Par Valérie Guédon Publié
Au XXe siècle, Valentino et Givenchy ont marqué l’histoire de la haute couture, respectivement en rouge et en noir. C’est désormais aussi dans la mode masculine que s’illustrent leurs designers, avec toujours ce goût pour le raffinement.
«Pour une maison comme la nôtre, la couture est une culture, lance Pierpaolo Piccioli, directeur artistique de Valentino , en coulisses de son défilé automne-hiver 2020-21. Elle doit infuser toutes les collections et, pour les hommes, se retranscrire à travers une certaine sensibilité.» Et quelle sensibilité! Elle s’illustre par la voix cristalline de la sensation pop de ces dernières années, FKA Twig vêtue d’une magnifique robe de dentelle rebrodée de milliers de strass (issu de la précédente collection haute couture, of course). Par les clichés floraux du décor, signés du duo de photographes Inez & Vinoodh, bien connus de l’industrie du luxe pour shooter les plus belles campagnes publicitaires. Et, surtout, par cette ribambelle de garçons délicats, aux quelques fleurs dans les cheveux, en costumes fluides réchauffés d’impers souples, parkas militaires ou vestes de survêtement incrustées de brassées raffinées.
Au gré de ce vestiaire sophistiqué et romantique, au fil des pulls sans manches japonisants, des liquettes en soie et des complets en denim délavé, s’inscrivent les mots sentimentaux de Mélanie Matranga, jeune plasticienne française de 34 ans. «Nous devons aller au-delà des stéréotypes liés à la virilité, prône le directeur artistique. On parle beaucoup actuellement d’un retour à la tradition sartoriale mais je pense qu’on peut être un homme sensible en costume et en baskets. Le streetwear fait partie de notre vie dorénavant. De même que le passé fait partie du présent. Je déteste la nostalgie, peut-être parce que je suis romain. Le costume doit être réinventé avec une nouvelle attitude, par quelques détails, comme le revers d’une veste étudié pour se porter relevé à la manière d’une chemise.»
Un public trié sur le volet prend place dans les salons couture historiques de l’avenue George-V pour assister à la présentation de la collection masculine Givenchy . Une rangée de cubes recouverts de miroirs, une arche de gypsophiles teintées de blanc et la lumière d’une belle journée parisienne se reflétant sur les moulures haussmanniennes. Un décor de bon goût qui campe un parfait écrin pour cette collection hiver 2020-2021 perfusée au chic. L’opulence en plus. «J’ai été très inspirée par l’exposition “Moderne Maharaja, un mécène des années 1930”, qui vient de se terminer au Musée des arts décoratifs, à Paris, explique Clare Waight Keller, la directrice artistique. Notamment par l’extraordinaire figure de Yeshwant Rao Holkar II, maharaja d’Indore, personnalité avant-gardiste photographiée par Man Ray et proche d’Eckart Muthesius.»
Version 2020, ces princes des temps modernes en costumes sombres au cordeau, passés sur des tops en latex de couleur et des corsets en laine, font écho aux princesses des défilés haute couture de la maison parisienne. Un dialogue que la créatrice britannique avait déjà entamé dans ces shows féminins d’exception. «L’histoire de Yeshwant Rao est incroyable. Il a rencontré sa femme à Los Angeles, s’est établi dans la mégapole californienne puis à Paris et, au fil de ses voyages, a embrassé la culture occidentale sans rien renier de son héritage oriental. D’où cette sophistication extrême, cette saison.» Pour le soir, des vestes de smoking, chemises en soie et pardessus en satin brodés de milles sequins en arabesque évoquent ce métissage raffiné. Ici et là, un petit blouson de cuir noir, une paire de lunettes aux verres irisés, une parka oversized bordée de mouton, des boots de cow-boy ornées d’une plaque de métal évitent à l’ensemble de paraître trop littéral. Clare Waight Keller continue d’imprimer sa pâte dans l’univers masculin. Avec brio.
À la Fondation Lafayette Anticipations, des mannequins en plastique masqués du visage de Rimbaud ont pris place sur la rangée de chaises du défilé JW Anderson . L’artiste David Wojnarowicz s’était ainsi grimé pour la série de clichés Arthur Rimbaud in New York à la fin des années 1970, inspiration du créateur. «Je suis fasciné depuis longtemps par le travail sombre mais plein d’espoir de cet artiste activiste américain (mort du sida en 1992, NDLR), précise Jonathan Anderson à l’issue du show. Ces images, très controversées à l’époque, m’ont amené à me demander ce que signifiait être un poète à ce moment-là et ce que cela signifie aujourd’hui.» Effectivement, de cet homme bras nus, le torse moulé dans un top plissé volumineux sur les hanches, en pantalon cargo et sandales Birkenstock ornés d’une chaîne dorée, émane un romantisme évident. «J’aime cette idée de classicisme. Rimbaud était incroyablement élégant. La manière dont David s’habillait m’a aussi beaucoup influencé. Je souhaitais explorer une forme de lyrisme et la rendre underground.» Par ailleurs directeur artistique de Loewe, Anderson sait décidément où il va et, dans le droit fil de ses collections féminines, qu’il présente à Londres, livre un vestiaire épuré de trop d’expérimentations, sans perdre les lignes radicales qui ont fait son succès.