois dans "TPMP". Il faut accepter le côté spontané, et laisser sa langue de bois au vestiaire." Même constat pour le syndicaliste cheminot Anasse Kazib, convié à deux reprises : "La logique médiatique consiste à cliver au maximum".
"A la différence d'autres émissions d'actualité, on est très nombreux autour de la table", observe de son côté la journaliste et militante Rokhaya Diallo, ex-chroniqueuse de l'émission (2017 et 2018), fréquemment invitée depuis. "Tout va très vite, donc il faut ciseler nos interventions." Elle avoue qu'elle n'aurait "pas parié sur le virage actu" pris par l'émission. "Mais ça marche, reconnaît-elle, cela montre qu'il y a une demande du public."
"Ils [les politiques] sont conscients qu'ils viennent parler à un public qui n'est pas acquis", fait aussi remarquer Rokhaya Diallo. D'après une récente enquête Ifop pour Le Point, les fans de Cyril Hanouna sont majoritairement des ouvriers, employés ou artisans, âgés de moins de 50 ans, qui ont surtout voté pour Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon en 2017. Un électorat à convaincre pour les politiques invités, qui visent ici "un autre public, qui ne regarde pas les journaux télévisés", avance le député Aurélien Taché.
A l'approche de l'élection présidentielle de 2022, la 12e saison de "TPMP" qui démarre fin août sera-t-elle plus politique que jamais ? Quoi qu'il arrive, l'animateur vedette de C8 compte bien peser dans la campagne. S'il a poliment refusé d'organiser le débat de l'entre-deux-tours, comme Marlène Schiappa en avait émis l'idée, il a annoncé le lancement d'une "grosse émission politique" à l'automne, dans laquelle il souhaite cuisiner tous les candidats à l'élection présidentielle. Tous, y compris Marine Le Pen, la leader du Rassemblement national qu'il n'a jamais voulu inviter sur son plateau jusque-là. "On est mieux armés maintenant, a-t-il tranché sur CNews, on espère recevoir tout le monde à la rentrée." Toujours dans la bonne ambiance et la darka ?